Aristote

Category: Heidegger - Bibliografia
Submitter: Murilo Cardoso de Castro

Aristote

L’« être » est le concept « le plus universel » : to on esti katholou malista panton [NA: ARISTOTE, Met., B 4, 1001 a 21.]. [EtreTemps1]

L’« être » ne délimite pas la région suprême de l’étant pour autant que celui-ci est articulé conceptuellement selon le genre et l’espèce : oute to on genos [NA: ARISTOTE, Met., B 3, 998 b 22.]. L’« universalité » de l’être « transcende » toute universalité générique. Selon la terminologie de l’ontologie médiévale, l’être est un transcendens. L’unité de ce transcendantalement « universel », par opposition à la multiplicité des concepts génériques réals suprêmes, a déjà été reconnue par Aristote comme unité d’analogie. Par cette découverte, Aristote, en dépit de toute sa dépendance à l’égard de la problématique ontologique de Platon, a situé le problème de l’être sur une base fondamentalement nouvelle. Bien sûr, lui non plus n’a point éclairci l’obscurité de ces relations catégoriales. [EtreTemps1]

Aristote dit : he psyche ta onta pos estin [NA: ARISTOTE, De Anima, III, 8, 431 b 21 ; cf. 5, 430 a 14 sq.]. [EtreTemps4]

Dans le cadre de l’élaboration fondamentale de la question de l’être qui suit, il n’est pas question de présenter l’interprétation temporale détaillée des fondations de l’ontologie antique, et avant tout de la figure scientifiquement la plus haute et la plus pure qu’elle ait atteinte, chez Aristote. À sa place, elle proposera néanmoins une interprétation du traité d’Aristote sur le temps [NA: Physique, IV, 10, 217 b 29 à 14, 224 a 17.], qui peut être choisie comme discrimen de la base et des limites de la science antique de l’être.
Le traité d’Aristote sur le temps est la première interprétation circonstanciée de ce phénomène qui nous ait été transmise. Elle a déterminé de manière essentielle toute conception ultérieure du temps, celle de Bergson y comprise. À partir de l’analyse du concept aristotélicien du temps, il devient en même temps clair rétrospectivement que la conception kantienne du temps se meut dans les structures dégagées par Aristote, ce qui signifie que l’orientation ontologique fondamentale de Kant — quelles que soient les différences apportées par un questionnement nouveau — demeure grecque. [EtreTemps6]

Logos en tant que discours signifie bien plutôt autant que deloun, rendre manifeste ce dont « il est parlé » (il est question) dans le discours. Cette fonction du parler, Aristote l’a explicitée de manière plus aiguë comme apophainesthai [NA: Cf. De interpretatione, chap. 1-6, et aussi Met., Z 4 et Eth. Nic., VI.]. Le logos fait voir (phainesthai) quelque chose, à savoir ce sur quoi porte la parole, et certes pour celui qui parle (voix moyenne), ou pour ceux qui parlent entre eux. Le parler « fait voir » apo... à partir de cela même dont il est parlé. Dans le parler (apophansis) pour autant qu’il est authentique, ce qui est dit doit être puisé dans ce dont il est parlé, de telle sorte que la communication parlante rende manifeste, en son dit, ce dont elle parle, et ainsi le rendre accessible à l’autre. Telle est la structure du logos comme apophansis. Toutefois ce mode de manifestation au sens d’un faire-voir qui met en lumière ne revient pas à tout « discours ». La prière (euche), par exemple, rend également manifeste, mais d’une façon différente. [EtreTemps7]

En ce qui concerne la lourdeur et l’absence de « grâce » de l’expression au cours des [39] analyses qui suivent, il est permis d’ajouter une remarque : une chose est de rendre compte de l’étant de façon narrative, autre chose de saisir l’étant en son être. Or pour la tâche à l’instant indiquée, ce ne sont pas seulement les mots qui manquent le plus souvent, mais avant tout la « grammaire ». Si l’on nous autorise à faire allusion à des recherches ontologiques plus anciennes et assurément incomparables par la dignité, que l’on compare des passages ontologiques du Parménide de Platon ou le chapitre 4 du livre VII de la Métaphysique d’Aristote avec un chapitre narratif de Thucydide, et l’on verra à quel point étaient inouïes les formulations que les Grecs se virent imposer par leurs philosophes. Or là où les forces sont sensiblement moindres et, de surcroît, le domaine d’être à ouvrir bien plus difficile ontologiquement que celui qui s’offrait aux Grecs, le caractère circonstancié de la conceptualité et la dureté de l’expression ne peuvent que s’accroître. [EtreTemps7]

Que la circon-spection quotidienne, sur la base de l’affection primairement ouvrante, se méprenne, qu’elle succombe largement à l’illusion, ce fait, mesuré à l’idée d’une connaissance absolue du « monde », est un me on. Seulement, la positivité existentiale de cette capacité d’illusion est radicalement méconnue par de telles valorisations ontologiquement arbitraires. Car c’est justement dans la vision inconstante, tonalement fluctuante du « monde » que l’à-portée-de-la-main se montre dans sa mondanéité spécifique, qui jamais n’est tous les jours la même. L’avisement théorique a toujours obnubilé le monde dans l’uniformité du pur sous-la-main, uniformité au sein de laquelle, naturellement, est renfermée une nouvelle richesse de l’étant en tant que découvrable pour le déterminer pur. Et pourtant, même la theoria la plus pure n’a pas laissé toute tonalité derrière elle ; même à son avisement propre, le sans plus sous-la-main ne se montre en son pur aspect que lorsque, dans le séjour calme auprès de..., elle peut le laisser advenir à elle dans la rhastone et la diagoge [NA: Cf. ARISTOTE, Met., A 2, 982 b 22 sq.]. — Cela dit, l’on ne confondra pas notre mise en lumière de la constitution ontologico-existentiale du déterminer cognitif dans l’affection de l’être-au-monde avec une tentative pour livrer ontiquement la science au « sentiment ».
Au sein de la problématique de cette recherche, il n’est pas possible d’interpréter les divers modes de l’affection et les connexions de dérivation qui les relient. Sous le titre d’affects et de sentiments, ces phénomènes sont depuis longtemps bien connus ontiquement, et ils ont toujours déjà été pris en considération par la philosophie. Ce n’est point un hasard si la première interprétation traditionnelle systématique des affects ne s’est pas déployée dans le cadre de la « psychologie ». Aristote étudie les pathe au livre II de sa Rhétorique. Celle-ci doit être envisagée — à l’encontre de l’orientation traditionnelle du concept de rhétorique sur l’idée de « discipline scolaire » — comme la première herméneutique systématique de la quotidienneté de l’être-l’un-avec-l’autre. La publicité, en tant que mode d’être du On (cf. § 27), n’a pas seulement en général son être-intoné, mais elle a besoin de tonalité et s’y met [NT: L’expression Stimmung machen, veut dire littéralement « mettre de l’ambiance ». La publicité produit la tonalité en s’y mettant.] elle-même. C’est en s’engageant dans la tonalité et à partir d’elle que l’orateur parle. Il a besoin de la compréhension des possibilités de la tonalité afin de l’éveiller et de l’infléchir [139] comme il faut. [EtreTemps29]

Pour la considération philosophique, le logos est lui-même un étant, et même, [159] conformément à l’orientation de l’ontologie antique, un étant sous-la-main. Les mots et la suite de mots où il se trouve son ex-pression sont de prime abord sous-la-main, c’est-à-dire trouvables comme des choses. Cette première recherche de la structure du logos ainsi considéré comme sous-la-main rencontre un être-ensemble-sous-la-main d’une pluralité de mots. Qu’est-ce qui fonde l’unité de cet ensemble ? Elle consiste, comme l’avait vu Platon, en ce que le logos est toujours logos tinos. Dans la perspective de l’étant manifeste dans le logos, les mots sont composés en une totalité verbale. Plus radicale cependant est la vision d’Aristote : tout logos, pour lui, est à la fois synthesis et diairesis, il n’est pas l’une (par exemple en tant que « jugement positif ») ou l’autre (par exemple en tant que « jugement négatif »), mais, qu’il soit positif ou négatif, vrai ou faux, il est synthesis et diairesis cooriginairement. La mise en lumière prend ensemble ou sépare. Sinon, Aristote n’a pas déployé la question analytique jusqu’à soulever le problème suivant : quel est le phénomène qui, à l’intérieur de la structure du logos, permet et même requiert de caractériser tout énoncé comme synthèse et diérèse ?
Ce qui devait être phénoménalement atteint avec ces structures formelles du « lier » et du « séparer », plus exactement avec leur unité, n’est autre que le phénomène du « quelque chose comme quelque chose ». Conformément à cette structure, quelque chose est compris vers, en direction de quelque chose — en étant pris avec lui, mais de telle manière que cette confrontation compréhensive, en articulant de manière explicitative, ex-plique en même temps ce qui est ainsi pris ensemble, le dé-ploie. Mais que le phénomène du « comme » demeure recouvert, et surtout voilé en son origine existentiale à partir du « comme » herméneutique, et alors l’amorçage phénoménologique donné par Aristote à l’analyse du logos se dissout aussitôt en une « théorie du jugement » extérieure, selon laquelle le juger est liaison ou séparation de représentations et de concepts. [EtreTemps33]

Si le titre d’idéalisme signifie autant que la compréhension de ceci que l’être n’est jamais explicable par de l’étant, mais est à chaque fois déjà le « transcendantal » pour tout étant, alors l’idéalisme contient la possibilité unique et correcte d’une problématique philosophique — et alors, faut-il ajouter, Aristote n’aura pas été moins idéaliste que Kant. Si au contraire l’idéalisme signifie la reconduction de tout étant à un sujet ou une conscience ayant pour tout privilège distinctif de demeurer indéterminés en leur être et de pouvoir tout au plus être caractérisés négativement comme des « non-choses », alors cet idéalisme n’est pas moins naïf sur le plan méthodologique que le plus grossier des réalismes. [EtreTemps43]

De tous temps, la philosophie a rapproché vérité et être. La première découverte de l’être de l’étant chez Parménide « identifie » l’être avec la compréhension ac-cueillante de l’être : to gar auto noein estin te kai einai [NA: Fragment 5, Diels [= 3, Diels-Kranz].]. Dans son esquisse de l’histoire de la découverte des archai [NA: Met., A.], Aristote souligne que c’est guidés par « les choses mêmes » que les [213] philosophes antérieurs à lui furent contraints de questionner plus avant : auto to pragma hodopoiesen autois kai sunenagkase zetein [NA: Id., 984 a 18 sq.]. Il caractérise encore ce même fait par ces mots : anagkazomenos d’akolouthei tois phainomenois [NA: Id., 986 b 31]; il (Parménide) fut contraint de suivre ce qui se montrait en lui-même. Dans un autre passage, nous lisons : hup’ autes tes aletheias anagkazomenoi [NA: Id., 984 b 10.], c’est contraints par la « vérité » elle-même qu’ils menèrent la recherche. Cette recherche, Aristote la caractérise comme philosophein peri tes aletheias [NA: Id., 983 b 2 ; cf. 988 a 20.], « philosopher » sur la « vérité », ou encore apophainesthia peri tes aletheias [NA: Id., ? 1, 993 b 17.], comme un faire-voir qui met en lumière eu égard à et dans l’orbe de la « vérité ». La philosophie elle-même est déterminée comme episteme tis tes aletheias [NA: Id., 993 b 20.], une science de la « vérité ». Mais en même temps, elle est caractérisée comme une episteme, he theorei to on he on [NA: Id., . 1, 1003 a 21.], une science qui considère l’étant en tant qu’étant, c’est-à-dire eu égard à son être. [EtreTemps44]

Trois thèses caractérisent la conception traditionnelle de l’essence de la vérité et l’opinion qu’on se fait de sa définition première : 1. Le « lieu » de la vérité est l’énoncé (le jugement) ; 2. l’essence de la vérité réside dans l’« accord » du jugement avec son objet ; 3. Aristote, le père de la logique, aurait lui aussi assigné la vérité au jugement comme à son lieu originaire, et il aurait lui aussi mis en circulation la définition de la vérité comme « accord ».
Notre intention n’est pas ici de retracer une histoire du concept de vérité, qui d’ailleurs ne pourrait être exposée que sur la base d’une histoire de l’ontologie. Quelques références caractéristiques à des données bien connues suffiront à introduire nos élucidations analytiques.
Aristote dit : pathemata tes psyches ton pragmaton homoiomata [NA: ARISTOTE, De Interpretatione, 1, 16 a 6.], les « vécus » de l’âme, les noemata (représentations) sont des as-similations aux choses. Cet énoncé qu’Aristote ne donne nullement pour une définition d’essence expresse de la vérité, a fourni son occasion à l’élaboration de la définition ultérieure de l’essence de la vérité comme adaequatio intellectus et rei. Thomas d’Aquin [NA: Quaestiones disputatae de Veritate, q. 1, a. 1.], qui renvoie à propos de cette définition à Avicenne, qui l’avait à son tour reçu du Livre des Définitions d’Isaac Israëli (Xème siècle), utilise aussi, au lieu de adaequatio (as-similation, ad-équation), les termes correspondentia (correspondance) et convenientia (con-venance, convergence). [EtreTemps44]

Être-vrai (vérité) veut dire être-découvrant. Mais n’est-ce pas là une définition suprêmement arbitraire de la vérité ? Et même si des déterminations conceptuelles aussi violentes peuvent permettre de mettre l’idée d’accord hors circuit du concept de la vérité, ce gain douteux n’est-il pas payé du prix d’une annulation de la « bonne » vieille tradition ? Réponse : notre définition apparemment arbitraire ne contient que l’interprétation nécessaire de ce que la plus ancienne tradition de la philosophie antique a originairement pressenti, et même préphénoménologiquement compris. L’être-vrai du logos comme apophansis est l’aletheuein selon la guise de l’apophainesthai : faire voir, en le dégageant de son retrait, l’étant en son hors-retrait (être-découvert). L’aletheia, qui est identifiée par Aristote, d’après les textes cités plus haut, avec le pragma, les phainomena signifie les « choses mêmes » , ce qui se montre, l’étant dans le comment de son être-découvert. Est-ce d’autre part un hasard si, dans l’un des fragments d’Héraclite [NA: Pour l’idée de légitimation comme « identification », cf. HUSSERL, Recherches logiques, t. II-2, Recherche VI ; sur « évidence et vérité », id., § 36-39, p. 115 sq. [trad. citée, p. 143 sq. (N.d.T.)] Les exposés courants de la théorie phénoménologique de la vérité se restreignent à ce que Husserl en dit dans les Prolégomènes (t. I), dont la fonction est critique, et notent le rapport de cette théorie avec la doctrine de la proposition de Bolzano ; en revanche, ils laissent de côté les interprétations phénoménologiques positives qui, quant à elles, sont radicalement différentes de celle de Bolzano. Le seul à avoir positivement reçu — bien qu’il se situât en dehors de la recherche phénoménologique — les analyses citées fut E. Lask, dont la Logik der Philosophie de 1911 est aussi fortement marquée par la VIème Recherche (« Intuitions sensible et catégoriale », p. 128 sq.) que sa Lehre vom Urteil [Doctrine du jugement] l’est par les chapitres cités sur l’évidence et la vérité. 1 Fragment 1, Diels [= 1, Diels-Kanz].], qui constituent les témoignages doctrinaux les plus anciens de la philosophie qui traitent expressément du logos, perce le phénomène de la vérité au sens d’être-découvert (hors-retrait) que nous venons de dégager ? Au logos et à celui qui le dit et le comprend, sont opposés les hommes sans entente. Le logos est phrazon hokos echei, il dit comment l’étant se comporte. Aux hommes sans entente, au contraire, échappe (lanthanei), demeure retiré ce qu’ils font : epilanthanontai, ils oublient, autrement dit cela sombre à nouveau pour eux dans le retrait. Ainsi, au logos, appartient le hors-retrait, aletheia. La traduction par le mot « vérité », pour ne rien dire des déterminations conceptuelles théoriques de cette expression, recouvre le sens de ce que les Grecs placèrent « tout naturellement » en fait de précompréhension préphilosophique à la base de l’usage terminologique d’aletheia. [EtreTemps44]

Mais en même temps, il ne doit pas passer inaperçu que chez les Grecs, qui furent les premiers à élaborer scientifiquement et à porter à la souveraineté cette compréhension d’être prochaine, la compréhension originaire, quoique préontologique, de la vérité n’en était pas moins vivante, et même qu’elle s’affirma — tout au moins chez Aristote [NA: Cf. Eth. Nic., VI et Met., ? 10.] — contre le recouvrement que représentait leur ontologie.
Aristote, en effet, n’a jamais défendu la thèse que le « lieu » originaire de la vérité est le [226] jugement. Bien plutôt dit-il que le logos est la guise d’être du Dasein qui peut être découvrante ou recouvrante. Cette double possibilité, voilà ce qui détermine de manière insigne l’être-vrai du logos : il est le comportement qui peut aussi recouvrir. Et comme Aristote n’a jamais affirmé la thèse citée, il ne s’est j.amais non plus trouvé dans la situation d’« élargir » le concept de vérité du logos au pur noein. La « vérité » de l’aisthesis et de la vision des « idées » est le découvrir originaire. Et c’est seulement parce que la noesis découvre primairement que le logos comme dianoein peut aussi avoir une fonction de découverte.
Non seulement la thèse selon laquelle le « lieu » natif de la vérité est le jugement invoque en vain l’autorité d’Aristote, mais encore elle représente, en sa teneur même, une méconnaissance de la structure de la vérité. Loin d’être le « lieu » primaire de la vérité, l’énoncé, en tant que mode d’appropriation de l’être-découvert et que guise de l’être-au-monde se fonde au contraire dans le découvrir, ou dans l’ouverture du Dasein. La « vérité » la plus originaire est le « lieu » de l’énoncé et la condition ontologique de possibilité pour que des énoncés puissent être vrais ou faux (découvrants ou recouvrants). [EtreTemps44]

Commençons l’analyse par la mise en lumière de la temporalité de la peur [NA: Cf. supra, § 30, p.[140] sq.]. Elle a été caractérisée comme une affection inauthentique. Or dans quelle mesure le sens existential qui la rend possible est-il l’être-été ? Quelle modalité de cette ekstase caractérise-t-elle la temporalité spécifique de la peur ? Celle-ci est un prendre-peur devant un redoutable qui, importun pour le pouvoir-être factice du Dasein, fait approche — selon la guise qu’on a décrite — dans l’orbe de l’à-portée-de-la-main dont il se préoccupe et du sous-la-main. Le prendre-peur ouvre, selon la guise de la circon-spection quotidienne, une menace. Un sujet purement intuitionnant serait incapable de découvrir quelque chose de tel. Mais cet ouvrir propre au prendre-peur devant... n’est-il pas un laisser-ad-venir-à-soi ? N’a-t-on pas pu déterminer à bon droit la peur comme l’attente d’un mal à venir (malum futurum) ? Le sens temporel primaire de la peur n’est-il pas l’avenir — et rien moins que l’être-été ? Incontestablement, le prendre-peur ne se « rapporte » pas seulement à « de l’avenir » si l’on prend ce mot au sens de ce qui ne fait qu’advenir « dans le temps », mais ce se-rapporter lui-même est a-venant dans un sens temporel originaire. Manifestement, un s’attendre appartient conjointement à la constitution temporalo-existentiale de la peur. Mais cela signifie d’abord tout au plus que la temporalité de la peur est une temporalité inauthentique. Le prendre-peur devant... n’est-il que l’attente d’une menace qui vient ? Mais l’attente d’une menace qui vient n’a pas besoin d’être déjà de la peur, et elle l’est si peu que le caractère tonal spécifique de la peur lui fait précisément défaut. Car ce caractère consiste en ce que le s’attendre de la peur laisse le menaçant re-venir vers le pouvoir-être facticement préoccupé. Or je ne puis m’attendre au menaçant comme revenant vers l’étant que je suis, autrement dit le Dasein ne peut être menacé que si le vers-quoi de ce retour vers... est déjà en général ekstatiquement ouvert. Que le s’attendre apeuré prenne-peur pour « soi », autrement dit que le prendre-peur de... soit toujours un prendre-peur pour..., cela implique le caractère de tonalité et d’affect de la peur. Son sens temporalo-existential est constitué par un s’oublier : le désengagement égaré devant le pouvoir-être factice propre en lequel l’être-au-monde menacé se préoccupe de [342] l’à-portée-de-la-main. Aristote détermine à juste titre la peur comme lupe tis he tarake, comme un être-oppressé ou un égarement [NA: Cf. Rhet. B 5, 1382 a 21.]. L’être-oppressé ramène de force le Dasein à son être-jeté, mais de telle manière que celui-ci soit précisément refermé. L’égarement se fonde dans un oubli. Le désengagement oublieux devant un pouvoir-être factice, résolu, s’en tient aux possibilités de salut et d’esquive qui, préalablement, ont déjà été découvertes par la circon-spection. La préoccupation qui prend-peur, parce qu’elle s’oublie et ainsi ne s’empare d’aucune possibilité déterminée, saute du prochain au prochain. Toutes les possibilités « possibles », donc aussi impossibles, s’offrent. Celui qui prend-peur ne se tient à aucune d’elles, le « monde ambiant » ne disparaît pas, mais il fait encontre de telle sorte que l’on ne s’y reconnaît plus. Au s’oublier de la peur appartient ce présentifier égaré du plus proche quelconque. Il est bien connu, par exemple, que les habitants d’une maison en flammes « sauvent » souvent les choses les plus indifférentes, ce qui est immédiatement à-portée-de-leur-main. La présentification oublieuse de soi d’un fouillis de possibilités flottantes rend possible l’égarement qui constitue le caractère de tonalité de la peur. L’oubli de l’égarement modifie aussi le s’attendre, et le caractérise comme ce s’attendre oppressé ou égaré qui se distingue d’une attente pure. [EtreTemps68]

Comment quelque chose comme le « temps » se montre-t-il de prime abord à la préoccupation quotidienne, circon-specte ? Dans quel usage préoccupé, dans quel emploi d’outils le temps devient-il expressément accessible ? S’il est vrai qu’avec l’ouverture du monde, du temps est publié, et qu’avec la découverte d’étant intramondain qui appartient à l’ouverture du monde, ce temps s’offre toujours aussi à la préoccupation dans la mesure où c’est en comptant avec soi que le Dasein compte le temps, alors le comportement où l’« on » s’oriente expressément sur le temps réside dans l’usage d’horloges. Le sens temporalo-existential de celui-ci se révèle être un présentifier de l’aiguille en mouvement. La poursuite présentifiante des emplacements occupés par l’aiguille décompte. Ce présentifier se [421] temporalise dans l’unité ekstatique d’un conserver qui s’attend. Conserver le « alors » (passé) en présentifiant signifie : en disant maintenant, être ouvert à l’horizon du plus-tôt, autrement dit du maintenant-ne-plus. S’attendre au « alors » (futur) en présentifiant signifie disant-maintenant, être ouvert à l’horizon du plus tard, c’est-à-dire du maintenant-pas-encore. Ce qui se montre en un tel présentifier est le temps. Quelle sera donc la définition du temps manifeste dans l’horizon de l’usage circon-spect, prenant le temps, préoccupé, des horloges ? Il est ce DÉCOMPTÉ qui se montre dans la poursuite présentifiante, décomptante de l’aiguille en mouvement, et cela de telle manière que le présentifier se temporalise dans une unité ekstatique avec le conserver et le s’attendre horizontalement ouverts au plus tôt et au plus tard. Mais ce n’est là rien d’autre que l’explicitation ontologico-existentale de la définition que donne du temps Aristote : touto gar estin ho chronos, arithmos kineseos kata to proteron kai hysteron. « Car tel est le temps : le décompté dans le mouvement qui fait encontre dans l’horizon du plus tôt et du plus tard » [NA: Cf. Phys. ? 11, 219 b 1 sq.]. Si étrange que paraisse au premier regard cette définition, elle n’en est pas moins « évidente » et puisée à la source, à condition toutefois que soit délimité l’horizon ontologico-existential d’où Aristote l’a tirée. L’origine du temps ainsi manifeste ne devient pas pour Aristote un problème. Son interprétation du temps se meut bien plutôt dans la direction de la compréhension « naturelle » de l’être. Néanmoins, comme c’est celle-ci, ainsi que l’être compris en elle, qui est fondamentalement prise pour problème par la présente interprétation, c’est seulement après la résolution de la question de l’être que l’analyse aristotélicienne du temps pourra être thématiquement interprétée, et cela de telle sorte qu’elle obtiendra une signification fondamentale pour l’appropriation positive de la problématique critiquement délimitée de l’ontologie antique en général [NA: Cf. supra, § 6, p. [19-27].].
Toute élucidation postérieure du concept de temps s’en tiendra fondamentalement à la définition aristotélicienne, c’est-à-dire qu’elle ne prendra le temps pour thème que tel qu’il se montre dans la préoccupation circon-specte. Le temps est le « décompté », autrement dit ce qui est ex-primé et, quoique non thématiquement, visé dans le présentifier de l’aiguille (ou de l’ombre) en mouvement. Et ce qui est dit dans la présentification du mû en son mouvement, c’est : « maintenant ici, maintenant ici, etc. » Le décompté, ce sont les maintenant. Et ceux-ci se montrent « en tout maintenant » comme « à l’instant ne plus » et « juste maintenant pas encore ». Le temps du monde « aperçu » de cette manière dans l’usage de l’horloge, nous le nommons le temps du maintenant. [EtreTemps81]

Bien que l’expérience vulgaire du temps ne connaisse de prime abord et le plus souvent que le « temps du monde », elle ne lui en attribue pas moins en même temps et toujours un rapport privilégié à l’« âme » et à l’« esprit ». Et cela n’est pas moins vrai lorsque le questionnement philosophique se tient encore éloigné de toute orientation expresse et primaire sur le « sujet ». Deux témoignages caractéristiques suffiront à le montrer : Aristote dit : ei de meden allo pephuken arthmein e psyche kai psyches nous, adunaton einai chronon psyches me ouses [NA: Physique, ?, 14, 223 a 25-26 ; cf. ibid., 11, 218 b 29-219 a 1, 219 a 4-6.]. Et Augustin écrit : « Inde mihi visum est, nihil esse aliud tempus quam distensionem ; sed cujus rei nescio ; et mirum si non ipsius animi » [NA: Confessiones, XI, XXVI, 33, (NT: p. 287, Skutella : « Par suite, il m’est apparu que le temps n’est pas autre chose qu’une distention, mais de quoi ? Je ne sais, et il serait surprenant que ce ne fût pas de l’esprit lui-même. »)] Ainsi donc même l’interprétation du Dasein comme temporalité n’est pas fondamentalement extérieure à l’horizon du concept vulgaire du temps. Et Hegel a déjà fait la tentative expresse de dégager la connexion entre le temps vulgaire compris et l’esprit, tandis que chez Kant le temps est certes « subjectif », mais se tient sans lien « à côté », du « Je pense » [NA: Dans quelle mesure, chez Kant, émerge pourtant par ailleurs une compréhension plus radicale du temps que chez Hegel, c’est ce que montrera la section 1 de la deuxième partie du présent essai. (NT: Cf. le plan général indiqué supra, p. [40].)]. La fondation [428] hegélienne de la connexion entre temps et esprit est spécialement appropriée pour préciser indirectement, par voie de confrontation, l’interprétation du Dasein comme temporalité et la mise en lumière de l’origine du temps du monde qui viennent d’être accomplies. [EtreTemps81]

Le « lieu systématique » où une interprétation du temps est accomplie peut valoir comme critère de la conception fondamentale du temps qui en est alors directrice. La première explicitation thématique traditionnelle de la compréhension vulgaire du temps se trouve dans la Physique d’Aristote, c’est-à-dire dans le contexte d’une ontologie de la nature. Le « temps » se tient alors en connexion avec le « lieu » et le « mouvement ». [...] [EtreTemps82]

NA: De la primauté du maintenant nivelé, il appert que la détermination conceptuelle du temps par Hegel suit elle aussi la tendance de la compréhension vulgaire du temps, c’est-à-dire en même temps du concept traditionnel du temps. Il est possible de montrer que le concept hegélien du temps est même directement puisé dans la Physique d’Aristote. En effet, dans la Logique d’Iéna (cf. l’éd. G. Lasson, 1923), qui fut esquissée au temps de l’habilitation de Hegel, l’analyse du temps de l’Encyclopédie est déjà configurée en tous ses éléments essentiels. Or la section qu’elle consacre au temps (p. 202 sq.) se révèle même à l’examen le plus sommaire comme une paraphrase du traité aristotélicien du temps. Hegel, dès sa Logique d’Iéna, développe sa conception du temps dans le cadre de la philosophie de la nature (p. 186), dont la première partie est intitulée : « Système du Soleil » (p. 195). C’est en annexe à une détermination conceptuelle de l’éther et du mouvement que Hegel élucide le concept de temps. (L’analyse de l’espace, en revanche, est encore subordonnée à celle du temps.). Bien que la dialectique perce déjà, elle n’a pas encore ici la forme rigide, schématique qu’elle prendra plus tard, mais rend encore possible une compréhension souple des phénomènes. Sur le chemin qui conduit de Kant au système élaboré de Hegel s’accomplit une fois encore une percée décisive de l’ontologie et de la logique aristotéliciennes. Ce fait, sans doute, est depuis longtemps bien connu ; et pourtant les voies, les modalités et les limites de cette influence demeurent aujourd’hui encore tout aussi obscures. Une interprétation philosophique comparative concrète de la Logique d’Iéna de Hegel et de la Physique et de la Métaphysique d’Aristote apportera une lumière nouvelle. Pour éclairer notre méditation ci-dessus, quelques indications grossières peuvent ici nous suffire : Aristote voit l’essence du temps dans le nun, Hegel dans le maintenant. A. saisit le nun, comme horos, Hegel le maintenant comme « limite ». A. comprend le nun, comme stigme. H. interprète le maintenant comme point. A. caractérise le nun comme tode ti. H. appelle le maintenant le « ceci absolu ». A., en conformité à la tradition, met en relation le chronos avec la sphaira, Hegel met l’accent sur le « cours circulaire » du temps. À Hegel, bien entendu, échappe la tendance centrale de l’analyse aristotélicienne du temps, qui est de mettre à découvert entre nun, horos, stigme, tode ti une connexion de dérivation (akolouthein). — Quelles que soient les différences qui l’en séparent dans le mode de justification, la conception de Bergson s’accorde quant à son résultat avec la thèse de Hegel : l’espace « est » temps. Simplement, Bergson dit à l’inverse : le temps est espace. Du reste, la conception bergsonienne du temps provient elle aussi manifestement d’une interprétation du traité aristotélicien du temps. Ce n’est pas simplement une concomitance littéraire extérieure si, en même temps que l’Essai de Bergson sur les données immédiate de la conscience, où est exposé le problème du « temps » et de la « durée », parut un autre essai du même intitulé : Quid Aristoteles de loco senserit. En référence à la détermination aristotélicienne du temps comme arithmos kineseos Bergson fait précéder l’analyse du temps d’une analyse du nombre. Le temps comme espace (cf. Essai, p. 69) est succession quantitative. Par opposition à ce concept du temps, la durée est décrite comme succession qualitative. Ce n’est pas ici le lieu d’engager un débat critique avec le concept bergsonien du temps et les autres conceptions actuelles du temps. Indiquons seulement que, si ces analyses ont en général conquis quelque chose d’essentiel par rapport à Aristote et à Kant, ce gain concerne davantage la saisie du temps et la « conscience du temps ». — Cela dit, nos indications au sujet de la connexion directe qui existe entre le concept hegélien du temps et l’analyse aristotélicienne du temps n’a point pour but d’attribuer à Hegel une « dépendance », mais d’attirer l’attention sur la portée ontologique fondamentale de cette filiation pour la logique hegélienne. — Sur « Aristote et Hegel », v. aussi l’essai ainsi intitulé de N. HARTMANN dans les « Beiträge zur philosophie des deutschen Idealismus », t. III, 1923, p. 1-36. [EtreTemps82]

Nous ne pensons pas de façon assez décisive encore l’essence de l’agir. On ne connaît l’agir que comme la production d’un effet dont la réalité est appréciée suivant l’utilité qu’il offre. Mais l’essence de l’agir est l’accomplir. Accomplir signifie: déployer une chose dans la plénitude de son essence, atteindre à cette plénitude, producere. Ne peut donc être accompli proprement que ce qui est déjà. Or, ce qui " est " avant tout est l’Être. La pensée accomplit la relation de l’Être à l’essence de l’homme. Elle ne constitue ni ne produit elle-même cette relation. La pensée la présente seulement à l’Être, comme ce qui lui est remis à elle-même par l’Être. Cette offrande consiste en ceci, que dans la pensée l’Être vient au langage. Le langage est la maison de l’Être. Dans son abri, habite l’homme. Les penseurs et les poètes sont ceux qui veillent sur cet abri. Leur veille est l’accomplissement de la révélabilité de l’Être, en tant que par leur dire ils portent au langage cette révélabilité et la conservent dans le langage. La pensée n’est pas d’abord promue au rang d’action du seul fait qu’un effet sort d’elle ou qu’elle est appliquée à... La pensée agit en tant qu’elle pense. Cet agir est probablement le plus simple en même temps que le plus haut, parce qu’il concerne la relation de l’Être à l’homme. Or, toute efficience repose dans l’Être et de là va à l’étant. La pensée, par contre, se laisse revendiquer par l’Être pour dire la vérité de l’Être. La pensée accomplit cet abandon. Penser est l’engagement par l’Être pour l’Être je ne sais si le langage peut unir ce double " par " et " pour " dans une seule formule comme: penser c’est l’engagement de l’Être . Ici, la forme du génitif " de l’... " doit exprimer que le génitif est à la fois subjectif et objectif. Mais " sujet " et " objet " sont en l’occurrence des termes impropres de la métaphysique - cette métaphysique qui, sous les espèces de la " logique " et de la " grammaire " occidentales, s’est de bonne heure emparée de l’interprétation du langage. Ce qui se cèle dans un tel événement, nous ne pouvons qu’à peine le pressentir aujourd’hui. La libération du langage des liens de la grammaire, en vue d’une articulation plus originelle de ses éléments, est réservée à la pensée et à la poésie. La pensée n’est pas seulement l’engagement dans l’action pour et par l’étant au sens du réel de la situation présente. La pensée est l’engagement par et pour la vérité de l’Être, cet Être dont l’histoire n’est jamais révolue, mais toujours en attente. L’histoire de l’Être supporte et détermine toute condition et situation humaine. Si nous voulons seulement apprendre à expérimenter purement cette essence de la pensée dont nous parlons, ce qui revient à l’accomplir, il faut nous libérer de l’interprétation technique de la pensée dont les origines remontent jusqu’à Platon et Aristote. A cette époque, la pensée elle-même a valeur de techne, elle est processus de la réflexion au service du faire et du produire. Mais, alors, la réflexion est déjà envisagée du point de vue de la praxis et de la theoria. C’est pourquoi la pensée, si on la prend en elle-même, n’est pas " pratique ". Cette manière de caractériser la pensée comme theoria et la détermination du connaître comme attitude " théorétique ", se produit déjà à l’intérieur d’une interprétation " technique " de la pensée. Elle est une tentative de réaction pour garder encore à la pensée une autonomie en face de l’agir et du faire. Depuis, la " philosophie " est dans la nécessité constante de justifier son existence devant les " sciences ". Elle pense y arriver plus sûrement en s’élevant elle-même au rang d’une science. Mais cet effort est l’abandon de l’essence de la pensée. La philosophie est poursuivie par la crainte de perdre en considération et en validité, si elle n’est science. On voit là comme un manque qui est assimilé à une non-scientificité. L’Être en tant que l’élément de la pensée est abandonné dans l’interprétation technique de la pensée. La " logique " est la sanction de cette interprétation, en vigueur dès l’époque des sophistes et de Platon. On juge la pensée selon une mesure qui lui est inappropriée. Cette façon de juger équivaut au procédé qui tenterait d’apprécier l’essence et les ressources du poisson sur la capacité qu’il a de vivre en terrain sec. Depuis longtemps, trop longtemps déjà, la pensée est échouée en terrain sec. Peut-on maintenant appeler " irrationalisme " l’effort qui consiste à remettre la pensée dans son élément? " CartaH: P 67-69

Mais la métaphysique ne connaît l’éclaircie de l’Être que comme le regard vers nous de ce qui est présent dans l’" apparaître " (idea) ou, d’un point de vue critique, comme ce que la subjectivité atteint au terme de sa visée dans la représentation catégoriale. C’est dire que la vérité de l’Être, en tant que l’éclaircie elle-même, reste celée à la métaphysique. Ce cèlement toutefois n’est pas une insuffisance de la métaphysique, c’est au contraire le trésor de sa propre richesse qui lui est à elle-même soustrait et cependant présenté. Or, cette éclaircie elle-même est l’Être. C’est elle qui d’abord accorde, tout au long du destin de l’Être dans la métaphysique, cet espace de vue du sein duquel ce qui est présent atteint l’homme qui lui est présent, de sorte que seulement dans le percevoir noein l’homme lui-même peut toucher à l’Être Thigein Aristote, Mét., (, 10). Seul cet espace de vue attire à lui la visée. Il se livre à elle, lorsque la perception est devenue la representation-production, dans la perceptio de la res cogitans comme subjectum de la certitudo. "? CartaH: P 89

La " logique " comprend la pensée comme la représentation de l’étant dans son être, être que la représentation se donne dans la généralité du concept. Mais qu’en est-il de la réflexion sur l’Être lui-même, c’est-à-dire de la pensée qui pense la vérité de l’Être ? Cette pensée est la première à atteindre l’essence originelle du logos qui déjà, chez Platon et chez Aristote, le fondateur de la " logique ", se trouve ensevelie et a consommé sa perte. Penser contre " la logique " ne signifie pas rompre une lance en faveur de l’illogique, mais seulement: revenir dans sa réflexion au logos et à son essence telle qu’elle apparaît au premier âge de la pensée, c’est-à-dire se mettre enfin en peine de préparer une telle ré-flexion. A quoi bon tous les systèmes, si prolixes encore, de la logique, s’ils commencent par se soustraire à la tâche de poser d’abord et avant tout la question portant sur l’essence du logos, et cela sans même savoir ce qu’ils font. Si on voulait retourner les objections, ce qui est assurément stérile, on pourrait dire avec plus de raison encore: l’irrationalisme, en tant que refus de la ratio, règne en maître inconnu et incontesté dans la défense de la " logique ", puisque celle-ci croit pouvoir esquiver une méditation sur le logos et sur l’essence de la ratio qui a en lui son fondement. CartaH: P 108-109

Cette sentence est la suivante (fragment 119): ethos anthropo daimon. Ce qu’on traduit d’ordinaire: " Lecaractère propre d’un homme est son démon." Cette traduction révèle une façon de penser moderne, non point grecque. ethos signifie séjour, lieu d’habitation. Ce mot désigne la région ouverte où l’homme habite. L’ouvert de son séjour fait apparaître ce qui s’avance vers l’essence de l’homme et dans cet avènement séjourne en sa proximité. Le séjour de l’homme contient et garde la venue de ce à quoi l’homme appartient dans son essence. C’est, suivant le mot d’Héraclite daimon, le dieu. La sentence dit: l’homme habite, pour autant qu’il est homme, dans la proximité du dieu. L’histoire que voici, rapportée par Aristote (Parties des Animaux, A 5, 645 a 17), va dans le même sens: CITATION GRECQUE; " D’Héraclite on rapporte un mot qu’il aurait dit à des étrangers désireux de parvenir jusqu’à lui. S’approchant, ils le virent qui se chauffait à un four de boulanger. Ils s’arrêtèrent, interdits, et cela d’autant plus que, les voyant hésiter, Héraclite leur rend courage et les invite à entrer par ces mots: "Ici aussi les dieux sont présents." " CartaH: P 115



C’est pourquoi, au 4e chapitre du IV, livre de la Métaphysique, où il traite de ce qu’on appellera plus tard le principe de contradiction et de son fondement, Aristote observe : « C’est manquer de paideia que de ne pas savoir pour quelles choses il faut chercher une preuve et pour lesquelles il ne le, faut pas. » [GA10 62]

Submitted on:  Sun, 21-Jul-2019, 16:31