à-portée-de-la-main

Category: Heidegger - Etre et temps etc.
Submitter: Murilo Cardoso de Castro

à-portée-de-la-main

VIDE Zuhandenheit, Vorhandenheit

L’usage spécifique de l’outil [Zeug], où celui-ci seulement peut se manifester authentiquement en son être, par exemple le fait de marteler avec le marteau, ne saisit point thématiquement cet étant comme chose survenante, pas plus que l’utilisation même n’a connaissance de la structure d’outil [Zeug] en tant que telle. Le martèlement n’a pas simplement en plus un savoir du caractère d’outil [Zeug] du marteau, mais il s’est approprié cet outil [Zeug] aussi adéquatement qu’il est possible. En un tel usage qui se sert de..., la préoccupation [Besorgen] se soumet au pour... constitutif de ce qui est à chaque fois outil [Zeug] ; moins la chose-marteau est simplement « regardée », plus elle est utilisée efficacement et plus originel est le rapport à elle, plus manifestement elle fait encontre comme ce qu’elle est - comme outil [Zeug]. C’est le marteler lui-même qui découvre le « tournemain » spécifique du marteau. Le mode d’être de l’outil [Zeug], où il se révèle à partir de lui-même, nous l’appelons l’être-à-portée-de-main. C’est seulement parce que l’outil [Zeug] a cet « être-en-soi », au lieu de se borner à survenir, qu’il est maniable au sens le plus large et disponible. Aussi aigu soit-il, l’avisement-sans-plus (NT: Cf. nos N.d.T. aux p. [57] et [61]. Littéralement : le fait de ne plus rien faire d’autre qu’aviser la chose, donc le pur et simple regard, « sans plus », sur elle.) de tel ou tel « aspect » des choses est incapable de découvrir de l’étant à-portée-de-la-main. Le regard qui n’avise les choses que « théoriquement » est privé de la compréhension de l’être-à-portée-de-main. Cependant, l’usage qui se sert de..., qui manie n’est pas pour autant aveugle, il possède son mode propre de vision qui guide le maniement et procure [à l’outil [Zeug]] sa choséité [Dinglichkeit] spécifique. L’usage de l’outil [Zeug] se soumet à la multiplicité de renvois du « pour... » La vue propre à cet ajointement est la circon-spection [NT: BW traduisaient par prévoyance. Plus « étymologique », notre traduction ne se prétend pas meilleure. Car l’idée est moins celle de tourner précautionneusement ses regards autour de soi (cf. la circonspection au sens moral, ou surtout Descartes, Principia, I, XIII, AT VIII-1, p. 9, l. 13-15 : « mens undiquaque circumspicit ut cognitionem suam ulterius extendat ») que d’avoir toujours déjà « des yeux » pour le monde ambiant. En outre, ce « pour » est plus essentiel encore que le « autour », et c’est bien pourquoi Heidegger, à la phrase précédente, a annoncé le mot Umsicht par la notion de pour... (Um-zu). On pourrait donc évoquer ici encore notre verbe « pourvoir », comme nous l’avions fait plus haut (n. à la p. [57]) à propos de l’expression Besorgen, préoccupation [Besorgen]. Bref, c’est simplement l’idée d’une « multiplicité de renvois » qui nous à paru recommander, mais non pas imposer, le terme de circon-spection, tandis que celle de prévoyance est déjà contenue dans le concept de « préoccupation [Besorgen] ».]. EtreTemps15

L’étant à-portée-de-la-main, pas plus qu’il n’est en général théoriquement saisi, n’est lui-même d’abord thématique pour la circon-spection. La spécificité de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main consiste à se retirer pour ainsi dire en son être-à-portée-de-main [NT: Au datif, sans « mouvement ». C’est en tant que l’être-à-portée-de-main de l’outil [Zeug] se retire comme tel, s’efface en quelque sorte, que l’outil [Zeug] peut effectivement « venir » à portée de ma main. Ce « retrait » constitutif du Zuhandenes est naturellement bien plus profond - et structurel - que celui dont nous parlions en N.d.T. à la p. [68]. Une telle structure « paradoxale » culminera dans la théorie du signe esquissée au §17 [EtreTemps17].], de façon à être justement à proprement parler à-portée-de-la-main. De même, ce auprès de quoi séjourne d’abord l’usage quotidien [alltäglich], ce ne sont pas les instruments de travail eux-mêmes : c’est l’ouvrage, c’est l’étant à chaque fois à produire qui est l’objet primaire de la préoccupation [Besorgen], [70] donc aussi l’à-portée-de-la-main ; c’est l’ouvrage qui porte la totalité de renvois au sein de laquelle l’outil [Zeug] fait encontre. EtreTemps15

Cependant, l’oeuvre à produire n’est pas seulement employable pour ... ; le produire lui-même est à chaque fois un emploi de quelque chose pour quelque chose. L’oeuvre inclut en même temps le renvoi à des « matériaux ». Elle est assignée à du cuir, du fil, des clous, etc. Le cuir à son tour est produit à partir de peaux. Celles-ci sont prises sur des animaux qu’élèvent d’autres hommes. Des animaux, il s’en présente aussi à l’intérieur du monde indépendamment de l’élevage, et même dans le cas de l’élevage ce type d’étant se produit d’une certaine manière lui-même. Par suite, dans le monde ambiant est également accessible de l’étant qui en lui-même n’a aucun besoin de production, qui est toujours déjà à-portée-de-la-main. Le marteau, les tenailles, le clou renvoient en eux-mêmes à (consistent en) de l’acier, du fer, du minerai, de la roche, du bois. Dans l’outil [Zeug] dont on se sert et par le fait de s’en servir est co-découverte la « nature » - la « nature » telle qu’éclairée par les produits naturels. EtreTemps15

Toutefois, la nature ne saurait être ici comprise comme ce qui est sans plus sous-la-main, et pas davantage comme puissance naturelle. La forêt est réserve de bois, la montagne est carrière de pierre, la rivière est force hydraulique, le vent est vent « dans les voiles ». Avec la découverte du « monde ambiant » vient à notre encontre une « nature » ainsi découverte. Il peut être fait abstraction de son mode d’être en tant qu’étant à-portée-de-la-main, elle-même peut n’être découverte et déterminée que dans son pur être-sous-la-main. Mais à une telle découverte de la nature demeure également retirée la nature comme ce qui « croit et vit », qui nous assaille, nous captive en tant que paysage. Les plantes du botaniste ne sont pas les fleurs du sentier, les « sources » géographiquement situées d’un fleuve ne sont pas sa « source jaillissante ». EtreTemps15

L’ouvrage produit ne renvoie pas seulement au pour... de son employabilité et à ce dont il est constitué : dans les conditions les plus simples de sa fabrication, il contient en même temps un renvoi à celui qui le portera et l’utilisera. L’ouvrage est taillé à sa mesure, il « est » [71] co-présent dans la naissance de l’ouvrage. Même dans la production en série, ce renvoi constitutif n’est nullement absent ; il est seulement indéterminé, il est dirigé vers n’importe qui, vers la moyenne. Dans l’ouvrage, par conséquent, ne vient pas seulement à notre rencontre de l’étant qui est à-portée-de-la-main, mais aussi de l’étant ayant le mode d’être du Dasein, pour qui le produit vient à-portée-de-la-main au sein de sa préoccupation [Besorgen] ; et du même coup fait encontre le monde où vivent les usagers - notre monde. L’ouvrage à chaque fois produit par la préoccupation [Besorgen] n’est pas seulement à-portée-de-la-main dans le monde domestique - celui de l’atelier, par exemple -, mais dans le monde public. Avec celui-ci est découverte et accessible à tous la nature du monde ambiant. Dans les voies, les routes, les points, les édifices, la nature est découverte d’une certaine manière grâce à la préoccupation [Besorgen]. Un quai de gare couvert témoigne du mauvais temps, les éclairages publics de l’obscurité, c’est-à-dire du change spécifique de la présence et de l’absence du jour - de la « position du soleil ». Dans les horloges, il est à chaque fois tenu compte d’une certaine constellation dans le système du monde. Lorsque nous regardons l’heure, nous faisons tacitement usage de la « position du soleil » d’après laquelle est établie la régulation astronomique officielle de la mesure du temps. Dans l’emploi de l’horloge, de cet étant tout d’abord à-portée-de-la-main sans s’imposer à l’attention, la nature du monde ambiant est conjointement à-portée-de-la-main. À chaque fois, la préoccupation [Besorgen] s’identifie à son monde d’ouvrage prochain, et il est essentiel à la fonction découvrante de cette identification que, suivant la modalité que celle-ci revêt à chaque fois, l’étant intramondain engagé dans le travail - c’est-à-dire dans les renvois qui le constituent - demeure découvrable selon divers degrés d’explicitation et conformément à la profondeur avec laquelle la circon-spection le pénètre. Le mode d’être de cet étant est l’être-à-portée-de-la-main. Celui-ci, toutefois, ne doit pas être compris comme un simple caractère d’appréhensibilité, comme si un « étant » rencontré de prime abord se chargeait après coup d’« aspects », ou comme si une matière du monde de prime abord sous-la-main recevait une « coloration subjective ». Une interprétation ainsi orientée perd de vue que, pour être exacte, il faudrait que l’étant fût d’abord entendu et découvert comme du pur sous-la-main qui, ensuite, devrait garder la primauté et le commandement au fur et à mesure que l’usage découvrirait et s’approprierait le « monde ». Mais pareille conception répugne déjà au sens ontologique du connaître qui, comme nous l’avons mis en évidence, est un mode fondé de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. C’est seulement en passant par l’étant à-portée-de-la-main dans l’usage et en le dépassant que le connaître peut aller jusqu’à dégager l’étant en tant que sans plus sous-la-main. L’être-à-portée-de-la-main est la détermination ontologico-catégoriale de l’étant tel qu’il est, « en soi ». Et pourtant, dira-t-on, de l’à-portée-de-la-main, il « n’y en a » que sur la base du sous-la-main. Mais s’ensuit-il - si l’on concède la thèse - que l’être-à-portée-de-la-main soit ontologiquement fondé dans l’être-sous-la-main ? EtreTemps15

Le monde n’est pas lui-même un étant intramondain, et pourtant il détermine cet étant à tel point qu’il ne peut faire encontre [begegnen] et, en tant qu’étant découvert, se montrer en son être que pour autant qu’il « y a » monde. Mais comment « y a-t-il » monde ? Si le Dasein est constitué ontiquement par l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] et si une compréhension d’être de son Soi-même appartient - si indéterminée soit-elle - tout aussi essentiellement à son être, n’a-t-il pas alors une compréhension du monde, une compréhension préontologique, laquelle se passe certes et peut se passer d’aperçus ontologiques explicites ? Est-ce que quelque chose comme le monde ne se manifeste pas à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé en même temps que l’étant rencontré à l’intérieur du monde, c’est-à-dire que son intramondanéité [Weltlichkeit] ? Ce phénomène ne vient-il pas sous un regard préphénoménologique, et ne se tient-il pas toujours déjà sous un tel regard sans exiger une interprétation thématiquement ontologique ? Le Dasein, au sein même de son identification préoccupée avec l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main, n’a-t-il pas une possibilité d’être d’après laquelle, en même temps que l’étant intramondain dont il se préoccupe, la mondanéité [Weltlichkeit] même de cet étant luit (NT: « Luire » (aufleuchten) : ce mot, lui non plus, n’est pas métaphorique, comme le montrera son emploi ultérieur au sein du présent paragraphe, p. [75]) d’une certaine manière à ses yeux ? EtreTemps16

À la quotidienneté [Alltäglichkeit] de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] appartiennent des modes de préoccupation [Besorgen] qui [73] font apparaître l’étant dont le Dasein se préoccupe de manière telle que c’est alors la mondialité [Weltmässigkeit] [NT: « Mondialité » : le mot allemand dit littéralement : conformité au monde, propriété d’être à la mesure du monde. On ne confondra pas cette détermination avec la mondanéité [Weltlichkeit] du Dasein, ou du monde « lui-même ».] de l’intramondain qui vient au paraître. Dans la préoccupation [Besorgen], l’étant de prime abord à-portée-de-la-main peut être rencontré comme inutilisable, comme impropre à son emploi déterminé. L’instrument de travail apparaît endommagé, le matériau inapproprié. L’outil [Zeug], en tout état de cause, demeure alors à-portée-de-la-main : mais ce qui découvre l’inemployabilité, ce n’est pas la constatation avisante de telles ou telles propriétés, mais la circon-spection propre à l’usage qui utilise. En une telle découverte de l’inemployabilité, l’outil [Zeug] s’impose. L’imposition [NT: Imposition, insistance, saturation. BW traduisaient les trois termes allemands employés dans cette page : Auffälligkeit, Aufdringlichkeit, Aufsässigkeit (non néologiques) par « attention », « importunité » et « persévération », ce qui est sans doute plus conforme aux indications du dictionnaire, mais non pas à l’esprit de la présente analyse, dans la mesure où ces trois déterminations concernent moins l’« expérience » de l’outil [Zeug] par le « sujet » que l’outil [Zeug] lui-même selon que, tout en s’effaçant, il apparaît pour la dernière - ou plutôt pour la première - fois. Il faut ici respecter, en d’autres termes, le fait que l’être-sous-la-main, s’il transparaît, ne devient pas pour autant considérativement thématique. Le marteau mal emmanché, le marteau sans clous, le marteau et les clous rencontrant l’obstacle d’un noeud dans le bois, bien loin de retenir mon attention, de m’être importuns, de m’imposer leur persévération - ce qui est évidemment exact, mais secondaire ici - demeurent si bien à-portée-de-la-main que c’est alors justement que leur être-à-portée-de-la-main s’annonce.] donne l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main sous la figure d’un certain ne-pas-être-à-portée-de-la-main. Or cela implique ceci : l’inutilisable gît simplement là - il se montre comme chose-outil [Zeug] qui a tel ou tel aspect et qui, en son être-à-portée-de-la-main, manifeste par cet aspect qu’elle était aussi et constamment sous-la-main. Le pur être-sous-la-main s’annonce dans l’outil [Zeug], pour ensuite cependant se retirer à nouveau dans l’être-à-portée-de-la-main d’un étant dont on se préoccupe, en se sens qu’on le remet en état. Cet être-sous-la-main de l’inutilisable n’est pas encore purement et simplement privé de tout être-à-portée-de-la-main, l’outil [Zeug] ainsi sous-la-main n’est pas encore une chose qui surviendrait seulement quelque part. La dégradation de l’outil [Zeug] n’est pas encore un simple changement chosique, une simple mutation de propriétés survenant dans un étant sous-la-main. EtreTemps16

Mais l’usage préoccupé ne se heurte pas seulement à de l’inemployable à l’intérieur de ce qui est déjà à-portée-de-la-main, il rencontre aussi de l’étant qui fait défaut - qui non seulement n’est pas « maniable », mais encore n’est absolument pas « à main ». En tant que découverte d’un non-à-portée-de-la-main, un constat d’absence de cette sorte découvre du même coup l’à-portée-de-la-main dans un certain être-sans-plus-sous-la-main. Dans cette remarque de son non-à-portée-de-la-main, l’étant à-portée-de-la-main revêt le mode de l’insistance. Plus le besoin de ce qui fait défaut se fait sentir de façon pressante, plus proprement il est rencontré dans son ne-pas-être-à-portée-de-la-main, et d’autant plus insistant devient l’étant à-portée-de-la-main, au point même de sembler perdre le caractère de l’être-à-portée-de-la-main. Il se dévoile comme sans-plus-sous-la-main, dont il n’y a rien à faire sans ce qui manque. Le désarroi, en tant que mode déficient d’une préoccupation [Besorgen], découvre l’être-sans-plus-sous-la-main d’un étant à-portée-de-la-main. EtreTemps16

Enfin, dans l’usage du monde de la préoccupation [Besorgen], le non-à-portée-de-la-main peut faire encontre [begegnen] non seulement au sens de ce qui est inemployable ou de qui manque purement et simplement, mais encore en tant que non-à-portée-de-la-main qui précisément ne fait pas défaut et n’est pas inutilisable, mais qui « fait obstacle » à la préoccupation [Besorgen]. Ce vers quoi la préoccupation [Besorgen] ne peut pas se tourner, ce pour quoi elle n’a « pas le temps », cela est du [74] non-à-portée-de-la-main selon la guise de ce qui ne convient pas, de ce qui n’est pas en place. Ce non-à-portée-de-la-main perturbe, et rend visible la saturation de l’objet premier et primaire de la préoccupation [Besorgen]. Avec cette saturation s’annonce d’une façon nouvelle l’être-sous-la-main de l’étant à-portée-de-la-main : c’est l’être de ce qui traîne encore, et demande à être liquidé. EtreTemps16

Les modes de l’imposition, de l’insistance et de la saturation ont pour fonction de porter au paraître dans l’étant à-portée-de-la-main le caractère de l’être-sous-la-main. Cependant, l’à-portée-de-la-main n’est pas alors encore simplement considéré et fixé comme du sous-la-main, l’être-sous-la-main qui s’annonce demeure lié à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil [Zeug]. Celui-ci ne se voile pas encore en simples choses. L’outil [Zeug] devient seulement « une chose qu’on a laissée traîner » [NT: Il faudrait traduire carrément par « un machin », puisque tel est dans un allemand plus familier l’autre sens du mot Zeug, outil [Zeug]. « Was machen sie mit diesen alten Zeugen ? », « Que cherchez-vous à tirer de ces vieilles choses ? » aurait dit Husserl à Heidegger, parlant... de ses propres Recherches logiques.] et qu’il faudrait écarter du chemin ; ce besoin d’éloignement manifeste cependant que l’étant à-portée-de-la-main est demeuré tel en dépit de son être-sous-la-main irréductible. EtreTemps16

En quoi cette indication au sujet de la modification de la rencontre de l’étant à-portée-de-la-main et du dévoilement de son être-sous-la-main peut-elle contribuer à l’éclaircissement du phénomène du monde ? En analysant cette modification, nous sommes restés attachés à l’être de l’étant intramondain, et nous n’avons donc pas encore réussi à nous rapprocher du phénomène du monde. Et pourtant, même sans encore le saisir, nous nous sommes assurés de la possibilité de porter ce phénomène sous le regard. EtreTemps16

Dans l’imposition, l’insistance et la saturation, l’étant à-portée-de-la-main perd d’une certaine manière son être-à-portée-de-la-main. D’autre part, celui-ci est lui-même compris - quoique non thématiquement - dans l’usage de l’à-portée-de-la-main. Il ne disparaît pas purement et simplement, mais, dans l’imposition de l’inemployable, il prend pour ainsi dire congé. L’être-à-portée-de-la-main se montre encore une fois, et c’est justement alors que se montre aussi la mondialité [Weltmässigkeit] de l’à-portée-de-la-main. EtreTemps16

La structure de l’être de l’étant à-portée-de-la-main comme outil [Zeug] est déterminée par les renvois. L’« en-soi » spécifique et évident des « choses » les plus proches fait encontre dans la préoccupation [Besorgen] qui se sert d’elles - sans y prendre garde expressément - et qui donc peut se heurter à de l’inutilisable. Un outil [Zeug] est inemployable, cela implique que le renvoi concret d’un pour... à une destination est perturbé. Les renvois eux-mêmes ne sont pas considérés proprement, ils sont « là » dans la soumission préoccupée à eux. Mais dans la perturbation du renvoi - dans l’inemployabilité pour... - le renvoi devient exprès. Non pas encore, certes, en tant que structure ontologique, mais ontiquement pour la circon-spection qui se heurte à la détérioration de l’instrument. Avec ce réveil circon-spect du renvoi à ce qui est chaque fois le [75] « pour-cela », celui-ci même et, avec lui, le complexe d’ouvrage, tout l’« atelier » en tant que lieu où la préoccupation [Besorgen] se tient toujours déjà, deviennent visibles. Le complexe d’outils luit, non pas comme quelque chose qui n’aurait pas encore été vu, mais comme le tout constamment et d’emblée pris en vue dans la circon-spection. Or, avec une telle totalité, c’est le monde qui s’annonce. EtreTemps16

De même le manque d’un étant à-portée-de-la-main, dont la présence quotidienne [alltäglich] était si « évidente » que nous n’en avions même pas fait la remarque, est une rupture des complexes de renvois découverts dans la circon-spection. La circon-spection se heurte au vide et voit maintenant seulement ce pour quoi et avec quoi ce qui manque était à-portée-de-la-main. Derechef s’annonce le monde ambiant. Ce qui luit ainsi n’est assurément pas lui-même un à-portée-de-la-main parmi d’autres, et encore moins un sous-la-main qui, par exemple, fonderait l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main. Il est dans le « là » avant toute constatation et considération. Il est lui-même inaccessible à la circon-spection dans la mesure où celle-ci porte toujours sur de l’étant, et pourtant il lui est à chaque fois déjà ouvert. « Ouverture », ce terme sera utilisé dans la suite terminologiquement, et il aura toujours le sens de « être ouvert à... », « avoir de l’ouverture pour... » (NT: Le concept d’« ouverture » (Erschlossenheit) sera analysé au §28 [EtreTemps28]. Comme le remarquent BW, n. 1 à la p. [133], le terme d’Aufgeschlossenheit, dont Heidegger se sert ici pour en donner une première idée générale, « s’applique tout particulièrement à un homme qu’on juge ouvert et accessible à toute idée nouvelle et étrangère à toute sollicitation raisonnable, un homme compréhensif et abordable ». ). EtreTemps16

Que le monde ne « consiste » pas en de l’étant-à-portée-de-la-main, c’est ce que montre entre autres le fait que la lueur du monde dans les modes de préoccupation [Besorgen] qu’on vient d’interpréter ne va jamais sans une dé-mondanéisation de l’à-portée-de-la-main, où vient alors au paraître son être-sans-plus-sous-la-main. Pour que l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main puisse, dans la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich] pour le « monde ambiant », faire encontre [begegnen] en son « être-en-soi », il faut que les renvois et les totalités de renvois auxquels la circon-spection s’« identifie » demeurent pour elle non thématiques, et le soient aussi et surtout pour toute saisie in-circon-specte, « thématisante ». Le ne-pas-s’annoncer du monde est la condition de possibilité permettant à l’étant à-portée-de-la-main de ne pas ressortir hors de sa non-imposition. En cela se constitue la structure phénoménale de l’être-en-soi de cet étant. EtreTemps16

Les expressions privatives comme non-imposition, non-insistance, non-saturation visent un caractère phénoménal positif de l’être de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Ces négations désignent le caractère de retenue-en-soi de l’à-portée-de-la-main, autrement dit ce que nous avons en vue en parlant d’être-en-soi, même si, de manière tout à fait caractéristique, c’est « d’abord » au sous-la-main en tant que thématiquement constatable que nous l’attribuons. Mais tant que l’on s’oriente primairement, voire exclusivement, sur le sous-la-main, il est impossible d’éclaircir ontologiquement l’« en-soi ». Et pourtant une interprétation est indispensable si l’on veut que l’expression d’« en soi » présente quelque pertinence ontologique. La plupart du temps, on invoque ontiquement et emphatiquement - [76] cet en soi de l’être, non d’ailleurs sans un certain droit phénoménal. Toutefois, cette invocation ontique ne peut prétendre faire office de l’énoncé ontologique qu’elle croit fournir. Notre analyse antérieure suffit à montrer clairement que l’être-en-soi de l’étant intramondain n’est saisissable ontologiquement que sur le fondement du phénomène du monde. EtreTemps16

Notre interprétation provisoire de la structure d’être de l’étant à-portée-de-la-main (des « outils ») a mis en évidence le phénomène du renvoi ; elle l’a fait, cependant, de manière si schématique que nous avions en même temps souligné la nécessité de mettre à découvert ce phénomène, d’abord simplement indiqué, en sa provenance ontologique. De plus, il est apparu que le renvoi et la totalité de renvois devaient en un certain sens être constitutifs de la mondanéité [Weltlichkeit] elle-même. Le monde, en effet, nous ne l’avons vu jusqu’ici que luire dans et pour des guises déterminées de la préoccupation [Besorgen] pour l’étant à-portée-de-la-main dans le monde ambiant, plus précisément avec l’être-à-portée-de-la-main de cet étant. Par suite, plus [77] nous pénétrerons dans la compréhension de l’être de l’étant intramondain, et plus s’élargira et se consolidera le sol phénoménal pour la libération du phénomène du monde. EtreTemps17

L’exemple de signe que nous choisirons devra également manifester sa valeur exemplaire à un autre point de vue au cours d’une analyse ultérieure. Récemment, les voitures ont été équipées d’une flèche rouge mobile dont la position montre à chaque fois, à un carrefour par exemple, quelle direction la voiture va prendre. La position de cette flèche est réglée par le chauffeur. Ce signe est un outil [Zeug], qui n’est pas seulement à-portée-de-la-main dans la préoccupation [Besorgen] (conduite) du chauffeur. Même ceux - surtout ceux - qui ne font pas route avec lui se servent de cet outil [Zeug], en s’écartant d’après la direction indiquée ou en s’arrêtant. Ce signe est à-portée-de-la-main de manière intramondaine au sein du complexe total d’outils des moyens de locomotion et des règlements de circulation. En tant qu’outil [Zeug], cet outil [Zeug] de monstration est constitué par le renvoi. Il a le caractère du pour..., il a son utilité déterminée, il est là pour montrer. Ce montrer du signe peut être saisi comme « renvoyer ». Toutefois, il faut y prendre garde, ce « renvoyer » comme montrer n’est pas la structure ontologique du signe comme outil [Zeug]. EtreTemps17

Le « renvoyer » comme montrer se fonde bien plutôt dans la structure d’être de l’outil [Zeug], dans son utilité pour... Celle-ci ne fait pas encore d’un étant un signe. L’outil [Zeug] « marteau » est constitué lui aussi par une utilité, mais il ne devient pas pour autant un signe. Le « renvoi » d’ordre monstratif est la concrétion ontique du pour... d’une utilité et destine un outil [Zeug] à celui-ci. Le renvoi « utilité pour... », au contraire, est une déterminité [Bestimmtheit] ontologico-catégoriale de l’outil [Zeug] comme outil [Zeug]. Que le pour-quoi de l’utilité trouve dans le montrer sa concrétion, cela est accidentel à la constitution d’outil [Zeug] en tant que telle. Grâce à cet exemple du signe, se manifeste déjà de manière grossière la différence séparant le renvoi comme utilité et le renvoi comme montrer. L’un et l’autre coïncident si peu que c’est seulement dans leur unité qu’ils rendent possible la concrétion d’une espèce déterminée d’outil [Zeug]. Mais aussi sûrement le [79] montrer est radicalement différent du renvoyer comme constitution d’outil [Zeug], aussi incontestablement le signe a derechef un rapport spécifique, et même insigne, au mode d’être du complexe d’outils à chaque fois à-portée-de-la-main dans le monde ambiant et à la mondialité [Weltmässigkeit] qui lui est propre. L’outil [Zeug] de monstration a dans l’usage préoccupé un emploi privilégié. Néanmoins, il ne saurait suffire, au point de vue ontologique, de constater simplement ce fait. Le fondement, le sens de ce privilège doivent être éclaircis. EtreTemps17

Des signes comme celui qu’on a décrit laissent de l’à-portée-de-la-main faire encontre [begegnen], plus précisément ils rendent un complexe d’étant à-portée-de-la-main accessible de telle [80] manière que l’usage préoccupé se donne et s’assure une orientation. Le signe n’est pas une chose qui se tiendrait avec une autre chose en relation monstrative, c’est un outil [Zeug] qui rend un complexe d’outils expressément manifeste pour la circon-spection, de telle manière que s’annonce du même coup la mondialité [Weltmässigkeit] de l’à-portée-de-la-main. Dans l’indication ou dans le signe précurseur, « ce qui vient » « se montre », mais non pas au sens d’un étant seulement survenant qui ad-viendrait à ce qui est déjà sous-la-main ; ce « qui vient » est quelque chose à quoi nous nous préparons, ou « à quoi nous ne nous attendions pas », « qui nous prend au dépourvu » parce que nous nous consacrions à autre chose. De même, dans le signe rétrospectif, devient accessible à la circon-spection ce qui s’est accompli et joué. Quant à l’insigne, il montre ce « à quoi » l’on a à chaque fois affaire. Les signes montrent toujours primairement ce « dans quoi » l’on vit, ce auprès de quoi la préoccupation [Besorgen] séjourne et de quoi il retourne alors avec lui. EtreTemps17

L’« institution des signes » peut également manifester avec une clarté particulière ce caractère spécifique des signes. Cette institution, en effet, s’accomplit dans, et à partir d’une prévoyance circon-specte qui a besoin de la possibilité à-portée-de-la-main de se faire toujours annoncer par un étant à-portée-de-la-main le monde ambiant à chaque fois accessible. Or à l’être qui est de prime abord à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde appartient un caractère qui a été décrit plus haut [NT: Supra, p. [75].]: il se retient en soi, il ne ressort pas. C’est pourquoi l’usage circon-spect a besoin de trouver dans le monde ambiant un outil [Zeug] à-portée-de-la-main qui assume en son caractère d’outil [Zeug] la « tâche » de faire s’imposer l’à-portée-de-la-main. De ce fait, la production d’un tel outil [Zeug] - des signes - doit se soucier de leur imposition. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’on portera les outils ainsi devenus manifestes à un quelconque être-sous-la-main : au contraire, il devront être « disposés » d’une manière déterminée, propre à faciliter leur accès. EtreTemps17

Cependant, l’institution des signes n’a pas forcément besoin, pour s’accomplir, de produire un outil [Zeug] qui ne serait pas encore à-portée-de-la-main. Des signes peuvent prendre naissance tandis que l’on prend pour signe un étant déjà à-portée-de-la-main. Or dans cette modalité, l’institution des signes dévoile un sens encore plus originel. Car ce n’est pas seulement le montrer qui procure la disponibilité orientée de façon circon-specte d’un ensemble à-portée-de-la-main d’outils et du monde ambiant en général : il se peut même que l’institution des signes les découvre la première. Ce qui est pris comme signe devient tout d’abord accessible par son être-à-portée-de-la-main. Lorsque par exemple dans le travail des champs le vent du sud « vaut » comme signe de la pluie, cette « valeur » particulière, ou en général toute « valeur attachée » à cet étant n’est pas un supplément rajouté à un étant déjà en soi sous-la-main, à savoir le courant atmosphérique et une certaine direction géographique. Le vent du sud n’est jamais de prime abord sous-la-main à titre d’étant survenant sans plus et météorologiquement accessible en tant que tel, qui, après-coup, revêtirait à l’occasion la fonction d’un signe précurseur. C’est bien plutôt la circon-spection propre au travail des [81] champs qui, tenant compte de lui, découvre justement pour la première fois le vent du sud en son être. EtreTemps17

Pourtant, répliquera-t-on, il faut bien que ce qui est pris pour signe soit déjà devenu accessible en lui-même, qu’il ait déjà été saisi avant l’institution du signe. Assurément, cet étant doit pouvoir en général se laisser trouver d’une manière ou d’une autre. La question reste seulement de savoir comment dans cette rencontre préalable, l’étant est découvert - s’il l’est comme pure chose survenante et non pas plutôt comme outil [Zeug] encore incompris, comme étant à-portée-de-la-main dont on ne savait jusqu’alors « que faire », et qui ainsi se dissimulait encore à la circon-spection. Ici encore, rien n’autorise à interpréter les caractères d’outil [Zeug] encore non découverts à la circon-spection propres à l’à-portée-de-la-main comme une simple choséité [Dinglichkeit] prédonnée à une saisie de l’étant sans plus sous-la-main. EtreTemps17

L’être-à-portée-de-la-main de signes dans l’usage quotidien [alltäglich], l’imposition propre aux signes et productible dans des intentions et selon des guises diverses ne se bornent pas à attester la non-imposition qui est constitutive de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main : il faut aller jusqu’à dire que le signe lui-même emprunte son imposition à la non-imposition de l’ensemble d’outils à-portée-de-la-main tel qu’il « va de soi » dans la quotidienneté [Alltäglichkeit]. Ainsi par exemple du signe mnémonique bien connu qu’est le « noeud au mouchoir » : ce qu’il doit montrer, c’est à chaque fois quelque chose dont la circon-spection de la quotidienneté [Alltäglichkeit] a à se préoccuper. Mais ce signe peut montrer beaucoup de choses, et des plus variées. À l’étendue de ce qui est montrable en un tel signe correspond l’étroitesse de la compréhensibilité et de l’emploi. Non seulement le signe n’est le plus souvent à-portée-de-la-main comme signe que pour son « instituteur », mais encore il peut devenir inaccessible à celui-ci même, de telle sorte qu’il est besoin d’un second signe pour assurer l’employabilité circon-specte possible du premier. Par là, le noeud inutilisable comme signe ne perd nullement son caractère de signe, mais il obtient de surcroît l’insistance inquiétante d’un étant tel que de prime abord à-portée-de-la-main. EtreTemps17

Ce rôle prééminent que les signes, au sein de la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich], jouent dans la compréhension du monde, on pourrait être tenté de l’illustrer à partir de l’emploi abondant que le Dasein primitif fait de « signes », par exemple de fétiches et de sorts. Assurément l’institution de signes qui est à la base d’un tel emploi ne s’accomplit point dans une intention théorique, ni par le moyen d’une spéculation théorique. L’emploi des signes demeure alors complètement intérieur à un être-au-monde [In-der-Welt-sein] « immédiat ». Toutefois, à y regarder de plus près, il apparaît qu’une interprétation du fétiche et des sorts qui prendrait pour fil conducteur l’idée de signe ne peut absolument pas suffire pour saisir le mode d’« être-à-portée-de-la-main » [82] propre à l’étant qui fait encontre dans le monde primitif. Du point de vue du phénomène du signe, c’est plutôt l’interprétation suivante qui s’imposerait : pour l’homme primitif, le signe coïncide avec le montré. Le signe peut lui-même représenter le montré, non pas seulement en le remplaçant, mais en ce sens que le signe est lui-même toujours le montré. Toutefois, cette coïncidence remarquable du signe avec le montré ne provient nullement de ce que la chose-signe aurait déjà subi une certaine « objectivation », de ce qu’elle serait expérimentée comme pure chose et transportée dans la même région d’être du sous-la-main que le montré. La « coïncidence » en question n’est point l’identification de choses auparavant isolées, elle suppose plutôt que le signe ne s’est pas encore libéré du désigné. Un tel emploi de signes s’identifie encore totalement à l’être du montré, à tel point qu’un signe comme tel ne peut encore absolument pas se dégager. La coïncidence ne se fonde point dans une objectivation première, mais dans son absence totale. Or cela signifie que le signe n’est absolument pas découvert comme outil [Zeug], et, en fin de compte, que l’« à-portée-de-la-main » intramondain n’a absolument pas le mode d’être de l’outil [Zeug]. Peut-être même un tel fil conducteur - nous voulons dire l’être-à-portée-de-la-main, l’outil [Zeug] - est-il de nul profit pour une interprétation du monde primitif, et pas davantage du reste l’ontologie de la choséité [Dinglichkeit]. Si cependant il demeure vrai qu’une compréhension de l’être est constitutive du Dasein et du monde primitifs, alors le besoin ne s’en fait que plus vivement sentir d’élaborer l’idée « formelle » de la mondanéité [Weltlichkeit], autrement dit d’un phénomène qui soit modifiable en un sens tel que tous les énoncés ontologiques qui prétendent que, dans tel contexte phénoménal prédonné, quelque chose n’est pas encore ou n’est plus ceci ou cela, puissent recevoir un sens phénoménal positif à partir de ce que cette chose n’est pas. EtreTemps17

L’interprétation du signe qu’on vient d’exposer était simplement destinée à offrir un point d’appui phénoménal à la caractérisation du renvoi. La relation entre signe et renvoi est triple : 1. Le montrer, en tant que concrétion possible du pour-quoi d’une utilité, est fondé dans la structure d’outil [Zeug] en général, dans le pour... comme tel (le renvoi). 2. Le montrer du signe appartient, en tant que caractère d’outil [Zeug] d’un étant à-portée-de-la-main, à une totalité d’outils, à un complexe de renvois. 3. Le signe n’est pas seulement à-portée-de-la-main avec tel autre outil [Zeug], mais, dans son être-à-portée-de-la-main propre, c’est le monde ambiant qui devient à chaque fois expressément accessible pour la circon-spection. Le signe est un étant ontiquement à-portée-de-la-main qui, en tant que cet outil [Zeug] déterminé, fonctionne en même temps comme quelque chose qui indique la structure ontologique de l’être-à-portée-de-la-main, de la totalité de renvois et de la mondanéité [Weltlichkeit]. C’est là que s’enracine le privilège de cet [83] à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde ambiant tel que le Dasein s’en préoccupe avec circon-spection. Mais du même coup, le renvoi, s’il doit devenir ontologiquement le fondement du signe, ne peut lui-même être conçu comme signe. Le renvoi n’est pas la déterminité [Bestimmtheit] ontique d’un à-portée-de-la-main, alors qu’il constitue pourtant l’être-à-portée-de-la-main en tant que tel. En quel sens le renvoi est-il alors la « présupposition » ontologique de l’à-portée-de-la-main, et dans quelle mesure, en tant que ce fondement ontologique, est-il en même temps un constituant de la mondanéité [Weltlichkeit] en général ? EtreTemps17

L’à-portée-de-la-main fait encontre de manière intramondaine. L’être de cet étant - l’être-à-portée-de-la-main - se tient donc dans un certain rapport ontologique au monde et à la mondanéité [Weltlichkeit]. Le monde, en tout étant à-portée-de-la-main, est toujours déjà « là ». Le monde est préalablement - non pas cependant thématiquement - découvert avec tout ce qui fait encontre. Mais il peut aussi luire en certaines guises de l’usage du monde ambiant. C’est à partir du monde que de l’à-portée-de-la-main est à-portée-de-la-main. Or comment le monde peut-il laisser de l’à-portée-de-la-main faire encontre [begegnen] ? Notre analyse a montré ceci : l’étant rencontré à l’intérieur du monde est libéré en son être pour la circon-spection préoccupée qui tient compte de lui. Que signifie cette libération préalable, et comment doit-elle être comprise en tant que privilège ontologique du monde ? Devant quels problèmes la question de la mondanéité [Weltlichkeit] du monde nous place-t-elle ? EtreTemps18

La tournure [Bewandtnis], tel est l’être de l’étant intramondain, l’être vers lequel il est à chaque fois déjà de prime abord libéré. Avec lui, en tant qu’étant, il retourne à chaque fois de ceci ou de cela. Cela, avoir une tournure [Bewandtnis], est la détermination ontologique de l’être de cet étant, et non pas un énoncé ontique à son sujet. Ce dont il retourne, voilà le pour-quoi de l’utilité et le à-quoi de l’employabilité. Avec le pour-quoi de l’utilité, il peut derechef retourner de... ; par exemple, avec cet étant à-portée-de-la-main que nous appelons, et pour cause, un marteau, ce dont il retourne, c’est de marteler ; avec ce martèlement, il retourne de consolider une maison ; avec cette consolidation, de se protéger des intempéries ; cette protection « est » en vue de l’abritement du Dasein, autrement dit en vue d’une possibilité de son être. De quoi retourne-t-il avec un étant à-portée-de-la-main, cela est à chaque fois prétracé à partir de la totalité de tournure [Bewandtnis]. La totalité de tournure [Bewandtnis] qui, par exemple, constitue en son être-à-portée-de-la-main l’étant à portée de la main dans un atelier, est « antérieure » à l’outil [Zeug] singulier ; de même, autre exemple, celle d’une ferme, avec l’ensemble de son matériel et de ses bâtiments. Mais la totalité de tournure [Bewandtnis] renvoie elle-même en dernière instance à un pour-quoi avec lequel il ne retourne plus de rien - autrement dit qui n’est plus un étant sur le mode d’être de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur d’un monde, mais un étant dont l’être est déterminé comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], à la constitution d’être duquel la mondanéité [Weltlichkeit] elle-même appartient. Ce pour-quoi primaire n’est plus un pour-cela comme « de » possible d’une tournure [Bewandtnis]. Le « pour-quoi » primaire est un en-vue-de-quoi. Mais le en-vue-de concerne toujours l’être du DASEIN, pour lequel en son être il y va toujours essentiellement de cet être. Nous n’avons pas encore à poursuivre plus avant la connexion indiquée, conduisant de la structure de la tournure [Bewandtnis] à l’être du Dasein en tant que en-vue-de-quoi authentique et unique. Préalablement, le « laisser-retourner » exige d’être suffisamment clarifié pour que nous portions le phénomène de la mondanéité [Weltlichkeit] à la déterminité [Bestimmtheit] requise pour pouvoir en général soulever les problèmes qui la concernent. EtreTemps18

Laisser-retourner signifie ontiquement : laisser, à l’intérieur d’une préoccupation [Besorgen] factice, un étant à-portée-de-la-main être comme il est, et afin qu’il soit tel. Ce sens ontique du « laisser être », nous le saisissons de manière fondamentalement ontologique, et nous [85] interprétons ainsi le sens de la libération préalable de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde. Laisser préalablement « être » quelque chose, cela ne veut pas dire commencer par le porter et le produire à son être, mais découvrir à chaque fois déjà de l’« étant » en son être à-portée-de-la-main et le laisser ainsi faire encontre [begegnen] comme l’étant de cet être. Ce laisser-retourner « apriorique » est la condition de possibilité requise pour que de l’à-portée-de-la-main fasse encontre, de telle manière que le Dasein, dans l’usage ontique de l’étant ainsi rencontré, puisse le laisser retourner de... au sens ontique. Le laisser-retourner compris ontologiquement, en revanche, concerne la libération de tout étant à-portée-de-la-main comme tel, soit qu’il retourne ontiquement de lui, soit qu’il soit plutôt un étant dont il ne retourne justement pas ontiquement - dont nous nous préoccupons de prime abord et le plus souvent, mais que nous ne laissons pas « être » comme étant découvert, en ce sens que nous le travaillons, l’améliorons ou le brisons. EtreTemps18

L’avoir-toujours-déjà-laissé-retourner qui libère ainsi l’étant à sa tournure [Bewandtnis] est un parfait apriorique qui caractérise le mode d’être du Dasein lui-même. Le laisser-retourner compris ontologiquement est libération préalable de l’étant à son être-à-portée-de-la-main intérieur au monde ambiant. C’est à partir du « de » du laisser-retourner qu’est libéré le « avec » de la tournure [Bewandtnis]. À la préoccupation [Besorgen], il fait encontre comme cet à-portée-de-la-main. Pour autant que se montre à elle en général un étant, autrement dit pour autant que celui-ci est découvert en son être, il est à chaque fois déjà de l’à-portée-de-la-main dans le monde ambiant et non pas justement « de prime abord » seulement une « matière universelle » sous-la-main. EtreTemps18

Le laisser-retourner préalable de... avec... se fonde dans un comprendre de quelque chose comme le laisser-retourner, le « de » de la tournure [Bewandtnis] et le « avec » de la tournure [Bewandtnis]. Ce dernier, et aussi ce qui est encore à son fondement - ainsi le pour-quoi dont il retourne, et le en-vue-de-quoi auquel tout pour-quoi reconduit à son tour en dernière instance -, tout cela doit préalablement être ouvert en une certaine compréhensibilité. Et qu’est-ce dont que cela «où» le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] se comprend préontologiquement ? Dans la compréhension du complexe de rapports cité, le Dasein, sur la base d’un pouvoir-être saisi expressément ou non, authentique ou non, en vue duquel il est lui-même, s’est assigné à un pour... Celui-ci pré-trace un pour-quoi en tant que « de » possible d’un laisser-retourner, lequel laisse également retourner, de par sa structure propre, « avec » quelque chose. À partir d’un en-vue-de-quoi, le Dasein se renvoie toujours déjà à l’« avec » d’une tournure [Bewandtnis], c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois déjà, pour autant qu’il est, de l’étant faire encontre [begegnen] comme à-portée-de-la-main. Ce dans quoi le Dasein se comprend préalablement sur le mode du se-renvoyer n’est pas autre chose que ce vers quoi il laisse préalablement de l’étant faire encontre [begegnen]. Le « où » du comprendre auto-renvoyant comme « vers » du faire-encontre de l’étant sur le mode de la tournure [Bewandtnis], tel est le phénomène du monde. Et la structure de ce vers quoi le Dasein se renvoie est ce qui constitue la mondanéité [Weltlichkeit] du monde. EtreTemps18

Le comprendre - phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31 [EtreTemps31]) - tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le Dasein se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour..., celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure [Bewandtnis]. Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire - ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le Dasein se donne préalablement à lui-même son être-au-monde [In-der-Welt-sein] à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité [Bedeutsamkeit]. Elle est ce qui constitue la structure du monde - de ce où le Dasein comme tel est à chaque fois déjà. Le Dasein est, en sa familiarité avec la significativité [Bedeutsamkeit], la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure [Bewandtnis] (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le Dasein est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main - le Dasein, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. EtreTemps18

La question critique suivante s’élève : est-ce que cette ontologie du « monde » s’enquiert vraiment du phénomène du monde, et, sinon, détermine-t-elle à tout le moins un étant intramondain au point que sa mondialité [Weltmässigkeit] puisse y être rendue visible ? Dans les deux cas, la réponse doit être négative. L’étant que Descartes s’efforce de saisir en son fond ontologique grâce à l’extensio n’est au contraire découvrable que moyennant le passage par un étant intramondain de prime abord à-portée-de-la-main. Cependant, quand bien même il en serait ainsi, quand bien même la caractérisation ontologique de cet étant intramondain déterminé (la nature) - aussi bien l’idée de substantialité que le sens du existit et du ad existendum inclus dans sa définition - conduirait dans l’obscurité, la possibilité ne subsiste-t-elle point de poser et de promouvoir d’une certaine manière le problème ontologique du monde à l’aide d’une ontologie qui se fonde sur la scission radicale de Dieu, du Moi et du « monde » ? Réponse : que même cette possibilité ne subsiste point, c’est là justement ce qui exige de montrer expressément que Descartes n’en est même pas à se tromper dans la détermination ontologique du monde, mais que son interprétation et les fondements sur lesquels elle repose ont conduit à passer par-dessus le phénomène du monde aussi bien que par-dessus l’être de l’étant intramondain de prime abord à-portée-de-la-main. EtreTemps21

Pourtant, répliquera-t-on, même si en effet le problème du monde ainsi que l’être de l’étant qui fait de prime abord encontre dans le monde ambiant lui demeurent recouverts, Descartes n’en a pas moins posé les fondements de la caractérisation ontologique de l’étant intramondain qui fonde en son être tout autre étant, à savoir la nature matérielle. C’est sur celle-ci, considérée comme la couche fondamentale, que s’édifient les autres couches de la réalité intramondaine ; c’est dans la chose étendue comme telle que se fondent tout d’abord les déterminité [Bestimmtheit]s ; qui certes se manifestent comme qualités, mais n’en sont pas moins « au fond » des modifications quantitatives des modes de l’extensio. Puis, sur ces qualités encore [99] réductibles, s’appuient ensuite les qualités spécifiques comme « beau », « laid », « adéquat », « inadéquat », « convenable », « non convenable » ; ces qualités, si on les envisage selon une orientation primaire sur la choséité [Dinglichkeit], doivent être saisies comme des prédicats axiologiques non quantifiables, qui confèrent à la chose d’abord seulement matérielle le caractère d’un objet de valeur. Avec cette stratification, la réflexion accède même à l’étant que nous avions caractérisé ontologiquement comme l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main. Il semble bien, par conséquent, que l’analyse cartésienne du « monde » procure des fondations solides à la structure de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main, et qu’elle requière tout au plus que l’on complète - comme il est aisé de le faire - la chose naturelle en chose d’usage au plein sens du terme. EtreTemps21

Notre première esquisse de l’être-à... (cf. §12 [EtreTemps12]) nous a amené à délimiter le Dasein par rapport à un mode d’être dans l’espace que nous appelons l’intériorité. Celle-ci signifie qu’un étant lui-même étendu est embrassé par les limites étendues d’un autre étant étendu. L’étant intérieur et l’étant embrassant sont tous deux sous-la-main dans l’espace. Et pourtant, l’exclusion d’une telle intériorité du Dasein dans un contenant spatial n’avait point pour intention d’exclure par principe toute spatialité du Dasein, mais seulement de garder la voie libre pour une aperception de la spatialité qui en est constitutive. Or c’est celle-ci que nous avons maintenant à établir. Cependant, comme l’étant intra-mondain est lui aussi dans l’espace, sa spatialité se trouvera dans une connexion ontologique avec le monde. Par conséquent, il faut déterminer en quel sens l’espace est un constituant du monde, lequel, de son côté, a été caractérisé comme moment structurel de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Spécialement, il convient de montrer comment l’ambiance du monde, la spatialité spécifique de l’étant qui fait encontre dans le monde ambiant est elle-même fondée par la mondanéité [Weltlichkeit] du monde, et non [102] pas à l’inverse le monde sous-la-main dans l’espace. Cette recherche sur la spatialité du Dasein et la déterminité [Bestimmtheit] spatiale du monde prendra son point de départ dans une analyse de l’étant à-portée-de-la-main de manière intramondaine dans l’espace. La méditation traversera trois étapes : 1. La spatialité de l’à-portée-de-la-main intramondain (§22 [EtreTemps22]) ; la spatialité de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] (§23 [EtreTemps23]) ; 3. la spatialité du Dasein et l’espace (§24 [EtreTemps24]). EtreTemps21

Dans quelle mesure, en caractérisant l’à-portée-de-la-main, avons-nous d’ores et déjà rencontré sa spatialité ? Il a été question de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Or cette expression ne désigne pas seulement l’étant qui à chaque fois fait encontre d’abord, avant d’autres étants, mais aussi et en même temps l’étant qui est « à proximité ». L’à-portée-de-la-main de l’usage quotidien [alltäglich] a le caractère de la proximité. Cette proximité de l’outil [Zeug], a y regarder de plus près, est déjà suggérée dans le terme même qui exprime son être : « être-à-portée-de-la-main ». L’étant « à main » a à chaque fois une proximité différente, qui n’est point fixée par la mesure de distances. Cette proximité se règle bien plutôt à partir d’une utilisation et d’un emploi qui ne la « prennent en compte » que de manière circon-specte. En même temps, la circon-spection de la préoccupation [Besorgen] fixe l’étant ainsi proche au point de vue de la direction où l’outil [Zeug] est à chaque fois accessible. La proximité orientée de l’outil [Zeug] signifie qu’il n’a pas seulement, quelque part sous-la-main, son emplacement dans l’espace, mais que, en tant qu’outil [Zeug], il est essentiellement « amené », « remisé », « mis en place », « disposé ». Ou bien l’étant a sa place, ou bien il « traîne » - ce dernier cas devant être fondamentalement distingué de la pure survenance en un quelconque point de l’espace. La place se détermine à chaque fois comme place de cet outil [Zeug] pour... - à partir de la totalité des places, orientées les unes vers les autres, du complexe d’outils à-portée-de-la-main sur le mode du monde ambiant. La place et la diversité des places ne sauraient être interprétées comme le « où » d’un quelconque être-sous-la-main des choses. La place est toujours le « là-bas » et le « là » déterminés de la destination (NT: Le mot allemand (Hingehören) ne connotant pas ici une « finalité », mais le fait d’« avoir sa place », d’« être à sa place ».) d’un outil [Zeug], laquelle destination correspond à chaque fois au [103] caractère d’outil [Zeug] de l’à-portée-de-la-main, c’est-à-dire à l’appartenance à une totalité d’outils qui lui est assignée par sa tournure [Bewandtnis]. Toutefois, la destination emplaçable d’une totalité d’outils a pour condition de possibilité le « vers où » en général en lequel est assignée à un complexe d’outils la totalité de la place. Ce « vers où » de la destination outil [Zeug]itaire possible tenu d’avance sous le regard circon-spect de l’usage préoccupé, nous le nommons la contrée. EtreTemps22

Des contrées ne sont point d’abord formées par des choses ensemble sous-la-main, elles sont au contraire à chaque fois déjà à-portée-de-la-main aux places singulières. Les places sont elles-mêmes assignées à l’à-portée-de-la-main dans la circon-spection de la préoccupation [Besorgen], ou bien elles sont trouvées. De l’étant constamment à-portée-de-la-main, que l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] circon-spect prend d’emblée en compte, a dès lors sa place. Le « où » de son être-à-portée-de-la-main est mis en compte pour la préoccupation [Besorgen] et orienté sur le reste de l’à-portée-de-la-main. C’est ainsi que le soleil, dont la lumière et la chaleur sont quotidienne [alltäglich]ment en usage, a ses places privilégiées, découvertes de manière circon-specte, à partir de l’employabilité changeante de ce qu’il dispense : lever, midi, coucher, minuit. Les places de cet étant à-portée-de-la-main de façon tour à tour changeante et constante deviennent des « indications » spéciales des contrées qui se trouvent en elles. Ces contrées célestes, qui n’ont encore nul besoin de posséder un sens géographique, pré-donnent son « vers où » préalable à toute configuration particulière de contrées occupables par des places. La maison a son côté exposé au soleil et son côté ombragé; c’est « vers » eux que la répartition des « lieux » est [104] orientée, et, au sein de celle-ci, également l’« aménagement » à chaque fois conforme à leur caractère d’outils. Des églises et des tombeaux, par exemple, sont orientés d’après le lever et le coucher du soleil, ces contrées de la vie et de la mort à partir desquelles le Dasein lui-même est déterminé quant à ses possibilités les plus propres d’être dans le monde. La préoccupation [Besorgen] du Dasein, pour qui il y va en son être de cet être même, découvre d’emblée les contrées dont il retourne à chaque fois décisivement. La découverte préalable des contrées est co-déterminée par la tournure [Bewandtnis] à laquelle est libéré l’à-portée-de-la-main en tant qu’il fait en-contre. EtreTemps22

L’être-à-portée-de-la-main préalable de chaque contrée possède, en un sens plus originaire encore que l’être de l’étant à-portée-de-la-main, le caractère de la familiarité sans imposition. Elle ne devient elle-même visible sur le mode de l’imposition que dans une découverte circon-specte de l’à-portée-de-la-main, et certes dans les modes déficients de la préoccupation [Besorgen]. C’est souvent parce que quelque chose n’est pas trouvé à sa place que la contrée de la place devient expressément accessible comme telle pour la première fois. L’espace découvert dans l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] circon-spect comme spatialité de la totalité d’outils appartient à chaque fois comme sa place à l’étant lui-même. Le simple espace demeure encore voilé. L’espace a éclaté en places. Toutefois, cette spatialité, du fait de la totalité mondiale de tournure [Bewandtnis] propre à l’à-portée-de-la-main spatial, possède son unité propre. Le « monde ambiant » ne s’aménage pas dans un espace prédonné, mais sa mondanéité [Weltlichkeit] spécifique, en sa significativité [Bedeutsamkeit], articule le complexe de tournure [Bewandtnis] à chaque fois propre à une totalité de places assignées par la circon-spection. Le monde découvre à chaque fois la spatialité de l’espace qui lui appartient. Le laisser-faire-encontre de l’à-portée-de-la-main dans son espace du monde ambiant n’est jamais possible ontiquement que parce que le Dasein est lui-même « spatial » du point de vue de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps22

L’é-loigner n’implique pas nécessairement une évaluation explicite du lointain d’un à-portée-de-la-main par rapport au Dasein. Surtout, l’être-éloigné n’est jamais saisi comme écart. Si le lointain doit être évalué, cela ne se produit jamais que relativement à des é-loignement [Entfernung]s où le Dasein quotidien [alltäglich] se tient. Du point de vue de leur calcul, ces évaluations peuvent être imprécises et flottantes, elles n’en ont pas moins dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] du Dasein leur déterminité [Bestimmtheit] propre et de part en part compréhensible. Nous disons par exemple : jusque là-bas, il y a l’espace d’une promenade, un « saut de puce », un « jet de pierre ». Ce que ces mesures indiquent, c’est non seulement qu’elles ne prétendent pas « métrer », mais encore que [106] l’être-éloigné ainsi évalué, appartient en propre à un étant que l’on aborde avec la circon-spection propre à la préoccupation [Besorgen]. Même lorsque nous nous servons d’une mesure précise, en disant : « il y a une demi-heure d’ici à la maison », cette mesure doit encore être considérée comme une évaluation. Une « demi-heure », cela ne veut pas dire trente minutes, mais une durée qui n’a absolument aucune « longueur » au sens d’une extension quantitative. Cette durée est à chaque fois explicitée à partir des « préoccupation [Besorgen]s » quotidiennes [alltäglich] habituelles. De prime abord, et même lorsque sont en usage des mesures « officiellement » fixées, les éloignements sont évalués par une circon-spection. L’é-loigné, étant à-portée-de-la-main dans de telles évaluations, conserve son caractère spécifiquement intramondain. Et cela implique même que les chemins praticables conduisant à l’étant éloigné présentent chaque jour une longueur différente. L’à-portée-de-la-main du monde ambiant n’est nullement sous-la-main pour un observateur intemporel, dégagé du Dasein, mais il vient à l’encontre de la quotidienneté [Alltäglichkeit] préoccupée et circon-specte du Dasein. Sur ses chemins propres, le Dasein ne prend pas la mesure d’une portion d’espace comme d’une chose corporelle sous-la-main, il ne « dévore » pas « des kilomètres », au contraire son approchement et son é-loignement [Entfernung] est toujours un être préoccupé vis-à-vis de l’approché et de l’é-loigné. Un chemin « objectivement » long peut être plus court qu’un chemin « objectivement » très court, lequel est peut-être un « calvaire » qui paraîtra infiniment long à qui l’emprunte. Mais c’est en un tel « paraître », justement, que le monde est à chaque fois et pour la première fois proprement à-portée-de-la-main. Les distances objectives de choses sous-la-main ne coïncident pas avec l’éloignement et la proximité propres à l’a-portée-de-la-main intramondain. Celles-là peuvent bien être sues avec exactitude, un tel savoir cependant demeure aveugle, il n’a pas la fonction de l’approchement qui découvre le monde ambiant avec circon-spection ; de ce savoir, il peut sans doute être fait usage, mais il est alors au service d’un être préoccupé du monde le « concernant », qui ne se soucie point de mesurer des écarts. EtreTemps23

Une orientation primaire, voire exclusive, sur des éloignements conçus comme distances mesurées recouvre la spatialité originaire de l’être-à. Ce qui est « prochain », ce n’est absolument pas ce qui est à la plus petite distance « de nous ». Le « prochain » consiste bien plutôt dans ce qui est é-loigné de la portée d’

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