« phénomène »

Category: Heidegger - Etre et temps etc.
Submitter: Murilo Cardoso de Castro

« phénomène »

L’expression est composée de deux éléments : phénomène et logos ; l’un et l’autre remontent à des termes grecs : phainomenon ou logos. Considéré extérieurement, le titre « phénoménologie » est formé de la même manière que théologie, biologie, sociologie, noms que l’on traduit par : science de Dieu, de la vie, de la communauté. La phénoménologie serait ainsi la science des phénomènes. Le pré-concept de la phénoménologie doit être établi par la caractérisation de ce qui est désigné par les deux constituants du titre, « phénomène » et « logos », et par la fixation du sens du nom composé des deux. L’histoire du mot lui-même, qui semble être né dans l’école de Wolff, est ici sans importance. EtreTemps7

L’expression grecque phainomenon, à laquelle remonte le terme « phénomène », dérive du verbe phainesthai, qui signifie : se montrer ; phainomenon signifie donc : ce qui se montre, le manifeste ; phainesthai est lui-même une formation moyenne de phaino, mettre au jour, à la lumière ; phaino, appartient au radical pha ?, tout comme phos, la lumière, la clarté, c’est-à-dire ce où quelque chose peut devenir manifeste, en lui-même visible. Comme signification de l’expression « phénomène », nous devons donc maintenir ceci : ce-qui-se-montre-en-lui-même, le manifeste. Les phainomena, « phénomènes » sont alors l’ensemble de ce qui est au jour ou peut être porté à la lumière - ce que les Grecs identifiaient parfois simplement avec ta onta (l’étant). Or l’étant peut se montrer en lui-même selon des guises diverses, suivant le mode d’accès à lui. La possibilité existe même que l’étant se montre comme ce qu’en lui-même il n’est pas. En un tel se-montrer, l’étant « a l’air de... », « est comme si... ». Nous [29] appelons un tel se-montrer le paraître. Et c’est ainsi qu’en grec l’expression phainomenon, phénomène présente également la signification de : ce qui est comme si..., l’« apparent », l’« apparence » ; phainomenon agathon, désigne un bien qui est comme si - mais qui « en réalité » n’est pas ce comme quoi il se donne. L’essentiel, pour une compréhension plus poussée du concept de phénomène, est d’apercevoir comment ce qui est nommé dans les deux significations de phainomenon ( « phénomène » au sens de ce qui se montre, « phénomène » au sens de l’apparence) forme une unité structurelle. C’est seulement dans la mesure où quelque chose en général prétend par son sens propre à se montrer, c’est-à-dire à être phénomène, qu’il peut se montrer comme quelque chose qu’il n’est pas, qu’il peut « seulement avoir l’air de... » Dans la signification du phainomenon comme apparence est déjà co-incluse, comme son fondement même, la signification originelle (phénomène : le manifeste). Nous assignons terminologiquement le titre de « phénomène » à la signification positive et originelle de phainomenon, et nous distinguons le phénomène de l’apparence comme modification primitive du phénomène. Cependant, ce que l’un et l’autre termes expriment n’a d’abord absolument rien à voir avec ce que l’on appelle [ordinairement] « phénomène » [NT: Ici, Erscheinung, terme signifiant littéralement « apparition » (ainsi le traduirons-nous dans la suite), mais qu’il est courant de traduire par phénomène, chez Kant par exemple. Sinon, pour désigner le phénomène au sens phénoménologique de ce qui se montre, Heidegger emploie toujours le mot Phänomen = phénomène.] ou même « simple phénomène ». EtreTemps7

On parle en effet par exemple de « phénomènes pathologiques ». Ce qu’on entend par là, ce sont des événements corporels qui se montrent et qui, tandis qu’ils se montrent et tels qu’ils se montrent, « indiquent » quelque chose qui soi-même ne se montre pas. L’apparition de tels événements, leur se-montrer est corrélatif de la présence de troubles qui eux-mêmes ne se montrent pas. Ce « phénomène » comme apparition « de quelque chose » ne signifie donc justement pas : se montrer soi-même, mais le fait, pour quelque chose qui ne se montre pas, de s’annoncer par quelque chose qui se montre. L’apparaître ainsi entendu est un ne-pas-se-montrer. Toutefois, ce ne pas ne doit pas être confondu avec le ne pas privatif qui détermine la structure de l’apparence. Ce qui ne se montre pas au sens de l’apparaissant ne peut pas non plus paraître. Toutes les indications, présentations, symptômes et symboles ont la structure formelle fondamentale de l’apparaître qui a été citée, quelles que soient les différences qui les séparent entre eux. EtreTemps7

Mais elle est encore aggravée par le fait qu’« apparition » est susceptible d’une quatrième signification. Soit l’annonce qui, en son se-montrer, indique le non-manifeste : si on la conçoit comme quelque chose qui surgit dans ce non-manifeste, qui en rayonne de telle manière que le non-manifeste soit pensé comme essentiellement jamais manifeste - alors apparition signifie autant qu’une production, c’est-à-dire un produit, mais qui ne constitue jamais l’être propre du producteur : c’est l’apparition au sens de « simple apparition ». Certes l’annonce produite se montre elle-même, de telle sorte qu’en tant que rayonnement de ce qu’elle annonce, elle voile justement et constamment celui-ci en lui-même. Mais ce non-montrer voilant n’est pas pour autant apparence. Kant utilise le terme Erscheinung, apparition [NT: Cf. notre N.d.T. précédente : d’après ce qui suit, on voit que notre trad. usuelle de ce terme kantien par « phénomène » n’a rien d’arbitraire ; Heidegger lui-même, du reste, la trouvait parfaitement légitime.] dans ce double sens. Des apparitions, selon lui, ce sont d’abord les « objets de l’intuition empirique », ce qui se montre en celle-ci. Mais cet étant qui se montre (le phénomène au sens authentique et originel) est en même temps « apparition » au sens d’un rayonnement annonciateur de quelque chose qui se retire dans l’apparition. EtreTemps7

Phénomène - le se-montrer-en-soi-même - signifie un mode d’encontre privilégié de quelque chose. Apparition, au contraire, désigne un rapport de renvoi qui est au sein même de l’étant, de telle manière que ce qui renvoie (ce qui annonce) ne petit satisfaire à sa fonction possible que s’il se montre en lui-même, est « phénomène ». Apparition et apparence sont elles-mêmes diversement fondées dans le phénomène. La multiplicité confuse des « phénomènes » qui sont nommés par les titres de phénomène, d’apparence, d’apparition, de simple apparition ne peut être débrouillée qu’à condition que d’emblée le concept de phénomène soit compris comme : ce-qui-se-montre-en-lui-même. EtreTemps7

Il suffit d’évoquer concrètement ce que vient d’établir l’interprétation du « phénomène » et du « logos » pour que saute aux yeux le lien interne unissant les choses visées par ces deux termes. L’expression phénoménologie peut être formulée en grec : legein ta phainomena mais legein signifie apophainesthai. Phénoménologie veut donc dire : apophainesthai ta phainomena : faire voir à partir de lui-même ce qui se montre tel qu’il se montre à partir de lui-même. Tel est le sens formel de la recherche qui se donne le nom de phénoménologie. Mais ce n’est alors rien d’autre qui vient à l’expression que la maxime formulée plus haut : « Aux choses mêmes ! » EtreTemps7

« Derrière » les phénomènes de la phénoménologie il n’y a essentiellement rien d’autre, mais ce qui doit devenir phénomène peut très bien être en retrait. Et c’est précisément parce que les phénomènes, de prime abord et le plus souvent, ne sont pas donnés qu’il est besoin de phénoménologie. L’être-recouvert est le concept complémentaire du « phénomène ». EtreTemps7

C’est le moment structurel « monde » que, dans l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], il convient en premier lieu de manifester. L’exécution de cette tâche paraît facile et si triviale que l’on croit encore et toujours en être dispensé. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire : décrire « le monde » comme phénomène ? Faire voir ce qui se montre, en fait d’« étant », à l’intérieur du monde. Le premier pas sera donc une énumération de ce qu’il y a « dans » le monde : des maisons, des arbres, des hommes, des montagnes, des astres. Nous pouvons dépeindre l’« aspect » de cet étant et raconter ce qui survient en lui et avec lui. Cependant, tout cela reste à l’évidence une « affaire » pré-phénoménologique, qui ne peut prétendre à aucune pertinence phénoménologique. La description reste attachée à l’étant. Elle est ontique. Mais c’est l’être qui est cherché. Le « phénomène » au sens phénoménologique a été déterminé formellement comme ce qui se montre en tant qu’être et structure d’être. EtreTemps14

Au Dasein, conformément à son être-au-monde [In-der-Welt-sein], de l’espace découvert est à chaque fois - bien que non thématiquement - prédonné. L’espace en lui-même, en revanche, demeure de prime abord encore recouvert quant aux possibilités pures, contenues en lui, de pur être-spatial de quelque chose. Que l’espace se montre essentiellement dans un monde, cela ne décide encore rien sur la modalité de son être. Il n’a pas besoin d’avoir le mode d’être d’un étant lui-même sous-la-main ou à-portée-de-la-main spatialement. De ce que l’être de l’espace ne peut pas lui-même être compris selon le mode d’être de la res extensa, il ne s’ensuit ni qu’il doive être ontologiquement déterminé comme un « phénomène » de cette res - auquel [113] cas il ne se distinguerait pas d’elle en son être -, ni même que l’être de l’espace puisse être identifié à celui de la res cogitans et conçu comme simplement « subjectif », cela étant dit abstraction faite de la problématicité propre de l’être de ce sujet. EtreTemps24

Submitted on:  Tue, 13-Jul-2021, 11:54