DASEIN (ETEM)

Category: Heidegger - Etre et temps etc.
Submitter: Murilo Cardoso de Castro

DASEIN (ETEM)

Dasein

Mais si la question du sens de l’être ne commet aucun « cercle démonstratif », elle ne s’en caractérise pas moins par une « rétro-» et « pré-référence » du questionné (être) au questionner en tant que mode d’être d’un étant. Ce concernement essentiel du questionner par son questionné appartient au sens le plus propre de la question de l’être. Or cela signifie simplement que l’étant qui a le caractère du DASEIN est lui-même en rapport - et peut-être même en un rapport insigne - à la question de l’être. Or à travers ce rapport un étant déterminé ne se trouve-t-il pas déjà assigné en sa primauté d’être ? L’étant exemplaire qui doit fonctionner comme l’interrogé premier de la question de l’être n’est-il pas déjà prédonné ? Mais il s’en faut que les élucidations précédentes suffisent à manifester la primauté du DASEIN, ou à décider de sa fonction possible ou même nécessaire d’étant à interroger primairement. Au moins quelque chose comme une primauté du DASEIN s’est-elle annoncée à nous. (§2 [EtreTemps2])

Le DASEIN est un étant qui ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant. Il possède bien plutôt le privilège ontique suivant : pour cet étant, il y va en son être de cet être. Par suite, il appartient à la constitution d’être du DASEIN d’avoir en son être un rapport d’être à cet être. Ce qui signifie derechef que le DASEIN se comprend d’une manière ou d’une autre et plus ou moins expressément en son être. À cet étant, il échoit ceci que, avec et par son être, cet être lui est ouvert à lui-même. La compréhension de l’être est elle-même une déterminité d’être du DASEIN. Le privilège ontique du DASEIN consiste en ce qu’il est ontologique. (§4 [EtreTemps4])

Nous appelons l’ensemble cohérent de ces structures l’existentialité. L’analytique de celle-ci a [13] le caractère d’un comprendre non pas existentiel, mais existential. La tâche d’une analytique existentiale du DASEIN est pré-dessinée, du point de vue de sa possibilité et de sa nécessité, dans la constitution ontique du DASEIN. (§4 [EtreTemps4])

La primauté ontico-ontologique du DASEIN est par conséquent cela même qui explique que sa constitution spécifique d’être - entendue au sens de la structure « catégoriale » appartenant au DASEIN - lui demeure recouverte. Le DASEIN est ontiquement « au plus près » de lui-même, ontologiquement au plus loin, sans être pour autant préontologiquement étranger à lui-même. (§5 [EtreTemps5])

L’analytique du DASEIN ainsi conçue demeure entièrement orientée sur la tâche directrice de l’élaboration de la question de l’être. C’est par là que se déterminent ses limites. Elle ne peut prétendre fournir une ontologie complète du DASEIN - laquelle bien entendu doit être construite si quelque chose comme une « anthropologie philosophique » doit un jour s’élever sur une base philosophiquement suffisante. L’interprétation qui suit apportera seulement quelques « éléments », certes non dénués d’importance, au projet d’une anthropologie possible, ou plutôt de sa fondamentation ontologique. Cependant, l’analyse du DASEIN est non seulement incomplète, mais encore et avant tout provisoire. Elle dégage seulement d’abord l’être de cet étant, sans interpréter son sens. C’est la libération de l’horizon pour l’interprétation la plus originelle de l’être qu’elle est bien plutôt destinée à préparer. Que celle-ci soit d’abord acquise, et alors l’analytique préparatoire du DASEIN exigera d’être répétée (NT: On ne confondra évidemment pas cette répétition générale avec celle, plus restreinte, de la section 1 par la section 2 dont va parler l’alinéa suivant) sur une base ontologique plus élevée et authentique. (§5 [EtreTemps5])

On l’a montré de manière sommaire : au DASEIN appartient à titre de constitution ontique un être préontologique. Le DASEIN est selon une guise telle que, étant, il comprend quelque chose comme l’être. Cette relation étant maintenue, il faut montrer que ce à partir de quoi le DASEIN en général comprend et explicite silencieusement quelque chose comme l’être est le temps. Celui-ci doit être mis en lumière et originairement conçu comme l’horizon de toute compréhension et explicitation de l’être. Et pour faire apercevoir cela, il est besoin d’une explication originelle du temps comme horizon de la compréhension de l’être à partir de la temporalité comme être du DASEIN qui comprend l’être. En même temps, la totalité de cette tâche inclut l’exigence de délimiter le concept du temps ainsi obtenu par rapport à la [18] compréhension vulgaire du temps telle qu’elle est devenue explicite dans l’interprétation déposée dans le concept traditionnel du temps, lequel se maintient d’Aristote jusqu’à Bergson et au-delà. Ce qui implique de montrer clairement que et comment ce concept du temps et la compréhension vulgaire du temps en général jaillissent de la temporalité. Ainsi son droit autonome sera-t-il restitué au concept vulgaire du temps - en opposition à la thèse de Bergson qui veut que le temps visé par là soit de l’espace. (§5 [EtreTemps5])

Toute recherche - à commencer par celle qui se meut dans l’orbe de la question centrale de l’être - est une possibilité ontique du DASEIN. L’être de celui-ci trouve son sens dans la temporalité. Celle-ci, toutefois, est en même temps la condition de possibilité de l’historialité en tant que mode d’être temporel du DASEIN lui-même, abstraction faite de la question de savoir si et comment il est un étant « dans le temps ». La détermination de l’historialité est antérieure à ce que l’on appelle histoire (procès de l’histoire mondiale). L’historialité désigne la constitution d’être du « provenir » du DASEIN comme tel, provenir sur [20] la base duquel seulement est possible quelque chose comme une « histoire du monde » et une appartenance historique à cette histoire. Le DASEIN est à chaque fois en son être factice, comme et « quel » il était déjà. Expressément ou non, il est son passé, et il ne l’est pas seulement en ce sens que son passé se glisserait pour ainsi dire « derrière » lui, qu’il posséderait du passé comme une qualité encore sous-la-main qui parfois manifesterait ses effets en lui. Le DASEIN « est » son passé sur le mode de son être, lequel, pour le dire grossièrement, « provient » à chaque fois à partir de son avenir. Dans toute guise d’être à lui propre, donc aussi dans la compréhension d’être qui lui appartient, le DASEIN est pris dans une interprétation traditionnelle du DASEIN, il a grandi en elle. C’est à partir d’elle qu’il se comprend d’abord, et même en un sens constamment. Cette compréhension ouvre les possibilités de son être et les règle. Son passé propre - autant dire toujours celui de sa « génération » - ne suit pas le DASEIN, il le précède au contraire toujours déjà. (§6 [EtreTemps6])

Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant - l’ontologie. Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le DASEIN, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’être en général. Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation. Le logos de la phénoménologie du DASEIN a le caractère de l’hermeneuein par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au DASEIN lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être. La phénoménologie du DASEIN est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation. Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du DASEIN en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN, cette herméneutique devient en même temps « herméneutique » au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique. Et pour autant, enfin, que le DASEIN a la primauté ontologique sur tout étant - en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence -, l’herméneutique en tant qu’explicitation [38] de l’être du DASEIN reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence. Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du DASEIN comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement « herméneutique » : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit. (§7 [EtreTemps7])

L’être, en tant que thème fondamental de la philosophie, n’est pas un genre d’étant, et pourtant il concerne tout étant. Son « universalité » doit être cherchée plus haut. Être et structure d’être excèdent tout étant et toute déterminité étante possible d’un étant. L’être est le transcendens par excellence. La transcendance de l’être du DASEIN est une transcendance insigne, dans la mesure où en elle réside la possibilité et la nécessité de la plus radicale individuation. Toute mise à jour de l’être comme transcendens est connaissance transcendantale. La vérité phénoménologique (ouverture de l’être) est veritas transcendantalis. (§7 [EtreTemps7])

Et le DASEIN, derechef, est à chaque fois mien en telle ou telle guise déterminée d’être. Il s’est toujours déjà en quelque façon décidé en quelle guise le DASEIN est à chaque fois mien. L’étant pour lequel en son être il y va de cet être même se rapporte à son être comme à sa possibilité la plus propre. Le DASEIN est à chaque fois sa possibilité, il ne l’« a » pas sans plus de manière qualitative, comme quelque chose de sous-la-main. Et c’est parce que le DASEIN est à chaque fois essentiellement sa possibilité que cet étant peut se « choisir » lui-même en son être, se gagner, ou bien se perdre, ou ne se gagner jamais, ou se gagner seulement « en apparence ». S’être perdu ou ne s’être pas encore gagné, il ne le peut que pour autant que, en son essence, il est un DASEIN authentique possible, c’est-à-dire peut être à lui-même en propre. (§9 [EtreTemps9])

[43] Les deux modes d’être de l’authenticité et de l’inauthenticité - l’une et l’autre expressions étant choisies terminologiquement et au sens strict du terme - se fondent dans le fait que le DASEIN est en général déterminé par la mienneté. Cependant, l’inauthenticité du DASEIN ne signifie point par exemple un « moins »-être ou un degré d’être « plus bas ». Elle peut au contraire déterminer le DASEIN selon sa concrétion la plus pleine, dans sa capacité d’être occupé, stimulé, intéressé, réjoui. (§9 [EtreTemps9])

Au cours de nos élucidations préparatoires (§9), nous avons déjà discerné un certain nombre de caractères d’être, qui doivent jeter sur la suite de notre recherche une lumière sûre, mais n’obtiendront en même temps leur concrétion structurale que de cette recherche même. [53] Le DASEIN est l’étant qui, se comprenant en son être, se rapporte à cet être [NT: Autre traduction possible de cette phrase ambiguë : « Le DASEIN est l’étant qui, en son être, se rapporte compréhensivement à cet être » (ainsi en substance, BW).]. Ainsi est indiqué le concept formel d’existence. Le DASEIN existe. Le DASEIN, en outre, est l’étant que je suis à chaque fois moi-même. Au DASEIN existant appartient la mienneté comme condition de possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité. Le DASEIN existe à chaque fois en l’un de ces modes, ou dans leur indifférence modale. (§12 [EtreTemps12])

L’« être-auprès » du monde en tant qu’existential ne peut en aucun cas signifier de chose survenantes. Un « être-à-côté » d’un étant nommé DASEIN et d’un autre étant nommé « monde », cela n’existe pas. D’ailleurs, nous avons coutume d’exprimer parfois l’être-ensemble de deux choses sous-la-main en disant : « La table est auprès de la porte », « la chaise touche le mur ». Mais de « contact », il ne saurait ici être question en toute rigueur, non seulement parce qu’un examen plus attentif finit toujours par constater l’existence d’un espace intermédiaire entre la chaise et le mur, mais plutôt parce que la chaise ne peut fondamentalement pas toucher le mur, quand bien même l’espace intermédiaire en question s’annulerait. Pour cela, en effet, il faudrait que le mur puisse faire encontre « à » la chaise. Un étant ne peut toucher un étant sous-la-main à l’intérieur du monde que s’il a nativement le mode d’être de l’être-à... - que si, avec son Da-sein, lui est déjà découvert quelque chose comme un monde à partir duquel de l’étant puisse se manifester dans le contact, pour ainsi devenir accessible en son être-sous-la-main. Deux étants qui sont sous-la-main à l’intérieur du monde et, qui plus est, sont en eux-mêmes sans-monde ne sauraient se « toucher », aucun des deux ne peut « être auprès de » l’autre. Notre ajout : « et qui de surcroît sont sans-monde » ne doit pas être omis, puisque même un étant qui n’est pas sans-monde - par exemple le DASEIN lui-même - est sous-la-main « dans » le monde, plus exactement peut être appréhendé avec un certain droit et dans certaines limites comme seulement sous-la-main. Ce qui exige de faire totalement abstraction de, ou ne pas apercevoir du tout la constitution existentiale de l’être-à... Néanmoins, il n’est pas question de confondre cette appréhension possible du « DASEIN » comme étant, ou n’étant plus que sous-la-main, avec certain mode d’« être-sous-la-main » propre au DASEIN. Ce mode, en effet, n’est plus accessible à qui fait abstraction des structures spécifiques du DASEIN, mais au contraire seulement à qui les comprend d’emblée. Le DASEIN [56] comprend son être le plus propre au sens d’un certain « être-sous-la-main factuel » (NA: Cf. infra, §29, p. [134-140]). Et pourtant la « factualité » du fait du DASEIN propre est ontologiquement sans commune mesure avec la survenance factuelle d’une espèce minérale. La factualité propre au fait du DASEIN, ce mode en lequel tout DASEIN est à chaque fois, nous l’appelons sa facticité. La structure compliquée de cette déterminité d’être ne peut elle-même être saisie comme problème qu’à la lumière d’une élaboration préalable des constituants existentiaux fondamentaux du DASEIN. Le concept de facticité inclut ceci : l’être-au-monde d’un étant « intramondain », mais d’un étant capable de se comprendre comme lié en son « destin » à l’être de l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur de son propre monde. (§12 [EtreTemps12])

L’être-à..., on l’a dit, n’est point une « qualité » que le DASEIN possède à tel moment ou ne possède pas à tel autre, sans laquelle il pourrait être aussi bien qu’avec elle. L’homme n’« est » pas, en ayant encore et de surcroît un rapport d’être au « monde », que de temps en temps il exercerait. Le DASEIN n’est jamais « d’abord » un étant pour ainsi dire « libre-d’être-à... », qui aurait occasionnellement envie d’assumer une « relation » au monde. Assumer de telles relations au monde n’est possible que parce que le DASEIN est comme être-au-monde ce qu’il est. Cette constitution d’être ne prend pas naissance du simple fait qu’en dehors de l’être qui a le caractère du DASEIN est sous-la-main un autre type d’étant qui se rencontrerait avec lui. « Se rencontrer avec » le DASEIN, cet autre étant ne le peut que pour autant qu’il peut en général se montrer à partir de lui-même à l’intérieur d’un monde. (§12 [EtreTemps12])

Tandis qu’il s’oriente vers l’étant et qu’il le saisit, le DASEIN ne sort point de sa sphère intérieure où il serait d’abord enfermé, mais, conformément à son mode d’être originel, il est toujours déjà « dehors », auprès d’un étant qui lui fait encontre dans le monde à chaque fois déjà découvert. Quant au séjour déterminant auprès de l’étant à connaître, il n’est pas davantage un abandon de la sphère intérieure : même en cet « être-dehors » auprès de l’objet, le DASEIN est « à l’intérieur », mais en ce sens précis que c’est lui-même, en tant qu’être-au-monde, qui connaît. Enfin, l’accueil du connu ne doit pas être compris comme un retour, après la sortie qui lui a permis de s’en saisir, du sujet, chargé de son butin, dans la « retraite » de la conscience ; au contraire, même en tant qu’il accueille, préserve et conserve, le DASEIN connaissant demeure, en tant que DASEIN, dehors. Le « simple » savoir d’une relation d’être de l’étant, la « pure » représentation de cette relation, le fait d’y « penser, sans plus » ne me placent pas moins auprès de l’étant, dehors dans le monde, que ne le fait une saisie originaire. Même l’oubli, où apparemment s’efface toute relation d’être à l’étant auparavant connu, doit être conçu comme une modification de l’être-à... originaire, et autant vaut de toute illusion et de toute erreur. (§13 [EtreTemps13])

Le monde n’est pas lui-même un étant intramondain, et pourtant il détermine cet étant à tel point qu’il ne peut faire encontre et, en tant qu’étant découvert, se montrer en son être que pour autant qu’il « y a » monde. Mais comment « y a-t-il » monde ? Si le DASEIN est constitué ontiquement par l’être-au-monde et si une compréhension d’être de son Soi-même appartient - si indéterminée soit-elle - tout aussi essentiellement à son être, n’a-t-il pas alors une compréhension du monde, une compréhension préontologique, laquelle se passe certes et peut se passer d’aperçus ontologiques explicites ? Est-ce que quelque chose comme le monde ne se manifeste pas à l’être-au-monde préoccupé en même temps que l’étant rencontré à l’intérieur du monde, c’est-à-dire que son intramondanéité ? Ce phénomène ne vient-il pas sous un regard préphénoménologique, et ne se tient-il pas toujours déjà sous un tel regard sans exiger une interprétation thématiquement ontologique ? Le DASEIN, au sein même de son identification préoccupée avec l’outil à-portée-de-la-main, n’a-t-il pas une possibilité d’être d’après laquelle, en même temps que l’étant intramondain dont il se préoccupe, la mondanéité même de cet étant luit (NT: « Luire » (aufleuchten) : ce mot, lui non plus, n’est pas métaphorique, comme le montrera son emploi ultérieur au sein du présent paragraphe, p. [75]) d’une certaine manière à ses yeux ? (§16 [EtreTemps16])

Être-au-monde signifie d’après notre interprétation antérieure : l’identification non thématique, circon-specte aux renvois constitutifs de l’être-à-portée-de-la-main de l’ensemble d’outils. La préoccupation est à chaque fois déjà ce qu’elle est sur la base d’une familiarité avec le monde. Dans cette familiarité, le DASEIN peut se perdre dans l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur du monde et être capté par lui. Mais de quoi exactement le DASEIN est-il familier, et pourquoi la mondialité de l’intramondain peut-elle luire ? Comment doit-on comprendre plus précisément la totalité des renvois où la circon-spection se « meut », et où l’être-sous-la-main de l’étant pénètre dès qu’une brèche s’y ouvre ? (§16 [EtreTemps16])

Avec ce dans quoi il se comprend toujours déjà ainsi, le DASEIN est originairement familier. Cette familiarité avec le monde ne requiert pas nécessairement une transparence théorique des rapports qui constituent le monde comme monde. En revanche la possibilité d’une interprétation ontologico-existentiale expresse de ces rapports se fonde dans la familiarité avec le monde constitutive du DASEIN, laquelle de son côté co-constitue sa compréhension de l’être. Cette possibilité peut être explicitement saisie pour autant que le DASEIN s’est donné lui-même pour tâche une interprétation originaire de son être et des possibilités de celui-ci, ou même du sens de l’être en général. (§18 [EtreTemps18])

Le comprendre - phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31) - tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le DASEIN se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde. Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour..., celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure. Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire - ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le DASEIN se donne préalablement à lui-même son être-au-monde à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité. Elle est ce qui constitue la structure du monde - de ce où le DASEIN comme tel est à chaque fois déjà. Le DASEIN est, en sa familiarité avec la significativité, la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le DASEIN est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main - le DASEIN, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. (§18 [EtreTemps18])

Mais la significativité elle-même, avec laquelle le DASEIN est à chaque fois déjà familier, abrite en elle la condition ontologique de possibilité permettant que le DASEIN compréhensif, en tant qu’il est également explicitatif, puisse ouvrir quelque chose comme des « significations » qui, de leur côté, fondent à nouveau l’être possible du mot et de la langue. (§18 [EtreTemps18])

L’être-à-portée-de-la-main préalable de chaque contrée possède, en un sens plus originaire encore que l’être de l’étant à-portée-de-la-main, le caractère de la familiarité sans imposition. Elle ne devient elle-même visible sur le mode de l’imposition que dans une découverte circon-specte de l’à-portée-de-la-main, et certes dans les modes déficients de la préoccupation. C’est souvent parce que quelque chose n’est pas trouvé à sa place que la contrée de la place devient expressément accessible comme telle pour la première fois. L’espace découvert dans l’être-au-monde circon-spect comme spatialité de la totalité d’outils appartient à chaque fois comme sa place à l’étant lui-même. Le simple espace demeure encore voilé. L’espace a éclaté en places. Toutefois, cette spatialité, du fait de la totalité mondiale de tournure propre à l’à-portée-de-la-main spatial, possède son unité propre. Le « monde ambiant » ne s’aménage pas dans un espace prédonné, mais sa mondanéité spécifique, en sa significativité, articule le complexe de tournure à chaque fois propre à une totalité de places assignées par la circon-spection. Le monde découvre à chaque fois la spatialité de l’espace qui lui appartient. Le laisser-faire-encontre de l’à-portée-de-la-main dans son espace du monde ambiant n’est jamais possible ontiquement que parce que le DASEIN est lui-même « spatial » du point de vue de son être-au-monde. (§22 [EtreTemps22])

Par é-loignement - le mot désignant un mode d’être du DASEIN considéré en son être-au-monde - nous n’entendons point quelque chose comme l’éloignement (proximité) ou même une distance, un écart. Ce terme d’é-loignement, nous l’employons dans un sens actif et transitif. Il désigne une constitution d’être du DASEIN, par rapport à laquelle le fait d’éloigner ou d’écarter quelque chose ne représente qu’une modalité déterminée, factice. É-loigner veut dire faire disparaître le lointain, c’est-à-dire l’être-éloigné, de quelque chose - approcher. Le DASEIN est essentiellement é-loignant, c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois, comme l’étant qu’il est, de l’étant venir à l’encontre dans la proximité. L’é-loignement découvre l’éloignement. Celui-ci, tout comme la distance, est une détermination catégoriale de l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN. L’é-loignement, au contraire, doit être établi comme existential. C’est seulement dans la mesure où de l’étant est en général découvert pour le DASEIN en son être-éloigné que deviennent accessibles dans l’étant intramondain lui-même des « éloignements » et des distances par rapport à autre chose. Sinon, deux points sont tout aussi peu éloignés l’un de l’autre que ne le sont en général deux choses, s’il est vrai qu’aucun de ces étants, de par son mode d’être, ne peut é-loigner. Tout au plus ont-ils une distance trouvable et mesurable dans l’é-loigner. (§23 [EtreTemps23])

Une orientation primaire, voire exclusive, sur des éloignements conçus comme distances mesurées recouvre la spatialité originaire de l’être-à. Ce qui est « prochain », ce n’est absolument pas ce qui est à la plus petite distance « de nous ». Le « prochain » consiste bien plutôt dans ce qui est é-loigné de la portée d’une atteinte, d’une saisie, d’un regard. [107] Comme le DASEIN est essentiellement spatial selon la guise de l’é-loignement, l’usage se tient toujours dans un « monde ambiant » à chaque fois é-loigné de lui à l’intérieur d’un certain espace de jeu - et c’est bien pourquoi nous entendons et voyons de prime abord en dépassant ce qui, selon la distance, est le « plus proche » de nous. Si la vue et l’ouïe portent au loin, ce n’est pas sur la base de leur « portée » naturelle, mais parce que le DASEIN en tant qu’é-loi-gnant se tient en eux de manière prépondérante. Pour celui qui, par exemple, porte des lunettes, qui pourtant sont si proches de lui par la distance qu’elle sont « sur son nez » [NT: C’est-à-dire : « sous son nez ».] , cet outil utilisé est plus éloigné, au sein du monde ambiant, qu’un tableau accroché au mur d’en face. Cet outil a si peu de proximité que souvent il passe même de prime abord absolument inaperçu. L’outil pour voir, et de même l’outil pour entendre, l’écouteur téléphonique par exemple, se caractérise par la non-imposition de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Ce qui vaut aussi, par exemple, de la rue - de l’outil pour aller. Tandis que nous marchons, la rue est touchée à chaque pas, apparemment elle est ce qu’il y a de plus proche et de plus réel dans l’à-portée-de-la-main, elle glisse pour ainsi dire le long de parties déterminées du corps, au long des semelles de nos souliers. Et pourtant, elle est bien plus éloignée que l’ami qui, durant cette marche, nous fait encontre à une « distance » de vingt pas. De la proximité et du lointain de l’à-portée-de-la-main de prime abord rencontré dans le monde ambiant, seule la préoccupation circon-specte décide. Ce auprès de quoi celle-ci séjourne d’entrée de jeu, c’est cela qui est le « plus proche » et qui règle les é-loignements. (§23 [EtreTemps23])

Le DASEIN, en son être-au-monde, se tient essentiellement dans un é-loigner. Cet é-loi-gnement - le lointain de l’à-portée-de-la-main vis-à-vis de lui-même - le DASEIN ne peut jamais le survoler. Certes l’« éloignement » d’un à-portée-de-la-main vis-à-vis du DASEIN peut lui-même devenir trouvable par lui en tant que distance lorsqu’il est déterminé par rapport à une chose considérée comme sous-la-main à la place que le DASEIN a auparavant occupée. Cet entre-deux de la distance, le DASEIN peut après coup le traverser, mais seulement à condition que la distance en question soit elle-même é-loignée. Son é-loignement, cependant, le DASEIN l’a alors si peu survolé qu’il l’a bien plutôt constamment emporté avec lui, et même l’emporte toujours puisqu’il est essentiellement é-loignement, autrement dit spatial. Le DASEIN ne peut pas circuler dans l’orbe de chacun de ses é-loignements, il ne peut jamais que les modifier. Le DASEIN est spatial selon la guise de la découverte circon-specte de l’espace, et cela de telle manière qu’il se comporte constamment de manière é-loignante vis-à-vis de l’étant qui lui fait ainsi spatialement encontre. (§23 [EtreTemps23])

En tant qu’être-à é-loignant, le DASEIN a en même temps le caractère de l’orientation. Tout approchement a déjà appréhendé d’avance une direction dans une contrée à partir de laquelle l’é-loigné s’approche de façon à devenir ainsi trouvable quant à sa place. La préoccupation circon-specte est é-loignement orientant. Dans cette préoccupation, c’est-à-dire dans l’être-au-monde du DASEIN lui-même, le besoin de « signes » est prédonné ; cet outil assume la fonction d’une indication explicite et aisée de directions. Il tient expressément ouvertes les contrées utilisées par la circon-spection - le vers-où de la destination, de l’accès, de l’apport. En tant qu’il est, le DASEIN est orientant-éloignant, il a à chaque fois déjà sa contrée découverte. L’orientation aussi bien que l’é-loignement, en tant que modes d’être de l’être-au-monde, sont d’emblée guidés par la circon-spection de la préoccupation. (§23 [EtreTemps23])

En tant qu’être-au-monde, le DASEIN a à chaque fois déjà découvert un « monde ». Cette découverte fondée dans la mondanéité du monde a été caractérisée comme libération de l’étant vers une totalité de tournure. Ce laisser-retourner qui libère s’accomplit sur le mode du se-renvoyer circon-spect, lequel se fonde dans une compréhension préalable de la significativité. Or, comme on l’a montré désormais, l’être-au-monde circon-spect est spatial, et c’est seulement parce que le DASEIN est spatial selon la guise de l’é-loignement et de l’orientation que l’à-portée-de-la-main intramondain peut faire encontre en sa spatialité. La libération d’une totalité de tournure est cooriginairement le laisser-retourner é-loignant-orientant d’une contrée, autrement dit la libération de la destination spatiale de l’à-portée-de-la-main. La significativité avec laquelle le DASEIN est familier comme être-à préoccupé implique conjointement l’ouverture essentielle de l’espace. (§24 [EtreTemps24])

Pas plus que l’espace n’est dans le sujet, pas plus le monde n’est dans l’espace. L’espace est bien plutôt « dans » le monde pour autant que l’être-au-monde constitutif du DASEIN a ouvert de l’espace. L’espace ne se trouve pas dans le sujet, et celui-ci ne considère pas davantage le monde « comme si » celui-ci était dans un espace - c’est au contraire le « sujet » ontologiquement bien compris, le DASEIN, qui est spatial, et c’est parce que le DASEIN est spatial de la manière qu’on a décrite que l’espace se montre comme a priori. Ce titre ne signifie pas quelque chose comme l’appartenance préalable à un sujet de prime abord encore sans monde qui pro-jetterait un espace. L’apriorité signifie ici : la primauté de l’encontre de l’espace (comme contrée) lors de chaque rencontre intramondaine de l’à-portée-de-la-main. (§24 [EtreTemps24])

En apparence, nos indications formelles au sujet des déterminités fondamentales du DASEIN (cf. §9) ont déjà fourni la réponse à la question de savoir qui cet étant (le DASEIN) est à chaque fois. Le DASEIN est un étant que je suis à chaque fois moi-même, son être est mien. Cette détermination indique une constitution ontologique, mais elle ne fait pas plus. Elle contient en même temps l’indication ontique - au demeurant grossière - selon laquelle c’est à chaque fois un Je qui est cet étant, et non pas autrui. La question qui ? puise sa réponse dans le Je lui-même, dans le « sujet », le « Soi-même ». Le qui est ce qui se maintient identique dans le changement des comportements et des vécus, et qui se rapporte alors à cette multiplicité. Ontologiquement, nous le comprenons comme ce qui est à fois, déjà et constamment sous-la-main dans et pour une région close - comme ce qui gît au fond en un sens éminent : subjectum. Celui-ci, en tant qu’il reste même dans une altérité multiple, a le caractère du Soi-même. On peut bien récuser l’idée de substance de l’âme, de la choséité de la conscience ou d’objectivité de la personne, il n’en reste pas moins que, du point de vue ontologique, l’on continue de poser quelque chose dont l’être conserve explicitement ou non le sens de l’être-sous-la-main. La substantialité, tel est le fil conducteur ontologique de la détermination de l’étant à partir duquel la question du qui ? reçoit réponse. Tacitement, le [115] DASEIN est d’emblée conçu comme sous-la-main ; à tout le moins l’indétermination de son être implique-t-elle toujours ce sens d’être. Et pourtant, l’être-sous-la-main est le mode d’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN. (§25 [EtreTemps25])

De même que l’« évidence » antique de l’être-en-soi de l’étant intramondain engendre la conviction de l’« évidence » ontologique du sens de cet être et contribue à faire manquer le phénomène du monde, de même l’« évidence » ontique selon laquelle le DASEIN est à chaque fois mien contient en elle-même une possible séduction de la problématique ontologique la concernant. De prime abord le qui du DASEIN n’est pas seulement un problème ontologiquement, mais encore il demeure ontiquement recouvert. [117] Est-ce à dire cependant que la résolution analytico-existentiale de la question du qui ? soit absolument dépourvue de fil conducteur ? Nullement. Et du reste, entre les indications formelles données plus haut (§9 et 12) sur la constitution d’être du DASEIN, ce qui fonctionne comme tel n’est pas tant la détermination discutée à l’instant que celle selon laquelle l’« essence » du DASEIN se fonde dans son existence. Si le « Je » est une déterminité essentielle du DASEIN, alors il doit être interprété existentialement. La question qui ? ne peut recevoir de réponse que de la mise en lumière phénoménale d’un mode d’être déterminé du DASEIN. Si le DASEIN n’est à chaque fois son Soi-même qu’en existant, le « maintien » du Soi-même exige - tout de même que sa « perte d’autonomie » possible - un questionnement existential-ontologique ; telle est l’unique voie d’accès adéquate à sa problématique. (§25 [EtreTemps25])

Cependant, la caractérisation du faire-encontre des autres s’oriente à nouveau à chaque fois sur le DASEIN propre. Est-ce à dire qu’elle parte elle aussi d’un « Moi » privilégié et isolé, de telle manière qu’il faille ensuite chercher un passage conduisant de ce sujet isolé vers autrui ? Pour éviter ce contresens, il convient de préciser en quel sens nous parlons ici des « autres ». « Les autres », cela ne veut pas dire : tout le reste des hommes en-dehors de moi, dont le Moi se dissocierait - les autres sont bien plutôt ceux dont le plus souvent l’on ne se distingue pas soi-même, parmi lesquels l’on est soi-même aussi. Cet être-Là-aussi avec eux n’a pas le caractère ontologique d’un être-sous-la-main « ensemble » à l’intérieur d’un monde. L’« avec » est ici à la mesure du DASEIN, le « aussi » désigne une mêmeté d’être comme être-au-monde préoccupé de manière circon-specte. L’« avec » et le « aussi » doivent être compris existentialement, non pas catégorialement. Sur la base de ce caractère d’avec propre à l’être-au-monde, le monde est à chaque fois toujours déjà celui que je partage avec les autres. Le monde du DASEIN est monde commun. L’être-à est être-avec avec les autres. L’être-en-soi intramondain de ceux-ci est être-Là-avec. (§26 [EtreTemps26])

Mais, dira-t-on, l’expression « DASEIN » montre pourtant clairement que cet étant est « de prime abord » sans aucune relation à autrui, et que c’est après coup qu’il peut en plus être « avec » d’autres. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que nous utilisons le terme d’être-Là-avec pour désigner l’être auquel les autres qui sont libérés au sein du monde. Si cet être-Là-avec des autres n’est ouvert que de manière intramondaine à un DASEIN - et ainsi également pour ceux qui sont-Là-avec -, c’est seulement parce que le DASEIN est en lui-même essentiellement être-avec. L’énoncé phénoménologique : le DASEIN est essentiellement être-avec a un sens ontologico-existential. Cet énoncé ne prétend pas constater ontiquement que je ne suis pas facticement seul sous-la-main, et qu’au contraire surviennent d’autres étants de mon espèce. Si la proposition : l’être-au-monde du DASEIN est essentiellement constitué par l’être-avec, avait ce sens, l’être-avec ne serait pas une détermination existentiale caractérisant le DASEIN à partir de soi-même et selon son mode d’être, mais simplement une propriété s’imposant à chaque fois sur la base de la survenance d’autrui. L’être-avec détermine existentialement le DASEIN même lorsqu’un autre n’est ni sous-la-main ni perçu facticement. Même l’être-seul du DASEIN est être-avec dans le monde. L’autre ne peut manquer que dans et pour un être-avec. L’être-seul est un mode déficient de l’être-avec, sa possibilité est la preuve de celui-ci. D’autre part, l’être-seul factice n’est pas supprimé par le simple fait qu’un deuxième exemplaire « homme », voire même dix, surviennent « à côté » de moi. Même si ceux-ci, et plus encore, sont sous-la-main, le DASEIN peut être seul. L’être-avec et la facticité de l’être-l’un-avec-l’autre ne se fonde donc pas dans une survenance de plusieurs « sujets » [121] ensemble. Plus encore, même l’être-seul « parmi » beaucoup ne signifie pas, au sujet de l’être de ces « beaucoup », qu’ils soient alors simplement sous-la-main. Même pour l’être « parmi eux », ils sont là-avec ; leur être-Là-avec fait encontre selon le mode de l’indifférence et de l’étrangèreté. Le manque, le « départ » sont des modes de l’être-Là-avec, ils ne sont possibles que parce que le DASEIN comme être-avec laisse le DASEIN d’autrui faire encontre en son monde. L’être-avec est une déterminité du DASEIN à chaque fois propre ; l’être-Là-avec caractérise le DASEIN d’autrui pour autant que celui-ci est libéré pour un être-avec par le monde de celui-ci. Quant au DASEIN propre, ce n’est que pour autant qu’il a la structure d’essence de l’être-avec qu’il est lui-même être-Là-avec faisant encontre à d’autres. (§26 [EtreTemps26])

Si l’être-Là-avec demeure existentialement constitutif de l’être-au-monde, il doit alors, tout comme l’usage circon-spect de l’à-portée-de-la-main intramondain, que nous caractérisions anticipativement comme préoccupation, être interprété à partir du phénomène du souci, par lequel l’être du DASEIN est en général déterminé (cf. le chapitre VI de cette section). Le caractère d’être de la préoccupation ne peut échoir à l’être-avec, quand bien même ce mode d’être est, comme la préoccupation, un être pour l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Cependant, l’étant « pour » (envers) lequel le DASEIN se comporte en tant qu’être-avec n’a pas le mode d’être de l’outil à-portée-de-la-main, il est lui-même DASEIN. Cet étant n’appelle pas la préoccupation, mais la sollicitude [NT: BW traduisaient « assistance ». Mais quoique ce mot Fürsorge soit en effet utilisé couramment en allemand quand on parle d’assistance publique ou sociale, on va voir qu’il n’a pas ici ce sens, étroitement « transitif ». De plus, souci et sollicitude, ayant même étymologie, reflètent mieux la parenté entre Sorge et Fürsorge. Cette parenté, malheureusement, le français ne nous permettait pas de l’exprimer aussi bien entre souci et préoccupation (Besorgen).]. (§26 [EtreTemps26])

Le monde ne libère pas seulement l’à-portée-de-la-main comme étant rencontré à l’intérieur du monde, mais aussi le DASEIN, les autres dans leur être-Là-avec. Mais cet étant libéré dans le monde ambiant est, conformément à son sens d’être le plus propre, un être-à dans le même monde où, faisant encontre à d’autres, il est Là avec... La mondanéité a été interprétée (§18) comme la totalité de renvois de la significativité. Dans la familiarité immédiatement compréhensive avec cette mondanéité, le DASEIN laisse de l’à-portée-de-la-main faire encontre comme découvert en sa tournure. Le complexe de renvois de la significativité trouve son point d’ancrage dans l’être du DASEIN pour son être le plus propre - être avec lequel il ne peut plus retourner de rien puisqu’il est bien plutôt l’être en-vue-de-quoi le DASEIN est lui-même comme il est [NT: Cf. supra, p. [84].]. (§26 [EtreTemps26])

Mais, en vertu de la présente analyse, appartient également à l’être du DASEIN, dont il y va pour lui en son être même, l’être-avec autrui. Comme être-avec, le DASEIN « est » donc essentiellement en-vue-d’autrui. Cet énoncé doit être compris comme énoncé d’essence. Même lorsque le DASEIN factice ne se tourne pas vers d’autres, qu’il croit pouvoir se passer d’eux ou s’en passe effectivement, il est selon la guise de l’être-avec. Dans l’être-avec en tant que en-vue-des-autres existential, ceux-ci sont déjà ouverts en leur DASEIN. Cette ouverture des autres, d’emblée constituée avec l’être-avec, contribue donc à la constitution de la significativité, c’est-à-dire de la mondanéité où celle-ci est ancrée dans le en-vue-de existential. C’est pourquoi la mondanéité du monde ainsi constituée, où le DASEIN est essentiellement à chaque fois déjà, laisse l’à-portée-de-la-main intramondain faire encontre de telle manière que, en même temps que lui en tant qu’objet de préoccupation circon-specte, l’être-Là-avec d’autrui fait encontre. La structure de la mondanéité du monde implique que les autres ne soient pas de prime abord sous-la-main comme des sujets flottant en l’air juxtaposés à d’autres choses, mais qu’ils se manifestent, en leur être spécifique au sein du monde ambiant, dans le monde à partir de ce qui est à-portée-de-la-main en celui-ci. (§26 [EtreTemps26])

L’ouverture de l’être-Là-avec d’autrui qui appartient à l’être-avec signifie ceci : la compréhension d’être un DASEIN inclut d’emblée, puisque l’être du DASEIN est être-avec, la compréhension d’autrui. Ce comprendre, tout comme le comprendre en général, n’est pas une connaissance acquise, née d’un acte cognitif, mais un mode d’être originairement existential qui rend tout d’abord possible l’acte de connaître et la connaissance. Le fait de se-connaître [124] mutuellement se fonde dans l’être-avec originairement compréhensif. Conformément au mode d’être prochain de l’être-au-monde qui est-avec, ce se-connaître se meut de prime abord dans le (re)connaître compréhensif de ce que le DASEIN trouve et dont il se préoccupe dans le monde ambiant avec les autres. C’est à partir de ce dont elle se préoccupe et avec sa compréhension que la préoccupation animée par la sollicitude est comprise, et ainsi, l’autre est de prime abord ouvert dans la sollicitude préoccupée. (§26 [EtreTemps26])

Néanmoins, que l’« Einfühlung » soit tout aussi peu que le connaître en général un phénomène originairement existential, cela ne signifie pas qu’elle ne soulève aucun problème. Son herméneutique spéciale aura à montrer comment les diverses possibilités d’être du DASEIN lui-même séduisent et dénaturent l’être-l’un-avec-l’autre et le se-connaître mutuel qui lui appartient, de telle sorte que toute « compréhension » authentique est empêchée et que le DASEIN cherche refuge auprès de substituts ; recours qui cependant suppose comme sa condition existentiale positive de possibilité une réelle compréhension d’autrui. L’analyse l’a montré : l’être-avec est un constituant existential de l’être-au-monde. L’être-Là-avec se manifeste comme une modalité d’être propre d’un étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Pour autant que le DASEIN est en général, il a le mode d’être de l’être-l’un-avec-l’autre. Celui-ci ne peut être conçu comme résultat sommatif de la survenance de plusieurs « sujets ». Trouver une pluralité de « sujets », cela même n’est possible que si les autres, tels qu’ils font de prime abord encontre en leur être-Là-avec, ne sont plus traités que comme « numéros ». Mais ce nombre ne peut être lui-même découvert que grâce à un être-l’un-avec-et pour-l’autre déterminé. Cet être-avec « sans égards » « compte » avec les autres, mais sans sérieusement « compter sur eux », ni même « avoir affaire à eux ». (§26 [EtreTemps26])

Chacun est l’autre et nul n’est lui-même. Le On qui répond à la question du qui du DASEIN est le personne auquel tout DASEIN, dans son être-les-uns-parmi-les-autres, s’est à chaque fois déjà livré. (§27 [EtreTemps27])

C’est dans les caractères d’être de l’être-les-uns-parmi-les-autres quotidien - distancement, médiocrité, nivellement, publicité, déchargement d’être et complaisance - que réside le « maintien » prochain du DASEIN. Ce maintien ne concerne pas l’être-sous-la-main persistant de quelque chose, mais le mode d’être du DASEIN comme être-avec. En étant selon les modes cités, le Soi-même du DASEIN propre et le Soi-même des autres ne s’est pas encore trouvé, ou s’est perdu. On est selon la guise de la dépendance et de l’inauthenticité. Cette guise d’être ne signifie pas plus une diminution de la facticité du DASEIN que le On en tant que personne n’est un rien. Tout au contraire, c’est dans ce mode d’être que le DASEIN est ens realissimum, si tant est que la « réalité » puisse désigner l’être qui est à la mesure du DASEIN. (§27 [EtreTemps27])

Le Soi-même du DASEIN quotidien est le On-même, que nous distinguons du Soi-même authentique, c’est-à-dire proprement saisi. En tant que On-même, chaque DASEIN est dispersé dans le On, et il doit commencer par se retrouver. Cette dispersion caractérise le « sujet » de ce mode d’être que nous connaissons sous le nom d’identification préoccupée avec le monde de prime abord rencontré. Mais que le DASEIN soit familier de lui-même comme On-même, cela signifie en même temps que le On pré-dessine l’explicitation prochaine du monde et de l’être-au-monde. Le On-même, en-vue-de quoi le DASEIN est quotidiennement, articule le complexe de renvois de la significativité. Le monde du DASEIN libère l’étant qui fait encontre vers une totalité de tournure qui est familière au On, et cela dans les limites qui sont fixées avec la médiocrité du On. De prime abord, le DASEIN factice est dans le monde commun médiocrement découvert. De prime abord, « je » ne « suis » pas au sens du Soi-même propre, mais je suis les autres selon la guise du On. C’est à partir de celui-ci et comme celui-ci que, de prime abord, je suis « donné » à moi-même ». Le DASEIN est de prime abord On et le plus souvent il demeure tel. Lorsque le DASEIN découvre et s’approche proprement le monde, lorsqu’il s’ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde » et cette ouverture du DASEIN s’accomplit toujours en tant qu’évacuation des recouvrements et des obscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le DASEIN se verrouille l’accès à lui-même. (§27 [EtreTemps27])

[132] Dans quelle direction devons-nous alors tourner nos regards pour caractériser phénoménalement l’être-à comme tel ? Pour répondre à cette question, nous n’aurons qu’à nous rappeler la donnée fondamentale que nous avions confiée au regard phénoménologique lors de notre première indication du phénomène : l’être-à par opposition à l’intériorité sous-la-main d’un étant sous-la-main « dans » un autre ; l’être-à considéré non pas comme une propriété d’un sujet sous-la-main, produite ou même simplement suscitée par l’être-sous-la-main du « monde », mais bien plutôt comme un mode d’être essentiel de cet étant lui-même. Mais, dira-t-on, qu’est-ce d’autre qui se présente avec ce phénomène sinon le commercium sous-la-main entre un sujet sous-la-main et un objet sous-la-main ? En fait, pareille interprétation se rapprocherait peut-être davantage de la réalité phénoménale si elle disait : le DASEIN est l’être de cet « entre », ce qui n’empêche que l’orientation sur un tel « entre » menacerait quand même de nous égarer. En effet, cette orientation ne laisse pas de poser, de manière aussi indéterminée qu’inconsidérée, les deux étants entre lesquels cet entre-deux « est » comme tel. L’entre-deux est déjà conçu comme résultat de la convenientia de deux sous-la-main. Seulement, cette position préalable de ces termes fait toujours déjà éclater le phénomène et annule toute chance de le re-composer à partit de ses éclats. Non seulement le « ciment » fait défaut pour cela, mais encore le « schème » conformément auquel le réajointement en question doit s’accomplir a lui-même éclaté, ou, plus précisément, il n’a jamais été auparavant dévoilé. Ce qui est ontologiquement décisif, c’est donc d’empêcher d’emblée l’éclatement du phénomène, c’est-à-dire d’assurer sa réalité phénoménale positive. Or qu’il soit besoin à cet effet de tant de détours, cela atteste simplement que le mode traditionnel de traitement du « problème de la connaissance » a de bien des manières dénaturé ontologiquement, jusqu’à la rendre méconnaissable, une donnée qui allait ontiquement de soi. (§28 [EtreTemps28])

L’expression ontiquement figurée de lumen naturale dans l’homme ne vise rien d’autre [133] que la structure ontologico-existentiale selon laquelle cet étant est de telle manière qu’il est son là. Il est « éclairé », autrement dit : il est en lui-même éclairci comme être-au-monde - non point par un autre étant, mais de telle manière qu’il est lui-même l’éclaircie. C’est seulement pour un étant ainsi existentialement éclairci que du sous-la-main devient accessible dans la lumière, retiré dans les ténèbres. Le DASEIN apporte nativement avec lui son Là ; privé de lui, non seulement il n’est pas facticement, mais encore il n’est absolument pas l’étant d’une telle essence. Le DASEIN est son ouverture. (§28 [EtreTemps28])

La constitution de cet être doit être dégagée. Mais dans la mesure où l’essence de cet étant est l’existence, la proposition existentiale : « le DASEIN est son ouverture » signifie en même temps : l’être dont il y va pour cet étant en son être consiste à être son « Là ». Conformément à l’élan propre de l’analyse, il est donc besoin, en plus de la caractérisation de la constitution primaire de l’être de l’ouverture, d’une interprétation du mode d’être où cet étant est quotidiennement son là. (§28 [EtreTemps28])

L’égalité d’âme sans trouble aussi bien que la mauvaise humeur contenue de la préoccupation quotidienne, le passage de l’une à l’autre et inversement, le glissement dans l’aigreur : ontologiquement, ces phénomènes ne sont pas rien, quand bien même ils sont pris pour ce qu’il y a de plus indifférent et de plus fugitif dans le DASEIN, et ainsi passent inaperçus. Que des tonalités puissent s’altérer et virer du tout au tout, cela indique simplement que le DASEIN est à chaque fois toujours déjà intoné. L’atonie, c’est-à-dire l’indifférence persistante, plate et terne, que rien n’autorise à confondre avec de l’aigreur, est si peu insignifiante que c’est en elle justement que le DASEIN devient à charge pour lui-même. L’être est devenu manifeste comme un poids. Pourquoi, on ne le sait pas. Et si le DASEIN ne peut pas savoir ces choses, c’est parce que les possibilités d’ouverture du connaître portent bien trop court par rapport à l’ouvrir originaire propre à ces tonalités mêmes où le DASEIN est transporté devant son être comme Là. Derechef, il se peut qu’une tonalité exaltée délivre de la charge manifeste de l’être ; mais justement, même cette possibilité de tonalité ouvre - fût-ce en délivrant de lui - le caractère de fardeau du DASEIN. La tonalité manifeste « où l’on en est et où l’on en viendra ». Dans cet « où », l’être-intoné transporte l’être en son « Là ». (§29 [EtreTemps29])

Dans l’être-intoné, le DASEIN est toujours déjà tonalement ouvert comme cet étant à qui le DASEIN a été remis en son être comme être [NT: als dem Sein, das... : « être » est ici encore au datif, mais, pour éviter le charabia de BW, je traduis quant au sens. De toute façon, lieu et objet de ladite remise sont identiques.] qu’il a à être en existant. Mais « ouvert » ne signifie pas connu comme tel, et c’est justement dans la quotidienneté la plus indifférente et la plus anodine que l’être du DASEIN peut percer dans la nudité de [cela] « qu’il est et a à être ». Ce pur « qu’il est » se montre, mais son « d’où » et son « vers où » restent dans l’obscurité. Que le DASEIN ne « cède » pas si quotidiennement à de telles tonalités, autrement dit qu’il ne [135] suive [NT: En l’occurrence : ne la prenne pas réflexivement en considération (nachgehen)] pas leur ouverture et ne se laisse pas transporter devant ce qu’elles ouvrent, cela n’est nullement une preuve contre l’état-de-fait phénoménal de l’ouverture tonale de l’être du Là en son « que », mais au contraire en sa faveur. La plupart du temps, le DASEIN esquive ontico-existentiellement l’être ouvert dans la tonalité ; mais ce que cela signifie ontologico-existentialement, c’est ceci : dans ce vers quoi une telle tonalité ne se tourne pas, le DASEIN est dévoilé dans son être-remis au Là. Dans l’esquive elle-même, le Là est en tant qu’ouvert. (§29 [EtreTemps29])

L’étant qui a le caractère du DASEIN est son Là selon une guise telle que, expressément ou non, il se trouve dans son être-jeté. Dans l’affection, le DASEIN est toujours déjà transporté devant lui-même, il s’est toujours déjà trouvé - non pas en se « trouvant » là-devant par la perception, mais en « se-trouvant » en une tonalité. En tant qu’étant remis à son être, il demeure également remis à ceci qu’il doit toujours déjà s’être trouvé - trouvé en une trouvaille qui ne résulte pas tant d’une quête directe que d’une fuite. Si la tonalité ouvre, ce n’est pas en tournant ses regards sur l’être-jeté, c’est en se tournant vers lui pour s’en détourner. La plupart du temps, elle ne se tourne pas vers le caractère de charge du DASEIN qui est manifesté en elle - et cela est encore plus vrai de la tonalité exaltée en tant que celle-ci en délivre. Ce détournement n’est jamais ce qu’il est que sur le mode de l’affection. (§29 [EtreTemps29])

C’est ce qui suffit déjà à montrer combien l’affection est éloignée de quelque chose comme la trouvaille d’un état psychique. Elle présente si peu le caractère d’une saisie se re-tournant rétrospectivement [sur soi] que toute réflexion immanente ne peut au contraire « trouver » des « vécus » que parce que le DASEIN est déjà ouvert en son affection. La « simple tonalité » ouvre le Là plus originairement - mais, corrélativement, elle le referme aussi encore plus obstinément que toute non-perception. (§29 [EtreTemps29])

L’affection est un mode existential fondamental où le DASEIN est son Là. Elle ne caractérise pas seulement ontologiquement le DASEIN, mais en même temps elle présente, en raison de l’ouvrir qui lui est propre, une signification méthodique fondamentale pour l’analytique existentiale. Car celle-ci, comme toute interprétation ontologique en général, ne peut pour ainsi dire ausculter en son être que de l’étant auparavant ouvert. Elle s’en tiendra donc aux possibilités insignes et décisives d’ouverture du DASEIN, afin de recueillir d’elles la [140] révélation de cet étant. L’interprétation phénoménologique doit nécessairement donner au DASEIN lui-même la possibilité de l’ouvrir originaire, et le laisser pour ainsi dire s’expliciter lui-même. Cet ouvrir, elle ne fait que l’accompagner, afin de porter existentialement au concept la teneur phénoménale de ce qui est ouvert. (§29 [EtreTemps29])

Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] (NT: Pour-quoi, en effet, c’est ici Worum, c’est-à-dire le « pour » qui se rapporte au DASEIN lui-même, non pas Wozu, le pour-quoi constituant l’être de l’outil ou du rapport à l’outil. Le français ne peut ici recourir à deux prépositions différentes, mais les contextes, heureusement, interdisent la confusion.) la peur a peur, c’est l’étant même qui a peur : le DASEIN. Seul un étant pour lequel en son être il y va de cet être même peut prendre-peur. L’avoir-peur ouvre cet étant dans sa précarité, dans son abandon à lui-même. La peur dévoile toujours, même si c’est avec une netteté variable, le DASEIN en l’être de son Là. Que nous puissions avoir peur pour notre maison et nos biens, cela ne constitue point une instance contre la détermination donnée à l’instant du pour-quoi de la peur. Car le DASEIN en tant qu’être-au-monde est à chaque fois être-auprès préoccupé. De prime abord et le plus souvent, le DASEIN est à partir de ce dont il se préoccupe. La mise en péril de celui-ci est menace sur l’être-auprès. La peur ouvre le plus souvent le DASEIN selon une guise privative. Elle égare et fait « perdre la tête ». La peur referme l’être-à mis en péril lors même qu’elle le fait voir, de telle sorte que le DASEIN, lorsque la peur a reculé, doit commencer par se retrouver. (§30 [EtreTemps30])

Nos recherches antérieures ont en fait déjà rencontré ce comprendre originaire, même si elles ne l’ont pas encore fait expressément entrer dans leur thème. Le DASEIN est en existant son Là, cela veut dire : le monde est « là », son DA-SEIN est l’être-à ; et, de même : celui-ci est « là », à savoir comme ce en-vue-de quoi le DASEIN est. Dans l’en-vue-de-quoi, l’être-au-monde existant est comme tel ouvert, et c’est cette ouverture qui a été nommée le comprendre [NA: Cf. supra, §18, p. [85] sq.]. Dans le comprendre de l’en-vue-de-quoi, la significativité qui s’y fonde est conjointement ouverte. L’ouverture du comprendre concerne, en tant qu’ouverture de l’en-vue-de-quoi et de la significativité, co-originairement l’être-au-monde en sa plénitude. La significativité est ce vers quoi le monde est comme tel ouvert. En-vue-de-quoi et significativité sont ouverts dans le DASEIN, cela veut dire : le DASEIN est un étant pour lequel, en tant qu’être-au-monde, il y va de celui-ci même. (§31 [EtreTemps31])

Dans un langage ontique, nous prenons parfois l’expression « comprendre quelque chose » au sens de : « s’entendre à quelque chose », c’est-à-dire « pouvoir y faire face », « savoir se tirer d’affaire ». Or ce qui est ainsi « pu » ou « su » dans le comprendre en tant qu’existential, ce n’est pas un « quelque chose », c’est l’être comme exister. Le comprendre inclut existentialement le mode d’être du DASEIN comme pouvoir-être. Le DASEIN n’est pas un sous-la-main qui posséderait de surcroît le don de pouvoir quelque chose, mais il est primairement possibilité. Le DASEIN est à chaque fois ce qu’il peut être et la manière même dont il est sa possibilité. L’être-possible essentiel du DASEIN concerne les guises - plus haut caractérisées - de la préoccupation pour le « monde », de la sollicitude envers les autres, et, toujours déjà impliqué dans tout cela, le pouvoir-être pour lui-même, vers lui-même, en-vue-de lui-même. L’être-possible que le DASEIN est à chaque fois existentialement se distingue aussi bien de la possibilité vide, logique que de la contingence d’un sous-la-main considéré selon que ceci ou cela peut lui « arriver ». En tant que catégorie modale de l’être-sous-la-main, la possibilité signifie ce qui n’est pas encore effectif et pas toujours nécessaire. Une telle possibilité caractérise le seulement possible. Ontologiquement, elle est inférieure à l’effectivité et à la nécessité. La possibilité comme existential, au contraire, est la déterminité [144] ontologique positive la plus originaire et ultime du DASEIN. De prime abord, comme l’existentialité en général, elle ne peut qu’être préparée en tant que problème. Or justement, ce qui offre le sol phénoménal sur lequel il est en général possible de l’apercevoir, c’est le comprendre comme pouvoir-être ouvrant. (§31 [EtreTemps31])

La possibilité comme existential ne signifie pas le pouvoir-être flottant au sens de l’« indifférence de l’arbitre » (libertas indifferentiae). En tant qu’essentiellement affecté, le DASEIN s’est à chaque fois déjà engagé dans des possibilités déterminées, en tant que le pouvoir-être qu’il est, il en a laissé passer, constamment il se déprend de possibilités de son être, il les prend et s’y mé-prend. Or cela signifie : le DASEIN est un être-possible remis à lui-même, une possibilité de part en part jetée. Le DASEIN est la possibilité de l’être-libre pour le pouvoir-être le plus propre. L’être-possible lui est à lui-même transparent selon diverses guises et divers degrés possibles. (§31 [EtreTemps31])

Le comprendre est l’être d’un pouvoir-être qui n’est jamais en « reste » à titre de pas-encore-sous-la-main, mais qui, n’étant au contraire essentiellement jamais sous-la-main, « est » selon l’être du DASEIN au sens de l’existence. Le DASEIN est en une guise telle qu’il s’est - ou ne s’est pas - à chaque fois entendu à être ainsi ou ainsi. En tant qu’il comprend ainsi, il « sait » à quoi s’en tenir, où il en est avec lui-même, c’est-à-dire avec son pouvoir-être. Ce « savoir » n’est pas d’abord né d’une auto-perception immanente, mais il appartient à l’être du Là, qui est essentiellement comprendre. Et c’est seulement parce que le DASEIN, en comprenant, est son Là qu’il peut se fourvoyer et se méconnaître. Et dans la mesure où le comprendre est affecté et, comme tel, existentialement livré à l’être-jeté, le DASEIN s’est à chaque fois déjà fourvoyé et méconnu. Dans son pouvoir-être, il est donc remis à la possibilité de se re-trouver dans ses possibilités. (§31 [EtreTemps31])

En tant qu’ouvrir, le comprendre concerne toujours la constitution fondamentale totale de l’être-au-monde. En tant que pouvoir-être, l’être-à est à chaque fois pouvoir-être-au-monde. Celui-ci n’est pas seulement ouvert, en tant que monde, comme significativité possible, mais encore la libération de l’étant intramondain lui-même libère cet étant vers ses possibilités. L’à-portée-de-la-main est comme tel découvert dans son utilité, son employabilité, son importunité. La totalité de tournure se dévoile comme le tout catégorial d’une possibilité de complexion d’étant à-portée-de-la-main. Même l’« unité » du [145] sous-la-main en sa diversité, la nature, ne devient découvrable que sur la base de l’ouverture d’une possibilité à elle propre. Est-ce un hasard si la question de l’être de la nature vise les « conditions de sa possibilité » ? Or où un tel questionnement se fonde-t-il ? Face à lui, une autre question ne peut pas ne pas s’élever : pour-quoi, en-vue-de-quoi l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN est-il compris en son être lorsqu’il est ouvert vers ses conditions de possibilité ? Cette compréhension, Kant la présuppose peut-être à bon droit. Cependant, ce présupposé même ne saurait, à tout le moins, rester sans légitimation. (§31 [EtreTemps31])

Pourquoi le comprendre, selon toutes les dimensions essentielles de ce qui peut être ouvert en lui, perce-t-il toujours jusqu’aux possibilités ? Parce que le comprendre a en lui-même la structure existentiale que nous appelons le projet. Il projette l’être du DASEIN vers son en-vue-de-quoi tout aussi originairement que vers la significativité en tant que mondanéité de ce qui lui est à chaque fois monde. Le caractère de projet du comprendre constitue l’être-au-monde du point de vue de l’ouverture de son Là comme Là d’un pouvoir-être. Le projet est la constitution existentiale d’être de l’espace de jeu du pouvoir-être factice. Et en tant que jeté, le DASEIN est jeté dans le mode d’être du projeter. Le projeter n’a rien à voir avec l’observation d’un plan conçu conformément auquel le DASEIN aménagerait son être : au contraire, en tant que DASEIN, il s’est à chaque fois déjà projeté et, aussi longtemps qu’il est, il est projetant. Le DASEIN se comprend toujours déjà et toujours encore, aussi longtemps qu’il est, à partir de possibilités. (§31 [EtreTemps31])

Sur le fondement du mode d’être qui est constitué par l’existential du projet, le DASEIN est constamment « plus » qu’il n’est factuellement, à supposer que l’on veuille et que l’on puisse l’enregistrer en sa réalité en tant qu’étant sous-la-main. En revanche, il n’est jamais plus qu’il n’est facticement, parce que le pouvoir-être appartient essentiellement à sa facticité. Mais le DASEIN, en tant qu’être-possible, n’est jamais non plus moins, s’il est vrai qu’il est existentialement ce qu’il n’est pas encore en son pouvoir-être. Et c’est seulement parce que l’être du Là reçoit sa constitution du comprendre et de son caractère de projet, parce qu’il est ce qu’il sera ou ne sera pas, qu’il peut se dire à lui-même compréhensivement : « Deviens ce que tu es ! » (§31 [EtreTemps31])

Le comprendre, en son caractère de projet, constitue existentialement ce que nous appelons la vue du DASEIN. Cette vue existentialement coprésente à l’ouverture du Là, le DASEIN l’est cooriginairement selon les guises fondamentales de son être qu’on a caractérisées, c’est-à-dire la circon-spection de la préoccupation, l’égard de la sollicitude, et il l’est en tant que vue sur l’être même en-vue-de-quoi le DASEIN est chaque fois comme il est (NT: La syntaxe de la phrase est délicate, mais le sens me paraît prescrire de construire ainsi : « le DASEIN est la vue... en tant que vue sur l’être... » (la deuxième occurrence de « vue » fonctionnant comme attribut de la première) - autrement dit de ne pas coordonner, comme BW, « vue sur l’être » à « circon-spection » et « égard ». Bref : que ce soit selon la guise de la circon-spection ou de l’égard, le DASEIN est vue, à savoir vue sur son être possible. ). La vue qui se rapporte primairement et en totalité à l’existence, nous l’appelons la translucidité. Nous choisissons ce terme pour désigner la « connaissance de soi » bien comprise, c’est-à-dire pour indiquer qu’il ne s’agit pas dans celle-ci d’une détection et d’une contemplation perceptives d’un point fixe du Soi-même, mais d’une saisie compréhensive de l’ouverture pleine de l’être-au-monde à travers ses moments constitutifs essentiels. L’existant ne « se » voit que pour autant qu’il est devenu pour soi cooriginairement translucide dans son être auprès du monde et dans l’être-avec autrui comme moments constitutifs de son existence. (§31 [EtreTemps31])

En revanche, il est déjà besoin d’une attitude fort artificielle et compliquée pour [164] « entendre » un « pur bruit ». Mais que nous entendions de prime abord des motocyclettes et des voitures, c’est la preuve phénoménale que le DASEIN en tant qu’être-au-monde séjourne à chaque fois déjà auprès de l’à-portée-de-la-main intramondain, et non pas d’abord auprès de « sensations » dont le « fouillis » devrait être préalablement mis en forme pour confectionner le tremplin permettant au sujet d’atteindre enfin un « monde ». En tant qu’essentiellement compréhensif, le DASEIN est de prime abord auprès de ce qu’il comprend. (§34 [EtreTemps34])

Dans le DASEIN, cet être-explicité du bavardage s’est à chaque fois déjà fixé. Il y a beaucoup de choses que nous apprenons d’abord de cette manière, et il y en a tout autant qui ne dépassent jamais une telle compréhension médiocre. À cet être-explicité où le DASEIN est de prime abord engagé, jamais il ne peut se soustraire. C’est en lui, à partir de lui, contre lui que s’accomplit tout comprendre, tout expliciter, tout communiquer, toute redécouverte, toute réappropriation véritables. Jamais un DASEIN n’est placé en soi, indemne de tout contact et de toute séduction de cet être-explicité, devant la terre vierge d’un « monde » pour regarder simplement ce qui y fait encontre. La souveraineté de l’être-explicité public a même déjà [170] décidé des possibilités de l’être-intoné, c’est-à-dire du mode fondamental en lequel le DASEIN se laisse aborder par le monde. Le On prédessine l’affection, il détermine ce que l’on « voit », et comment. (§35 [EtreTemps35])

Toutefois l’« évidence » et l’« assurance » de l’être-explicité médiocre implique que, sous sa protection, l’étrang(èr)eté du suspens où le DASEIN est entraîné vers une absence croissante de sol demeure à chaque fois en retrait pour ce DASEIN même. (§35 [EtreTemps35])

À supposer en effet que ce que l’on pressentait et flairait advienne un jour effectivement, alors l’équivoque s’est justement déjà préoccupée qu’instantanément l’intérêt pour la chose réalisée s’évanouisse. Car cet intérêt ne subsiste que selon la guise de la [174] curiosité et du bavardage, aussi longtemps qu’existe la possibilité d’un simple pressentiment commun qui n’engage à rien. Ceux-là même qui sont « de la partie » si et aussi longtemps que l’on est sur la trace de la chose, refusent de suivre dès que s’annonce l’accomplissement de ce que l’on pressentait. Car avec cet accomplissement, le DASEIN est à chaque fois forcé de faire retour vers lui-même. Le bavardage et la curiosité perdent alors leur puissance - ce dont ils ont tôt fait de se venger. Devant l’accomplissement de ce qu’on pressentait en commun, le bavardage s’empresse d’intervenir, disant : « on en aurait bien fait autant » - puisque aussi bien on le pressentait avec les autres. Finalement, le bavardage est même fâché pour peu qu’arrive effectivement ce qu’il pressentait et ne cessait de réclamer : car c’est alors l’occasion de pressentir davantage qui lui est arrachée. (§37 [EtreTemps37])

L’équivoque de l’être-explicité public fait passer le bavardage anticipé et le pressentiment curieux pour l’événement proprement dit, et elle marque l’accomplissement, l’action elle-même de l’estampille de l’après-coup, de l’anodin. Par suite, le comprendre du DASEIN dans le On ne cesse de se méprendre en ses projets quant à ses possibilités d’être véritables. Le DASEIN est toujours équivoquement « là », c’est-à-dire dans cette ouverture publique de l’être-l’un-avec-l’autre où le bavardage le plus bruyant et la curiosité la plus astucieuse mènent l’« affaire » - là où quotidiennement tout est sans qu’au fond rien n’arrive. (§37 [EtreTemps37])

Bavardage, curiosité et équivoque caractérisent la guise en laquelle le DASEIN est quotidiennement son « Là », c’est-à-dire l’ouverture de l’être-au-monde. Ces caractères, en tant que déterminités existentiales, ne sont pas sous-la-main dans le DASEIN, mais co-constituent son être. En eux et en leur connexion ontologique se dévoile un mode fondamental de l’être de la quotidienneté, que nous appelons l’échéance (NT: Voir l’index, s.v. Verfallen.) du DASEIN. (§38 [EtreTemps38])

Ce titre, qui n’exprime aucune valorisation négative, doit signifier ceci : de prime abord et le plus souvent, le DASEIN est auprès du « monde » dont il se préoccupe. Cette identification a le plus souvent le caractère de la perte dans la publicité du On. De prime abord, le DASEIN est toujours déjà retombé de lui-même comme pouvoir-être-Soi-même authentique, et il est échu sur le « monde ». L’être-échu sur le « monde » désigne l’identification à l’être-l’un-avec-l’autre pour autant que celui-ci est conduit par le bavardage, la curiosité et l’équivoque. Ce que nous appelions l’inauthenticité du DASEIN (NA: §9) reçoit [176] maintenant de l’interprétation de l’échéance une détermination plus aiguë. Cependant inauthenticité et non-authenticité ne signifient nullement que le DASEIN, en un tel mode d’être, perdrait en général son être. L’inauthenticité désigne si peu quelque chose comme un ne-plus-être-au-monde qu’elle constitue précisément un être-au-monde privilégié qui est complètement pris par le « monde » et par l’être-Là-avec d’autrui dans le On. Le ne-pas-être-lui-même fonctionne comme possibilité positive de l’étant qui s’identifie essentiellement au monde par sa préoccupation. Ce non-être doit nécessairement être conçu comme le plus prochain mode d’être du DASEIN, celui où il se tient le plus souvent. (§38 [EtreTemps38])

En tant qu’il échoit, le DASEIN est déjà tombé de lui-même en tant qu’être-au-monde factice ; et il n’est pas échu sur quelque chose d’étant contre lequel il se heurterait (ou non) au cours de son existence, mais sur le monde qui lui-même appartient à son être. L’échéance est une détermination existentiale du DASEIN lui-même et n’indique rien à son sujet en tant que sous-la-main, ou sur ses relations sous-la-main avec l’étant dont il « provient » ou avec lequel il est entré après-coup dans un commercium. (§38 [EtreTemps38])

Or, avec cette analyse, le tout de la constitution existentiale du DASEIN est libéré en ses traits capitaux, et le sol phénoménal est conquis pour l’interprétation « synthétique » de l’être du DASEIN comme souci. (§38 [EtreTemps38])

Une chose, négativement, est hors de doute : la totalité du tout structurel ne saurait être phénoménalement atteinte en en reconstruisant les éléments : car pour cela un plan serait nécessaire. L’être du DASEIN, qui ontologiquement porte le tout structurel comme tel, nous devient accessible en un regard plein qui traverse ce tout en visant un phénomène originairement unitaire déjà contenu de telle manière dans le tout qu’il en fonde ontologiquement tout moment structurel dans sa possibilité structurelle. Par suite, l’interprétation « synthétique » ne peut être une simple récollection de ce qui a été jusqu’ici conquis. La question du caractère existential fondamental du DASEIN est essentiellement distincte de la question de l’être d’un sous-la-main. L’expérience quotidienne du monde ambiant, qui demeure ontiquement et ontologiquement dirigée vers l’étant intramondain, est incapable de prédonner ontiquement de manière originaire le DASEIN à une analyse [182] ontologique. De la même façon, il manque à la perception immanente de vécus tout fil conducteur ontologiquement suffisant. D’autre part, l’être du DASEIN ne doit pas être déduit d’une idée de l’homme. Est-il donc possible de découvrir à partir de notre interprétation antérieure du DASEIN quel accès ontico-ontologique à lui-même il exige de lui-même comme le seul accès adéquat ? (§39 [EtreTemps39])

Existentiellement, l’authenticité de l’être-Soi-même est sans doute refermée et refoulée dans l’échéance, mais cette fermeture est seulement la privation d’une ouverture qui se manifeste phénoménalement dans le fait même que la fuite du DASEIN est fuite devant lui-même. Dans le devant-quoi de la fuite, le DASEIN se « confronte » justement à lui. C’est seulement dans la mesure où le DASEIN, ontologiquement, est essentiellement transporté devant lui-même par l’ouverture qui lui appartient en général, qu’il peut fuir devant lui. Bien sûr, dans cette diversion échéante, le devant-quoi de la peur n’est pas saisi, pas plus qu’il n’est [185] expérimenté dans la conversion correspondante. En revanche, dans la diversion, il est ouvert par lui « là ». Le détournement ontico-existentiel donne phénoménalement, sur la base de son caractère d’ouverture, la possibilité de saisir ontologico-existentialement le devant-quoi de la fuite comme tel. À l’intérieur même de l’« écart » ontique impliqué par le détournement, le devant-quoi de la fuite peut être compris et porté au concept dans une « conversion » qui l’interprète phénoménologiquement. (§40 [EtreTemps40])

Que l’angoisse comme affection fondamentale ouvre effectivement selon cette guise, la preuve la plus immédiate nous en est à nouveau apportée par l’explicitation quotidienne du DASEIN et le bavardage. L’affection, avons-nous dit en effet plus haut, manifeste « où l’on en est ». Dans l’angoisse, « c’est inquiétant », « c’est étrange ». Ici s’exprime d’abord l’indétermination spécifique de ce auprès de quoi le DASEIN se trouve dans l’angoisse : le rien et nulle part. Mais ce caractère inquiétant, cette étrang(èr)eté signifie en même temps le ne-pas-être-chez-soi. En livrant la première indication phénoménale de la constitution fondamentale du DASEIN et en clarifiant le sens existential de l’être-à par opposition à la signification catégoriale de l’« intériorité », nous avons déterminé le DASEIN comme habiter auprès..., être familier avec... [NA: Cf. supra, §12, p. [53] sq.] Ensuite, ce caractère de l’être-à fut manifesté plus concrètement par la publicité concrète du On, qui apporte le calme de l’auto-sécurité, l’« évidence » du « chez soi » dans la quotidienneté médiocre du DASEIN [NA: Cf. supra, §27, p. [126] sq.]. L’angoisse, au contraire, ramène le [189] DASEIN de son identification échéante au « monde ». La familiarité quotidienne se brise. Le DASEIN est isolé, mais comme être-au-monde. L’être-à revêt la « modalité » existentiale du hors-de-chez-soi. Ce n’est pas autre chose que veut dire l’expression d’« étrang(èr)eté ». (§40 [EtreTemps40])

Le DASEIN est un étant pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Le « aller de... » s’est clarifié dans la constitution d’être du comprendre comme être qui se projette vers le pouvoir-être le plus propre. C’est en-vue-de celui-ci que le DASEIN est à chaque fois comme il est. Le DASEIN, en son être, s’est à chaque fois déjà confronté avec une possibilité de lui-même. L’être-libre vers le pouvoir-être le plus propre et, du même coup, vers la possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité se manifeste dans l’angoisse en une concrétion originaire, élémentaire. Or l’être pour le pouvoir-être le plus propre veut dire ontologiquement : le DASEIN est, en son être, à chaque fois déjà en avant de lui-même. Le DASEIN est toujours déjà [192] « au-delà de soi », non pas en tant que comportement vis-à-vis d’un autre étant qu’il n’est pas, mais en tant qu’être pour le pouvoir-être qu’il est lui-même. Cette structure d’être du « y aller de... » essentiel, nous la saisissons comme l’être-en-avant-de-soi du DASEIN. (§41 [EtreTemps41])

L’être-en-avant-de-soi comme être pour le pouvoir-être le plus propre contient la condition ontologico-existentiale de possibilité de l’être-libre vers des possibilités existentielles authentiques. C’est en vue du pouvoir-être que le DASEIN est à chaque fois comme il est facticement. Mais dans la mesure où cet être pour le pouvoir-être est lui-même déterminé par la liberté, le DASEIN peut aussi se comporter velléitairement vis-à-vis de ses possibilités, il peut être inauthentique, et il est de prime abord et le plus souvent facticement selon cette guise. Le en-vue-de-quoi authentique reste non-saisi, le projet du pouvoir-être de soi-même est laissé à la disposition du On. Dans l’être-en-avant-de-soi, le « soi » désigne donc à chaque fois le Soi-même au sens du On-même. Même dans l’inauthenticité, le DASEIN reste essentiellement en-avant-de-soi, tout de même que la fuite échéante du DASEIN devant lui-même manifeste encore la constitution d’être selon laquelle, pour cet étant, il y va de son être. (§41 [EtreTemps41])

Le pouvoir-être en-vue duquel le DASEIN est a lui-même le mode d’être de l’être-au-monde. Il implique donc ontologiquement le rapport à de l’étant intramondain. Le souci est toujours, même s’il n’est que privativement, préoccupation et sollicitude. Dans le vouloir, un étant compris, c’est-à-dire projeté vers sa possibilité, est saisi concrètement comme quelque chose dont il faut se préoccuper ou qu’il faut porter à son être par la sollicitude. C’est pourquoi au vouloir appartient à chaque fois un voulu, qui s’est déjà déterminé à partir d’un en-vue-de-quoi. La possibilité ontologique du vouloir a donc pour constituants : l’ouverture préalable de l’en-vue-de-quoi en général (être-en-avant-de-soi), l’ouverture de l’objet possible de préoccupation (le monde comme le « où » de l’être-déjà) et le se-projeter compréhensif du DASEIN vers un pouvoir-être pour une possibilité de l’étant « voulu ». Dans le phénomène du vouloir perce la totalité sous-jacente du souci. (§41 [EtreTemps41])

Le se-projeter compréhensif du DASEIN est à chaque fois, en tant que factice, auprès d’un monde découvert. C’est en lui qu’il puise - de prime abord conformément à l’être-explicité du On - ses possibilités. Cette explicitation du On, d’entrée du jeu, a restreint les possibilités choisissables à la sphère du bien connu, de l’accessible, du supportable, du convenable et du décent. Ce nivellement des possibilités de DASEIN à la mesure de ce qui est de prime abord disponible au quotidien accomplit en même temps un aveuglement du [195] possible comme tel. La quotidienneté médiocre de la préoccupation devient aveugle au possible et se satisfait auprès du simplement « réel ». Ce rassurement n’exclut pas, mais au contraire éveille un affairement multiple de la préoccupation. Dès lors, des possibilités positives nouvelles ne sont plus voulues, mais c’est le disponible qui, « tactiquement », est modifié de manière à ce que naisse l’illusion qu’il se passe quelque chose. (§41 [EtreTemps41])

Pourtant, réfléchissons-y : dans ce témoignage, le DASEIN s’exprime sur lui-même, et il le fait « originairement », sans être déterminé par des interprétations théoriques, et sans non plus les viser. Considérons en outre que l’être du DASEIN est caractérisé par l’historialité, ce qui du reste reste à montrer ontologiquement. Or si le DASEIN est « historial » dans le fond de son être, alors un énoncé qui vient de son histoire et y retourne, et qui de surcroît se tient en deçà de toute science, acquiert une importance particulière, quoique non purement ontologique. La compréhension d’être présente dans le DASEIN lui-même s’exprime préontologiquement. Le témoignage que nous allons citer doit montrer clairement que l’interprétation existentiale n’est pas une invention, mais, en tant que « construction » ontologique, possède son sol et, avec lui, sa pré-esquisse élémentaire. (§42 [EtreTemps42])

[206] Même si l’on voulait alléguer le fait que le sujet doit présupposer - et, inconsciemment, présuppose toujours déjà - que le « monde extérieur » est sous-la-main, la position purement constructive d’un sujet isolé n’en resterait pas moins encore en jeu. Le phénomène de l’être-au-monde serait alors tout aussi peu atteint qu’il ne l’est par la monstration d’un être-ensemble-sous-la-main du physique et du psychique. Avec de telles présuppositions, le DASEIN arrive toujours déjà « trop tard » s’il est vrai que, s’il accomplit cette présupposition en tant qu’étant - et comment serait-elle possible autrement ? -, en tant qu’étant il est à chaque fois déjà dans un monde. « Plus ancienne » que toute présupposition et attitude du DASEIN est l’« a priori » de sa constitution d’être selon le mode d’être du souci. (§43 [EtreTemps43])

Cela dit, c’est seulement aussi longtemps que le DASEIN est, autrement dit aussi longtemps qu’est la possibilité ontique de la compréhension d’être, qu’« il y a » de l’être. Si le DASEIN n’existe pas, alors l’« indépendance », alors l’« en-soi » n’« est » pas non plus : il n’est ni compréhensible, ni incompréhensible. Alors l’étant intramondain n’est pas à son tour découvrable, ni ne peut se trouver dans le retrait. Alors l’on ne peut ni dire que l’étant est, ni qu’il n’est pas. Mais maintenant qu’est la compréhension de l’être et avec elle la compréhension de l’être-sous-la-main, il peut parfaitement être dit qu’alors l’étant continuera d’être. (§43 [EtreTemps43])

Cependant, il a été montré par notre analyse antérieure de la mondanéité et de l’étant intramondain que la découverte de l’étant intramondain se fonde dans l’ouverture du monde. Or l’ouverture est le mode fondamental du DASEIN conformément auquel il est son Là. L’ouverture est constituée par l’affection, le comprendre et le parler, et elle concerne cooriginairement le monde, l’être-à et le Soi-même. La structure du souci comme être-déjà-en-avant-de-soi-dans-un-monde-comme-être-auprès-de-l’étant-intramondain abrite en soi l’ouverture du DASEIN. C’est avec et par elle qu’il y a de l’être-découvert, et par conséquent [221] c’est seulement avec l’ouverture du DASEIN que le phénomène le plus originaire de la vérité est atteint. Ce qui a été plus haut mis au jour à propos de la constitution existentiale du Là [NA: Cf. supra, p. [134] sq.] et par rapport à l’être quotidien du Là [NA: Cf. supra, p. [166] sq.] ne concernait rien d’autre que le phénomène le plus originaire de la vérité. Pour autant que le DASEIN est essentiellement son ouverture, qu’en tant qu’ouvert il ouvre et découvre, il est essentiellement « vrai ». Le DASEIN est « dans la vérité ». Cet énoncé a un sens ontologique. Il ne veut pas dire que le DASEIN, ontiquement, est toujours ou même seulement à chaque fois expert « en toute vérité », mais qu’à sa constitution existentiale appartient l’ouverture de son être le plus propre. (§44 [EtreTemps44])

En reprenant les acquisitions antérieures, il est possible de restituer le plein sens existential de la proposition : « le DASEIN est dans la vérité » à l’aide des déterminations suivantes : (§44 [EtreTemps44])

2. À la constitution d’être du DASEIN appartient ensuite, et certes à titre de constitutif de son ouverture, l’être-jeté. En lui il se dévoile que le DASEIN est toujours déjà, en tant que mien et que tel, dans un monde déterminé et auprès d’une sphère déterminée d’étant intramondain déterminé. L’ouverture est essentiellement factice. (§44 [EtreTemps44])

4. À la constitution d’être du DASEIN appartient l’échéance. De prime abord et le plus souvent, le DASEIN est perdu dans son « monde ». Le comprendre, en tant que projet vers les [222] possibilités d’être, s’est déporté dans cette direction. L’identification au On signifie la souveraineté de l’être-explicité public. Le découvert, l’ouvert est soumis à la dissimulation et à la fermeture du bavardage, de la curiosité et de l’équivoque. L’être pour l’étant n’est pas éteint, mais il est déraciné. L’étant n’est pas complètement retiré - il est précisément découvert, mais en même temps dissimulé ; il se montre - mais sur le mode de l’apparence. De même, ce qui avait été auparavant découvert sombre à nouveau dans la dissimulation et le retrait. Le DASEIN, parce qu’il est essentiellement échéant, est, selon sa constitution d’être, dans la « non-vérité ». Ce dernier titre, tout comme l’expression d’« échéance », est ici utilisé ontologiquement. Toute « valorisation » ontiquement négative doit être tenue à l’écart de son usage analytico-existential. C’est à la facticité du DASEIN qu’appartiennent la fermeture et le recouvrement. Le sens ontologico-existential plein de la proposition : « Le DASEIN est dans la vérité » dit en même temps, et cooriginairement : « Le DASEIN est dans la non-vérité. » Mais c’est seulement dans la mesure où le DASEIN est ouvert qu’il est également fermé ; et ce n’est que pour autant qu’avec le DASEIN est déjà à chaque fois découvert de l’étant intramondain que ce type d’étant est recouvert (retiré) et dissimulé dans sa possibilité d’encontre intramondaine. (§44 [EtreTemps44])

Que la déesse de la vérité qui guide Parménide le place à la croisée de deux chemins, celui du découvrir et celui du retirer, ne signifie rien d’autre que ceci : le DASEIN est à chaque fois déjà dans la vérité et la non-vérité. Le chemin du découvrir ne peut être gagné que dans le [223] krinein logo, dans la distinction compréhensive des deux et dans la décision pour l’un [NA: K. REINHARDT, dans son Parmenides und die Geschichte der griechischen Philosophie, 1916, a pour la première fois pensé et résolu le problème controversé du lien entre les deux parties du poème doctrinal de Parménide, même s’il ne met pas expressément en lumière la connexion entre aletheia et doxa, ainsi que sa nécessité propre.]. (§44 [EtreTemps44])

L’interprétation ontologico-existentiale du phénomène de la vérité a donné le double résultat suivant : 1. La vérité au sens le plus originaire est l’ouverture du DASEIN, à laquelle appartient la découverte de l’étant intramondain. 2. Le DASEIN est cooriginairement dans la vérité et la non-vérité. (§44 [EtreTemps44])

En tant que constitué par l’ouverture, le DASEIN est essentiellement dans la vérité. L’ouverture est un mode d’être essentiel du DASEIN. « Il n’y a » de vérité que dans la mesure où et aussi longtemps que le DASEIN est. De l’étant n’est découvert que lorsque, n’est ouvert qu’aussi longtemps que le DASEIN est en général. Les lois de Newton, le principe de contradiction, toute vérité en général ne sont vrais qu’aussi longtemps que le DASEIN est. Avant que le DASEIN fût, après que le DASEIN ne sera plus, aucune vérité n’était ni ne sera, parce qu’elle ne peut alors être en tant qu’ouverture, découverte, être-découvert. Avant qu’elles ne fussent découvertes, les lois de Newton n’étaient pas « vraies » ; il ne suit pas de là qu’elles étaient fausses, ni qu’elles doivent le devenir si aucun être-découvert n’est plus [227] ontiquement possible. Tout aussi peu cette « restriction » implique-t-elle un amoindrissement de l’être-vrai des « vérités ». (§44 [EtreTemps44])

Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du DASEIN. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le DASEIN est. Mais le DASEIN - ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci - est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du DASEIN comme être-au-monde appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le DASEIN, il y va de son pouvoir-être-au-monde, et, conjointement, de la préoccupation circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du DASEIN comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du DASEIN appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du DASEIN ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du DASEIN, et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du DASEIN lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ». (§44 [EtreTemps44])

Nous devons nécessairement présupposer la vérité, elle doit nécessairement être en tant qu’ouverture du DASEIN, tout comme celui-ci même doit nécessairement être en tant qu’à chaque fois mien et tel : cela appartient à l’être-jeté essentiel du DASEIN dans le monde. Le DASEIN a-t-il à chaque fois par lui-même librement décidé, pourra-t-il à chaque fois décider s’il veut ou non advenir au « DASEIN » ? « En soi » il est impossible d’apercevoir pourquoi de l’étant doit être découvert, pourquoi de la vérité et du DASEIN doit nécessairement être. La réfutation ordinaire du scepticisme, c’est-à-dire de la négation de l’être ou de la cognoscibilité de la « vérité » reste toujours à la moitié du chemin. Tout ce qu’elle montre dans une argumentation formelle, c’est que, si l’on juge, de la vérité est présupposée. Il y a là une manière d’indiquer qu’à l’énoncé de la « vérité » appartient, autrement dit que la mise au jour est en son sens d’être un découvrir. Seulement, reste alors non clarifiée la raison pour laquelle il doit nécessairement en aller ainsi, et où se trouve le fondement ontologique de cette connexion nécessaire d’être de l’énoncé et de la vérité. De même, le mode d’être de la vérité et le sens du présupposer et de son fondement ontologique dans le DASEIN lui-même restent dans une totale obscurité. En outre, l’on méconnaît alors que même si personne ne juge, la [229] vérité n’en est pas moins déjà présupposée pour autant qu’en général le DASEIN est. (§44 [EtreTemps44])

[230] L’être de la vérité se tient dans une connexion originaire avec le DASEIN. Et c’est seulement parce que le DASEIN est en tant que constitué par l’ouverture, c’est-à-dire le comprendre, que peut en général être compris quelque chose comme l’être - que la compréhension d’être est possible. (§44 [EtreTemps44])

« Il » n’« y a » d’être - non pas d’étant - qu’autant que la vérité est. Et elle n’est qu’autant et aussi longtemps que le DASEIN est. Être et vérité « sont »cooriginairement. Ce que signifie : l’être « est », si tant est qu’il doit être distingué de tout étant, cela ne peut être questionné concrètement que si le sens de l’être et la portée de la compréhension d’être sont en général éclaircis. Alors seulement il devient également possible d’expliciter ce qui appartient au concept d’une science de l’être comme tel, de ses possibilités et de ses modifications. Et c’est enfin grâce à une délimitation par rapport à cette recherche et à sa vérité que devra être ontologiquement déterminée la recherche en tant que découverte de l’étant et la vérité de cette découverte. (§44 [EtreTemps44])

Si c’est, avec le souci, la constitution d’être originaire du DASEIN qui doit être conquise, alors il faut aussi que, sur cette base, la compréhension d’être comprise dans le souci puisse être portée au concept, autrement dit le sens de l’être délimité. Mais est-ce qu’avec le phénomène du souci la constitution ontologico-existentiale la plus originaire du DASEIN est ouverte ? Est-ce que la multiplicité structurelle contenue dans le phénomène du souci livre la totalité la plus originelle de l’être du DASEIN factice ? Est-ce que la recherche antérieure a en général réussi à prendre en vue le DASEIN comme totalité ? (§44 [EtreTemps44])

Qu’est-ce qui a été conquis par l’analyse préparatoire du DASEIN, et qu’est-ce qui est cherché ? Nous avons trouvé la constitution fondamentale de l’étant thématique, c’est-à-dire l’être-au-monde, dont les structures essentielles trouvent leur centre dans l’ouverture. La totalité de ce tout structurel s’est dévoilé comme souci. C’est dans le souci qu’est enclos l’être du DASEIN. L’analyse de cet être a pris pour fil conducteur ce qui avait été déterminé anticipativement comme l’essence du DASEIN - l’existence [NA: Cf. supra, §9, p. [41] sq.]. Formellement, ce titre signifie ceci : le DASEIN est en tant que ce pouvoir-être compréhensif pour lequel en son être il y va de cet être même. L’étant qui est ainsi, je le suis à chaque fois moi-même. L’élaboration du phénomène du souci nous a procuré un aperçu dans la constitution concrète de l’existence, c’est-à-dire dans le rapport qui l’unit cooriginairement avec la facticité et l’échéance du DASEIN. (§45 [EtreTemps45])

Or pouvons-nous dire que l’analyse existentiale du DASEIN jusqu’ici accomplie provenait d’une situation herméneutique telle que par elle fût garantie l’originarité qui vient d’être réclamée du point de vue fondamental-ontologique ? Nous est-il possible, partant du résultat obtenu - l’être du DASEIN est le souci -, de progresser jusqu’à la question de l’unité originaire de ce tout structurel ? (§45 [EtreTemps45])

Or le fondement ontologique originaire de l’existentialité du DASEIN est la temporalité. (§45 [EtreTemps45])

C’est à partir d’elle seulement que la totalité structurelle articulée de l’être du DASEIN comme souci devient existentialement intelligible. Néanmoins, l’interprétation du sens d’être du DASEIN ne peut s’en tenir à cette indication. L’analyse temporalo-existentiale de cet étant a besoin de confirmation concrète. Les structures ontologiques du DASEIN antérieurement conquises doivent être rétrospectivement libérées quant à leur sens temporel. La quotidienneté se dévoile comme mode de la temporalité. Mais par cette répétition de l’analyse-fondamentale préparatoire du DASEIN, d’autre part, c’est en même temps le phénomène de la temporalité qui [235] devient lui-même plus transparent. À la lumière de celle-ci, il devient ensuite possible de comprendre pourquoi le DASEIN est et peut être historial au fond de son être, et pourquoi en tant qu’historial il est capable d’élaborer une enquête historique. (§45 [EtreTemps45])

Au contraire, dès l’instant que le DASEIN « existe » de telle manière qu’en lui absolument plus rien n’est en excédent, alors, et du même coup, il est ainsi devenu un ne-plus-être-Là. La levée de l’excédent d’être signifie l’anéantissement de son être. Aussi longtemps que le DASEIN est en tant qu’étant, il n’a pas atteint sa « totalité ». Mais qu’il obtienne celle-ci, et alors ce gain devient la perte pure et simple de l’être-au-monde. Il n’est alors plus jamais expérimentable en tant qu’étant. (§46 [EtreTemps46])

Le DASEIN des autres, avec la totalité qu’il atteint dans la mort, est lui aussi un ne-plus-être-Là au sens d’un ne-plus-être-au-monde. Mourir, cela ne signifie-t-il pas quitter le monde, perdre l’être-au-monde ? Néanmoins, le ne-plus-être-au-monde du mort, si on le comprend de manière extrême, est un être au sens de l’être sans plus sous-la-main d’une chose corporelle qui fait encontre. Dans le mourir des autres peut être expérimenté le remarquable phénomène d’être qui se laisse déterminer comme virage d’un étant du mode d’être du DASEIN (ou de la vie) au ne-plus-être-Là. La fin de l’étant comme DASEIN est le commencement de cet étant comme sous-la-main. (§47 [EtreTemps47])

Cependant, ce non-ensemble qui appartient à un tel mode de l’ensemble, ce faire-défaut [243] comme excédent ne saurait en aucun cas déterminer ontologiquement le ne-pas-encore qui appartient au DASEIN en tant que mort possible. Car cet étant n’a absolument pas le mode d’être d’un à-portée-de-la-main intramondain. L’ensemble de l’étant que le DASEIN est «en son cours » jusqu’à ce qu’il ait achevé « sa course » ne se constitue nullement moyennant le « concours » pièce à pièce d’un étant qui, à partir de lui-même, est déjà en quelque manière et quelque part à-portée-de-la-main. Le DASEIN n’est pas seulement à partir du moment où son ne-pas-encore s’est rempli, et cela d’autant moins qu’alors il n’est justement plus. Le DASEIN existe justement toujours à chaque fois déjà de telle manière que son ne-pas-encore lui appartient. Or n’y a-t-il pas un étant qui est comme il est, et auquel un ne-pas-encore peut appartenir sans que cet étant doive avoir le mode d’être du DASEIN ? (§48 [EtreTemps48])

La tentative d’atteindre, à partir d’une clarification du ne-pas-encore et via la caractérisation du finir, une compréhension de la totalité qui est à la mesure du DASEIN ne [246] nous a pas conduit au but. Tout ce qu’elle a montré négativement, c’est ceci : le ne-pas-encore que le DASEIN est à chaque fois répugne à être interprété comme excédent. La fin pour laquelle le DASEIN est en existant n’est déterminée que de manière inadéquate par un être-à-la-fin. Mais en même temps, la réflexion a été conduite à montrer plus clairement que sa propre démarche devait être inversée. La caractérisation positive des phénomènes litigieux (ne-pas-être-encore, finir, totalité) ne peut réussir qu’au prix d’une orientation univoque sur la constitution d’être du DASEIN. Mais cette univocité est négativement garantie contre les déviations par l’aperçu pris sur l’appartenance régionale des structures de la fin et de la totalité, qui sont ontologiquement contraires au DASEIN. (§48 [EtreTemps48])

À cette étude biologico-ontique de la mort, une problématique ontologique est sous-jacente. Il reste à demander comment, à partir de l’essence ontologique de la vie, se détermine [247] celle de la mort. Dans une certaine mesure, l’investigation ontique de la mort a toujours déjà tranché ce point. Des préconceptions plus ou moins clarifiées de la vie et de la mort y sont à l’oeuvre. Elles ont besoin d’être pré-dessinées par l’ontologie du DASEIN. En outre, à l’intérieur même de cette ontologie du DASEIN préordonnée à une ontologie de la vie, l’analytique existentiale de la mort est à son tour subordonnée à une caractérisation de la constitution fondamentale du DASEIN. Nous avons nommé le finir de l’être vivant le périr. Or s’il est vrai que le DASEIN « a » sa mort physiologique, biologique - non point ontiquement isolée, certes, mais codéterminée par son mode d’être originaire -, qu’il peut même finir sans à proprement parler mourir, et s’il est vrai, d’un autre côté, que le DASEIN en tant que tel ne périt jamais simplement, nous caractériserons ce phénomène intermédiaire par le terme de décéder, le verbe mourir étant au contraire réservé à la guise d’être en laquelle le DASEIN est pour sa mort. En conséquence de quoi, nous devons dire : le DASEIN ne périt jamais, mais il ne peut décéder qu’aussi longtemps qu’il meurt. L’étude biologico-médicale du décéder est en mesure de dégager des résultats qui peuvent également posséder une signification ontologique, à condition du moins que soit assurée l’orientation fondamentale pour une interprétation existentiale de la mort. À moins que nous ne devions concevoir la maladie et la mort - même envisagées médicalement - primairement comme des phénomènes existentiaux ? (§49 [EtreTemps49])

D’un autre côté, l’analyse ne peut s’en tenir à une idée de la mort fortuitement et arbitrairement forgée. Un tel arbitraire, du reste, ne peut être réfréné que par la caractérisation ontologique préalable du mode d’être où la « fin » s’engage dans la quotidienneté médiocre du DASEIN. Pour cela, il est besoin d’une évocation complète des structures, plus haut dégagées, de la quotidienneté. Que dans une analyse existentiale de la mort des possibilités existentielles de l’être pour la mort soient du même coup suggérées, cela est inhérent à l’essence de toute recherche ontologique. La nécessité n’en devient que plus forte que la détermination conceptuelle existentiale s’accompagne d’une absence d’obligation existentielle, et cela est spécialement vrai dans le cas de la mort, où le caractère de possibilité [249] du DASEIN se laisse dévoiler avec la plus grande acuité. Tout ce à quoi vise la problématique existentiale, c’est à dégager la structure ontologique de l’être pour la fin du DASEIN [NA: L’anthropologie élaborée dans la théologie chrétienne a toujours déjà - depuis PAUL jusqu’à la meditatio futurae vitae de CALVIN - coaperçu la mort dans l’interprétation de la « vie ». - W. DILTHEY, dont les tendances philosophiques propres étaient dirigées vers une ontologie de la « vie », ne pouvait manquer de discerner sa liaison avec la mort. « Le rapport qui détermine le plus profondément et universellement le sentiment de notre DASEIN est celui de la vie à la mort ; car la limitation de notre existence par la mort est toujours décisive pour notre compréhension et notre appréciation de la vie. » Das Erlebnis und die Dichtung [Vécu et poésie], 5ème éd., p. 230. Récemment, G. SIMMEL, a lui aussi fait expressément entrer le phénomène de la mort dans la détermination de la « vie », mais bien entendu sans clairement dissocier problématique biologico-ontique et problématique ontologico-existentiale. Cf. Lebensanschauung, Vier metaphysische Kapitel [L’intuition de la vie, Quatre chapitres métaphysiques], 1918, p. 99-153. - Pour la présente enquête, il convient avant tout de comparer K. Jaspers, Psychologie der Weltanschauungen [Psychologie des conceptions du monde], 3ème éd., 1925, p. 229 sq., notamment p. 259-270. Jaspers saisit la mort au fil conducteur du phénomène - par lui dégagé - de la « situation-limite », dont la signification fondamentale dépasse toute typologie des « dispositions » et des « conceptions du monde ». (§49 [EtreTemps49])

La mort, elle, est une possibilité d’être que le DASEIN a lui-même à chaque fois à assumer. Avec la mort, le DASEIN se pré-cède lui-même en son pouvoir-être le plus propre. Dans cette possibilité, il y va pour le DASEIN purement et simplement de son être-au-monde. Sa mort est la possibilité du pouvoir-ne-plus-être-Là. Tandis qu’il se pré-cède comme cette possibilité de lui-même, le DASEIN est complètement assigné à son pouvoir-être le plus propre. Par cette pré-cédence, tous les rapports à d’autres DASEIN sont pour lui dissous. Cette possibilité la plus propre, absolue, est en même temps la possibilité extrême. En tant que pouvoir-être, le DASEIN ne peut jamais dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du DASEIN. Ainsi la mort se dévoile-t-elle comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable. Comme telle, elle est une pré-cédence [251] insigne. La possibilité existentiale de celle-ci se fonde dans le fait que le DASEIN est essentiellement ouvert à lui-même, et cela selon la guise du en-avant-de-soi. Ce moment structurel du souci a dans l’être pour la mort sa concrétion la plus originaire. L’être pour la fin devient phénoménalement plus clair en tant qu’être pour la possibilité insigne du DASEIN qui vient d’être caractérisée. (§50 [EtreTemps50])

Mais en même temps qu’il procure ce rassurement propre à repousser le DASEIN loin de sa mort, le On obtient légitimité et considération grâce à la régulation silencieuse de la manière dont on doit se comporter en général par rapport à la mort. Déjà la « pensée de la mort » vaut publiquement comme une peur lâche, un manque d’assurance du DASEIN, une obscure fuite du monde. Le On interdit au courage de l’angoisse de la mort de se faire jour. Aussi bien, la souveraineté de l’être-explicité public du On a déjà décidé de l’affection à partir de laquelle la position vis-à-vis de la mort doit se déterminer. Dans l’angoisse de la mort, le DASEIN est transporté devant lui-même en tant que remis à la possibilité indépassable. Or le On prend soin d’inverser cette angoisse en une peur d’un événement qui arrive. L’angoisse rendue équivoque comme peur, de surcroît, passera pour une faiblesse qu’un DASEIN sûr de lui-même ne saurait connaître. Ce qui « sied », conformément au décret tacite du On, c’est le calme indifférent face au « fait » que l’on meurt. La formation d’une telle indifférence « supérieure » aliène le DASEIN de son pouvoir-être le plus propre, absolu. (§51 [EtreTemps51])

Dans cette détermination « critique » de la certitude de la mort et de sa pré-cédence se manifeste d’abord de nouveau la méconnaissance - caractéristique de la quotidienneté - du mode d’être du DASEIN et de l’être pour la mort qui lui appartient. Que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit « qu’ » empiriquement certain, cela ne décide rien sur la certitude de la mort. Il est possible que les cas de mort soient pour le DASEIN une occasion factice de se rendre d’abord en général attentif à la mort. Cependant, tant qu’il demeure dans la certitude empirique qu’on a caractérisée, le DASEIN est absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Bien que le DASEIN, dans la publicité du On, ne « parle » apparemment que de cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa mort, même l’être quotidien pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que lui-[258] même, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté, qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne plus haut caractérisée, à savoir la supériorité « anxieusement » préoccupée, apparemment sans angoisse vis-à-vis du « fait » certain de la mort, la quotidienneté concède une certitude « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté échéante du DASEIN connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine. (§52 [EtreTemps52])

L’interprétation complète du parler quotidien du On sur la mort et le mode sur lequel elle se tient engagée dans le DASEIN nous a conduit aux caractères de la certitude et de l’indéterminité. Il est désormais possible de délimiter le concept ontologico-existential plein de la mort grâce aux déterminations suivantes : la mort comme fin du DASEIN est la possibilité [259] la plus propre, absolue, certaine et comme telle indéterminée, indépassable du DASEIN. La mort est, en tant que fin du DASEIN, dans l’être de cet étant pour sa fin. (§52 [EtreTemps52])

La délimitation de la structure existentiale de l’être pour la fin se tient au service de l’élaboration d’un mode d’être du DASEIN où celui-ci peut être total en tant que DASEIN. Que même le DASEIN quotidien soit à chaque fois déjà pour sa fin, autrement dit se confronte constamment, quoique « fugacement », avec sa mort, cela montre que cette fin qui conclut et détermine l’être-tout n’est nullement quelque chose où le DASEIN ne ferait qu’arriver finalement lors de son décès. Dans le DASEIN, en tant qu’étant pour sa mort, l’extrême ne-pas-encore de lui-même, par rapport auquel tous les autres sont en retrait, est toujours déjà engagé. C’est pourquoi l’inférence formelle qui conclurait du ne-pas-encore du DASEIN - qui plus est, interprété de manière ontologiquement inadéquate comme excédent - à sa non-totalité est illégitime. Le phénomène du ne-pas-encore pensé à partir du en-avant-de-soi est si peu, comme la structure de souci en général, une instance contre un être-tout existant possible que c’est cet être-en-avant-de-soi qui rend tout d’abord possible un tel être pour la fin. Le problème de l’être-tout possible du DASEIN que nous sommes à chaque fois nous-mêmes ne demeure donc légitime que si le souci comme constitution fondamentale du DASEIN est pensé en « connexion » avec la mort comme possibilité extrême de cet étant. (§52 [EtreTemps52])

La question se pose néanmoins de savoir si ce problème a été jusqu’ici suffisamment élaboré. L’être pour la mort se fonde dans le souci. En tant qu’être-au-monde jeté, le DASEIN est à chaque fois déjà remis à sa mort. Étant pour sa mort, il meurt facticement et même constamment aussi longtemps qu’il n’est pas venu à son décès. Le DASEIN meurt facticement, cela veut dire en même temps qu’il s’est toujours déjà, en son être pour la mort, décidé de telle ou telle manière. Le recul quotidiennement échéant devant elle est un être inauthentique pour la mort. L’inauthenticité a une possible authenticité à son fondement [NA: De l’inauthenticité du DASEIN, il a été traité supra, §9, p. [42] sq., §27, p. [130] et surtout, §38, p. [175] sq.]. L’inauthenticité caractérise un mode d’être où le DASEIN peut se placer et s’est aussi le plus souvent toujours déjà placé, mais où il ne doit pas nécessairement et constamment se placer. Parce que le DASEIN existe, il se détermine à chaque fois en tant qu’étant comme il est à partir d’une possibilité qu’il est et comprend lui-même. (§52 [EtreTemps52])

Le DASEIN est constitué par l’ouverture, c’est-à-dire par un comprendre affecté. Un être pour la mort authentique ne peut pas reculer devant la possibilité la plus propre, absolue, ni la recouvrir dans cette fuite, ni la ré-interpréter dans le sens de la compréhensivité du On. Par suite, le projet existential d’un être pour la mort authentique doit nécessairement dégager les moments d’un tel être qui le constituent en tant que comprendre de la mort au sens d’un être non-fuyant et non-recouvrant pour la possibilité qu’on a caractérisée. (§53 [EtreTemps53])

Par l’ouverture, l’étant que nous appelons DASEIN est dans la possibilité d’être son Là. Avec son monde, il est pour lui-même là, et cela de prime abord et le plus souvent en s’étant ouvert son pouvoir-être à partir du « monde » dont il est préoccupé. Le pouvoir-être en lequel le DASEIN existe s’est abandonné à des possibilités à chaque fois déjà déterminées. Et cela parce qu’il est un étant jeté, cet être-jeté étant plus ou moins clairement et instamment ouvert pour l’être-intoné. À l’affection (tonalité) appartient cooriginairement le comprendre. Par là, le DASEIN « sait » ce qu’il en est de lui-même pour autant qu’il s’est projeté vers des possibilités de lui-même à moins que, s’identifiant au On, il ne se les soit laissé prédonner par l’explicitation publique de celui-ci. Mais ce qui rend existentialement cette prédonation [271] possible, c’est que le DASEIN, en tant qu’être-avec compréhensif, peut entendre autrui. En se perdant dans la publicité du On et son bavardage, il més-entend, n’entendant que le On-même, son Soi-même propre. Si le DASEIN doit pouvoir être ramené - et certes par lui-même - hors de cette perte de la més-entente de soi, alors il faut qu’il puisse d’abord se trouver, lui-même qui s’est més-entendu et més-entendu dans l’écoute du On. Cette écoute doit être brisée, autrement dit il faut que lui soit donnée par le DASEIN même la possibilité d’un entendre qui l’interrompe. La possibilité d’une telle rupture se trouve dans l’être-ad-voqué im-médiat. L’appel brise l’écoute prêtée au On par un DASEIN qui se més-entend, lorsque, conformément à son caractère d’appel, il éveille un entendre qui est en tous points caractérisé de manière opposée à l’entendre perdu. Si celui-ci est pris par le « vacarme » de la multiple équivoque d’un bavardage chaque jour « nouveau », il faut que l’appel appelle sans vacarme, sans équivoque, sans point d’appui pour la curiosité. Ce qui donne à comprendre en appelant ainsi, c’est la conscience. (§55 [EtreTemps55])

Mais la nécessité existe-t-elle en général de poser encore expressément la question : qui appelle ? Pour le DASEIN, ne trouve-t-elle pas tout aussi univoquement réponse que celle de savoir qui est ad-voqué dans l’appel ? Dans la conscience, le DASEIN s’appelle lui-même. Cette compréhension de l’appelant peut bien être, dans l’entendre factice de l’appel, plus ou moins éveillée. Ontologiquement, cependant, la réponse qui dit que le DASEIN est l’appelant et l’ad-voqué tout à la fois, ne suffit nullement. En effet, le DASEIN, en tant qu’ad-voqué, n’est-il pas « là » autrement qu’en tant qu’appelant ? Est-ce le pouvoir-être-Soi-même le plus propre qui fonctionne comme appelant ? (§57 [EtreTemps57])

Nous demandons donc : notre analyse antérieure de la constitution d’être du DASEIN nous montre-t-elle un chemin sur lequel rendre ontologiquement intelligible le mode d’être de l’appelant et, avec lui, celui de l’appeler ? Que l’appel ne soit pas expressément accompli par moi, mais au contraire que « ça » appelle, cela n’autorise pas encore à chercher l’appelant dans un étant qui ne serait pas à la mesure du DASEIN. Or le DASEIN existe bel et bien toujours facticement. Il n’est pas un se-projeter flottant en l’air, mais, déterminé par l’être-jeté comme le fait de l’étant qu’il est, il a à chaque fois été - et il demeure constamment - remis à l’existence. Cependant, la facticité du DASEIN se distingue essentiellement de la factualité d’un sous-la-main. Le DASEIN existant ne vient pas à la rencontre de lui-même comme d’un sous-la-main intramondain. D’autre part, l’être-jeté ne s’attache pas non plus au DASEIN comme un caractère inaccessible et sans conséquence pour son existence. En tant que jeté, le DASEIN est jeté dans l’existence. Il existe comme un étant qui a à être comment il est et peut être. (§57 [EtreTemps57])

La proposition : le DASEIN est l’appelant et l’ad-voqué tout à la fois, a désormais perdu son vide et son « évidence » formels. La conscience se manifeste comme appel du souci : l’appelant est le DASEIN, s’angoissant dans l’être-jeté (être-déjà-dans...) pour son pouvoir-être. L’ad-voqué est ce même DASEIN, con-voqué à son pouvoir-être le plus propre (en-avant-de-soi). Et le DASEIN est convoqué par l’ad-vocation hors de l’échéance dans le On (être-déjà-auprès-du-monde de la préoccupation). L’appel de la conscience, c’est-à-dire celle-ci même, tient sa possibilité ontologique de ce que le DASEIN est au fond de son être souci. [278] (§57 [EtreTemps57])

L’être du DASEIN est le souci. Il comprend en soi la facticité (être-jeté), l’existence (projet) et l’échéance. Étant, le DASEIN est jeté - il n’est pas porté à son Là par lui-même. Étant, il est déterminé comme un pouvoir-être qui s’appartient à lui-même, et qui pourtant ne s’est pas remis en propre comme lui-même. Existant, le DASEIN ne passe jamais derrière son être-jeté, de telle manière qu’il puisse ne libérer à chaque fois proprement qu’à partir de son être-Soi-même et conduire au Là ce « qu’il est et a à être ». Toutefois, l’être-jeté ne se trouve pas derrière lui comme un événement factuellement arrivé et à nouveau ranimé par le DASEIN - se produisant, donc, en même temps que lui -, mais le DASEIN est constamment, aussi longtemps qu’il est, en tant que souci son « que ». C’est en tant que cet étant, par la remise à qui seulement il peut exister comme l’étant qu’il est, qu’il est, en existant, le fondement de son pouvoir-être. Bien qu’il n’ait pas posé lui-même le fondement, il repose dans sa gravité, que la tonalité comme charge lui rend manifeste. (§58 [EtreTemps58])

Étant-fondement, c’est-à-dire existant comme jeté, le DASEIN reste constamment en deçà de ses possibilités. Il n’est jamais existant avant son fondement, mais toujours seulement à partir de lui et comme tel. Être-fondement signifie par conséquent fondamentalement, n’être jamais en possession de son être le plus propre. Ce ne-pas appartient au sens existential de l’être-jeté. Étant-fondement, il est lui-même une nullité de lui-même. La nullité ne signifie nullement le ne-pas-être-sous-la-main, la non-subsistance, mais elle désigne un ne-pas qui constitue cet être du DASEIN, son être-jeté. Le caractère de ne-pas de ce ne-pas se détermine existentialement : étant Soi-même, le DASEIN est l’étant jeté en tant que Soi-même. Dé-laissé non pas par soi-même, mais à soi-même à partir du fondement, pour être comme tel. Si le [285] DASEIN est lui-même le fondement de son être, ce n’est pas pour autant que celui-ci provient seulement d’un projet propre - mais c’est en tant qu’être-Soi-même qu’il est l’être du fondement. Celui-ci est toujours seulement fondement d’un étant dont l’être a à assumer l’être-fondement. (§58 [EtreTemps58])

Le DASEIN est en existant son fondement, c’est-à-dire de telle manière qu’il se comprend à partir de possibilités, et, se comprenant ainsi, est l’étant jeté. Or cela implique que, pouvant-être, il se tient à chaque fois dans l’une ou l’autre possibilité, que constamment il n’est pas une autre, et qu’il a renoncé à elle dans le projet existentiel. Le projet n’est pas seulement déterminé, en tant qu’à chaque fois jeté, par la nullité de l’être-fondement, mais, en tant que projet, il est lui-même essentiellement nul. Cette détermination, derechef, ne désigne nullement la propriété ontique du « sans succès » ou « sans valeur », mais un constitutif existential de la structure d’être du projeter. La nullité visée appartient à l’être-libre du DASEIN pour ses possibilités existentielles. Seulement, la liberté n’est que dans le choix de l’une, autrement dit dans l’assomption du n’avoir-pas-choisi et du ne-pas-non-plus-pouvoir-avoir-choisi l’autre. (§58 [EtreTemps58])

Dans la structure de l’être-jeté aussi bien que dans celle du projet est essentiellement contenue une nullité, et c’est elle qui est le fondement de la possibilité de la nullité du DASEIN inauthentique dans l’échéance où il se trouve à chaque fois et toujours facticement. En son essence, le souci lui-même est transi de part en part de nullité. Le souci - l’être du DASEIN - signifie ainsi, en tant que projet jeté : l’être-fondement (nul) d’une nullité. Autrement dit : le DASEIN est comme tel en-dette, si tant est que demeure la détermination existentiale formelle de la dette comme être-fondement d’une nullité. (§58 [EtreTemps58])

La résolution est un mode privilégié de l’ouverture du DASEIN. Or l’ouverture a été plus haut (NA: Cf. supra, §44, p. [212] sq.) existentialement interprétée comme la vérité originaire. Celle-ci n’est primairement ni une qualité du « jugement » ni en général une qualité d’un comportement déterminé, mais un constituant essentiel de l’être-au-monde comme tel. La vérité doit être conçue comme un existential fondamental. La clarification ontologique de la proposition : « Le DASEIN est dans la vérité » a manifesté l’ouverture originaire de cet étant comme vérité de l’existence et renvoyé, pour sa détermination plus précise, à l’analyse de l’authenticité du DASEIN (NA: Cf. supra, p. [221]). (§60 [EtreTemps60])

Le en-vue-de de toute mise à l’abri, de tout entretien, de tout progrès sont des possibilités prochaines et constantes du DASEIN, vers lesquelles cet étant, pour lequel il y va de son être, s’est à chaque fois déjà projeté. Jeté dans son « Là », le DASEIN est à chaque fois facticement assigné à un « monde » déterminé, à son « monde ». En même temps, les projets prochains factices sont guidés par la perte préoccupée dans le On. Celle-ci peut être ad-voquée par le DASEIN à chaque fois propre, l’ad-vocation peut être comprise sur le mode de la résolution. (§60 [EtreTemps60])

Le pour-quoi de la résolution est ontologiquement pré-dessiné dans l’existentialité du DASEIN en général comme pouvoir-être selon la guise de la sollicitude préoccupée. Mais en tant que souci, le DASEIN est déterminé par la facticité et par l’échéance. Ouvert en son « Là », il se tient cooriginairement dans la vérité et la non-vérité [NA: Cf. supra, §44, p. [222].]. Or autant vaut justement « à [299] proprement parler » de la résolution comme vérité authentique. Elle s’approprie authentiquement la non-vérité. Le DASEIN est à chaque fois déjà, et par suite il est peut-être de nouveau dans l’ir-résolution. Ce dernier titre exprime seulement le phénomène qui a été auparavant interprété comme être-livré à l’explicitation régnante du On. Le DASEIN en tant que On-même est « porté » par l’équivoque d’entendement de la publicité, où personne ne se résout, et qui pourtant a toujours déjà tranché. La résolution veut dire : se-laisser-con-voquer hors de la perte dans le On. L’ir-résolution du On, néanmoins, demeure souveraine - à ceci près qu’elle ne peut plus entamer l’existence résolue. L’ir-résolution, en tant que contre-concept de la résolution comprise existentialement, ne désigne pas une propriété ontico-psychique, une charge d’inhibitions par exemple. Même la décision demeure assignée au On et à son monde. Comprendre cela appartient également à ce qu’elle ouvre, dans la mesure où la résolution est ce qui donne pour la première fois au DASEIN sa translucidité authentique. Dans la résolution, il y va pour le DASEIN de son pouvoir-être le plus propre, lequel, en tant que jeté, ne peut se projeter que vers des possibilités factices déterminées. La décision ne se soustrait pas à l’« effectivité », mais découvre pour la première fois le possible factice, et cela en s’en emparant de la manière dont elle le peut en tant que pouvoir-être le plus propre dans le On. La déterminité existentiale du DASEIN résolu à chaque fois possible embrasse les moments constitutifs de ce phénomène existential - omis jusqu’ici - que nous appelons la situation. (§60 [EtreTemps60])

Ontologiquement, le DASEIN est fondamentalement différent de tout étant sous-la-main ou réel. Sa « réalité » ne se fonde pas dans la substantialité d’une substance, mais dans l’« autonomie » du Soi-même existant, dont l’être a été conçu comme souci. Le phénomène du Soi-même, conjointement inclus dans le souci, a besoin d’une délimitation existentiale originaire et authentique par rapport à la mise en lumière préparatoire du On-même inauthentique. Ce qui implique en même temps une fixation des questions ontologiques possibles qui doivent en général être posées au « Soi-même », si celui-ci n’est ni substance ni sujet. (§61 [EtreTemps61])

La résolution a été caractérisée comme un se-projeter ré-ticent et prêt à l’angoisse vers l’être-en-dette le plus propre. Celui-ci appartient à l’être du DASEIN et signifie : être-fondement nul d’une nullité. Le « en-dette » qui appartient à l’être du DASEIN ne tolère ni accroissement ni diminution. Il est antérieur à toute quantification, si tant est que celle-ci ait un sens. De même, le DASEIN, étant essentiellement en-dette, ne l’est pas de temps en temps, pour ensuite ne l’être à nouveau plus. Le vouloir-avoir-conscience se décide pour cet être-en-dette. Le sens propre de la résolution implique de se projeter vers cet être-en-dette comme lequel le DASEIN est aussi longtemps qu’il est. Par suite, l’assomption existentielle de cette « dette » dans la résolution n’est authentiquement accomplie que lorsque la résolution, dans son ouvrir du DASEIN, s’est rendue assez translucide pour comprendre l’être-en-dette comme constant. Mais cette compréhension ne devient possible que pour autant que le DASEIN s’ouvre le pouvoir-être « jusqu’à sa fin ». Toutefois, l’être-à-la-fin du DASEIN signifie existentialement : être pour la fin. La résolution devient authentiquement ce qu’elle peut être en tant qu’être compréhensif pour la fin, c’est-à-dire que devancement dans la mort. La résolution n’« a » pas simplement du rapport avec le devancement comme avec un autre d’elle-même. (§62 [EtreTemps62])

Résolu, le DASEIN assume authentiquement dans son existence le fait qu’il est le rien nul de sa nullité. Nous avons conçu existentialement la mort comme la possibilité - plus haut caractérisée - de l’impossibilité de l’existence, c’est-à-dire comme pure et simple nullité du DASEIN. La mort n’est pas surajoutée au DASEIN lors de sa « fin », mais, en tant que souci, le DASEIN est le fondement jeté (c’est-à-dire nul) de sa mort. La nullité qui transit originairement l’être du DASEIN se dévoile à lui-même dans l’être pour la mort authentique. C’est le devancement qui rend pour la première fois l’être-en-dette manifeste à partir du fondement de l’être total du DASEIN. Le souci abrite cooriginairement en soi la mort et la dette. La résolution devançante comprend pour la première fois le pouvoir-être-en-dette authentiquement et totalement, c’est-à-dire originairement [NA: L’être-en-dette appartenant originairement à la constitution d’être du DASEIN doit être soigneusement distingué du status corruptionis au sens théologique. Certes, la théologie peut trouver dans l’être-en-dette existentialement déterminé une condition ontologique de sa possibilité factice. Cependant, la dette contenue dans l’idée de ce status est un endettement factice absolument spécifique. Il a son attestation propre, qui demeure fondamentalement fermée à toute expérience philosophique. L’analyse existentiale de l’être-en-dette ne prouve rien, ni pour, ni contre la possibilité du péché. En toute rigueur, on ne peut même pas dire que l’ontologie du DASEIN laisse par elle-même cette possibilité en général ouverte, dans la mesure où, en tant que questionner philosophique, elle ne « sait » fondamentalement rien du péché.]. (§62 [EtreTemps62])

Avec le phénomène de la résolution, nous avons été conduits devant la vérité originaire de l’existence. Résolu, le DASEIN est dévoilé à lui-même dans ce qui lui est à chaque fois son pouvoir-être factice, et cela de telle sorte qu’il est lui-même ce dévoiler et cet être-dévoilé. À la vérité appartient un tenir-pour-vrai qui lui correspond à chaque fois. L’appropriation expresse de ce qui est ouvert ou découvert est l’être-certain. La vérité originaire de l’existence requiert un être-certain cooriginaire en tant que se-tenir dans ce que la résolution ouvre. Celle-ci se donne toute situation factice et se transporte en elle. La situation ne peut être calculée d’avance et prénommée comme un sous-la-main en attente de sa saisie. Elle est seulement ouverte en une auto-décision libre, d’abord indéterminée, mais ouverte à la déterminabilité. Que signifie alors la certitude qui appartient à une telle résolution ? Elle doit se tenir dans ce qui est ouvert par la décision. Or cela revient à dire qu’elle ne peut justement se raidir sur la situation, mais doit nécessairement comprendre que la décision, suivant son sens d’ouverture propre, doit être tenue libre et ouverte pour toute possibilité factice. La certitude de la décision [308] signifie : se tenir libre pour sa re-prise possible et à chaque fois facticement nécessaire. Néanmoins, un tel tenir-pour-vrai de la résolution (en tant que vérité de l’existence) ne se laisse nullement retomber dans l’ir-résolution, au contraire : ce tenir-pour-vrai en tant que se-tenir-libre résolu pour la re-prise est la résolution authentique pour la répétition d’elle-même. Mais par là, la perte dans l’ir-résolution est précisément enterrée existentialement. Le tenir-pour-vrai qui appartient à la résolution tend, selon son sens propre, à se tenir constamment libre, à savoir pour le pouvoir-être total du DASEIN. Cette certitude constante n’est garantie à la résolution qu’autant qu’elle se rapporte à la possibilité dont elle peut être purement et simplement certaine. Dans sa mort, le DASEIN doit purement et simplement se « reprendre ». Constamment certaine d’elle, c’est-à-dire devançante, la révolution conquiert sa certitude authentique et totale. (§62 [EtreTemps62])

Mais le DASEIN est cooriginairement dans la non-vérité. La résolution devançante lui nomme en même temps la certitude originaire de sa fermeture. Résolu en devançant, le DASEIN se tient ouvert pour la perte constante, possible sur la base de son propre être, dans l’ir-résolution du On. L’ir-résolution est co-certaine en tant que possibilité constante du DASEIN. La résolution translucide à elle-même comprend que l’indéterminité du pouvoir-être ne se détermine jamais que dans la décision pour ce qui est situation. Elle sait l’indéterminité qui régit un étant qui existe. Mais ce savoir, s’il veut correspondre à la résolution authentique doit lui-même jaillir d’un décider authentique. Or l’indétermination du pouvoir-être propre - bien que devenu à chaque fois certain dans la décision - ne se manifeste totalement que dans l’être pour la mort. Le devancement transporte le DASEIN devant une possibilité qui est constamment certaine et qui pourtant demeure à tout instant indéterminée quant au moment où la possibilité devient impossibilité. Elle manifeste que cet étant est jeté dans l’indétermination de sa « situation-limite », en se résolvant à laquelle le DASEIN conquiert son pouvoir-être-tout authentique. L’indétermination de la mort s’ouvre originairement dans l’angoisse. Mais cette angoisse originaire aspire à s’intimer la résolution. Elle débarrasse tout recouvrement de l’abandon du DASEIN à lui-même. Le rien devant lequel l’angoisse transporte dévoile la nullité qui détermine le DASEIN en son fondement, lequel est lui-même en tant qu’être-jeté dans la mort. (§62 [EtreTemps62])

Si la résolution en tant qu’authentique tend au mode délimité par le devancement, et si le devancement constitue le pouvoir-être-tout authentique du DASEIN, alors, dans la résolution existentiellement attestée, un pouvoir-être-tout authentique du DASEIN est co-attesté. La question du pouvoir-être-tout est une question factice-existentielle. Le DASEIN y répond en tant que résolu. La question du pouvoir-être-tout du DASEIN a désormais totalement dépouillé l’apparence - que nous avions mise en évidence au début [NA: Cf. supra, §45, p. [231] sq.] - selon laquelle elle serait simplement une question théorique, méthodique de l’analytique du DASEIN, née d’un effort pour accéder à une « donation » exhaustive du DASEIN en son tout. La question de la totalité du DASEIN telle que nous ne l’élucidions d’abord que de manière ontologico-méthodique, possédait certes une légitimité, mais uniquement parce que son fondement remontait à une possibilité ontique du DASEIN. (§62 [EtreTemps62])

Avec la résolution devançante, le DASEIN a été rendu visible phénoménalement quant à son authenticité et totalité possibles. La situation herméneutique où nous nous trouvions auparavant [NA: Cf. supra, §45, p. [232].], et qui demeurait insuffisante pour l’explicitation du sens d’être du souci, a obtenu maintenant l’originarité requise. Le DASEIN est désormais porté originairement, c’est-[311] à-dire en son pouvoir-être-tout authentique, à la pré-acquisition ; la pré-vision directrice, l’idée d’existence, a reçu de la clarification du pouvoir-être le plus propre sa déterminité ; avec la structure d’être concrètement élaborée du DASEIN, sa spécificité ontologique par rapport à tout étant sous-la-main est devenue si nette que l’anti-cipation de l’existentialité du DASEIN possède une articulation suffisante pour guider avec sûreté l’élaboration conceptuelle des existentiaux. (§63 [EtreTemps63])

Le chemin jusqu’ici suivi par l’analytique du DASEIN est devenu une démonstration concrète de la thèse d’abord simplement suggérée [NA: Cf. supra, §5, p. [15].], selon laquelle l’étant que nous sommes à chaque fois nous-mêmes est ontologiquement le plus lointain. La raison s’en trouve dans le souci lui-même. L’être échéant auprès de ce qui dans le « monde » s’offre à la plus proche préoccupation guide l’explicitation quotidienne du DASEIN et recouvre ontiquement l’être authentique du DASEIN, pour refuser ainsi à l’ontologie dirigée sur cet étant la base adéquate. De ce fait, le prédonation phénoménale originaire de cet étant est rien moins qu’« évidente », et cela quand bien même l’ontologie suit de prime abord la direction de l’explicitation quotidienne du DASEIN. La libération de l’être originaire du DASEIN doit bien plutôt être disputée à la tendance explicitative ontico-ontologique échéante. (§63 [EtreTemps63])

À l’être du DASEIN appartient l’auto-explicitation. Dans la découverte circon-specte-préoccupée du « monde », la préoccupation est elle-même conjointement prise en vue. Facticement, le DASEIN se comprend toujours déjà dans des possibilités existentielles déterminées, ces projets ne proviendraient-ils même que de l’entente du On. L’existence, expressément ou non, adéquatement ou non, est co-comprise d’une manière ou d’une autre. Tout comprendre ontique a ses « considérants », même si ceux-ci ne sont que pré-ontologiques, autrement dit même s’ils ne sont pas conçus de manière théorético-thématique. Toute question expresse de l’être du DASEIN est déjà préparée par le mode d’être de celui-ci. (§63 [EtreTemps63])

Certes, mais où faut-il aller chercher ce qui constitue l’existence « authentique » du DASEIN ? Sans une compréhension existentielle, toute analyse de l’existentialité demeure bel et bien dépourvue de sol. N’y a-t-il pas, à la base de l’interprétation exposée de l’authenticité et de la totalité du DASEIN, une conception ontique de l’existence, qui, en tout état de cause, ne saurait être obligatoire pour tout un chacun ? Jamais l’interprétation existentiale ne prétendra faire acte d’autorité sur des possibilités et des obligations existentielles - mais n’est-elle pas quand même tenue de se justifier quant aux possibilités existentielles qui lui servent à fournir à l’interprétation ontologique son sol ontique ? Si l’être du DASEIN est essentiellement pouvoir-être et être-libre pour ses possibilités les plus propres, et s’il n’existe jamais que dans la liberté pour elles - ou dans la non-liberté vis-à-vis d’elles -, l’interprétation ontologique peut-elle faire autrement que de poser à son fondement des possibilités ontiques (des guises du pouvoir-être) et de projeter celles-ci vers leur possibilité ontologique ? Et s’il est vrai que le DASEIN, le plus souvent, s’explicite à partir de sa perte dans la préoccupation pour le « monde », la détermination des possibilités ontico-existentielles conquise à contre-courant de cette tendance et l’analyse existentiale fondée sur cette détermination n’est-elle pas la seule [313] manière d’ouvrir cet étant qui lui soit adéquate ? La violence du projet ne devient-elle pas alors libération de la réalité phénoménale non-déguisée du DASEIN ? (§63 [EtreTemps63])

Certes nous avions montré, dès notre analyse de la structure du comprendre en général, que ce qui est couramment blâmé sous le titre impropre de « cercle » appartient en réalité à l’essence et au privilège du comprendre lui-même [NA: Cf. supra, §32, p. [152] sq.]. Néanmoins, la recherche se doit désormais, dans la perspective de la clarification de la situation herméneutique de la problématique fondamental-ontologique, d’en revenir explicitement à l’« argument du cercle » en effet, « l’objection du cercle » opposée à l’interprétation existentiale veut dire ceci : l’idée de l’existence et de l’être en général est « présupposée », et c’est « d’après » elle que le DASEIN est interprété, afin d’obtenir par là l’idée de l’être. Seulement, que veut dire « présupposer » ? Est-ce qu’avec cette idée de l’existence une proposition de base est posée, à partir de laquelle nous déduirions, conformément aux règles formelles du raisonnement, d’autres propositions relatives à l’être du DASEIN ? Ou bien ce pré-supposer n’a-t-il pas plutôt le caractère du projeter compréhensif, de telle sorte que l’interprétation qui configure ce [315] comprendre donne justement pour la première fois la parole à l’étant à expliciter lui-même, afin qu’il décide de lui-même s’il fournira, en tant que cet étant, la constitution d’être en direction de laquelle il fut ouvert, de manière formelle-indicative, dans le projet ? Un étant peut-il en général venir autrement à la parole quant à son être ? S’il est impossible d’« éviter », dans l’analytique existentiale, un « cercle » dans la preuve, c’est parce qu’elle ne prouve absolument pas d’après les règles de la « logique de la conséquence ». Ce que l’entendement, s’imaginant ainsi satisfaire à la suprême rigueur de la recherche scientifique, souhaite éliminer en évitant le « cercle », n’est rien moins que la structure fondamentale du souci. Originairement constitué par celui-ci, le DASEIN est à chaque fois déjà en-avant-de-soi-même. Étant, il s’est à chaque fois déjà projeté vers des possibilités déterminées de son existence, et, dans de tels projets existentiels, il a déjà co-projeté préontologiquement quelque chose comme l’existence et l’être. Est-il alors possible de refuser ce projeter essentiel au DASEIN à la recherche qui, étant comme toute recherche elle-même un mode d’être du DASEIN ouvrant, cherche à configurer et à porter au concept la compréhension d’être qui appartient à l’existence ? (§63 [EtreTemps63])

L’unité des moments constitutifs du souci, c’est-à-dire de l’existentialité, de la facticité et de l’être-échu, a rendu possible la première délimitation ontologique de la totalité du tout structurel du DASEIN. La structure du souci a été portée à la formule existentiale suivante : [317] être-déjà-en-avant-de-soi-dans (un monde) en tant qu’être-auprès (de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde). La totalité de la structure du souci ne procède nullement d’un accouplement de ces deux éléments, et pourtant elle est articulée [NA: Cf. supra, §41, p. [191] sq.]. Nous avons dû apprécier en quelle mesure ce résultat ontologique satisfaisait aux requêtes d’une interprétation originaire du DASEIN [NA: Cf. supra, §45, p. [231] sq.]. Et ce qu’a établi cette méditation, c’est que ni le DASEIN en son tout ni son pouvoir-être authentique n’avait encore été pris pour thème. Néanmoins, notre tentative de saisir phénoménalement le DASEIN total a semblé justement échouer sur la structure du souci. Le en-avant-de-soi se donnait à nous comme un ne-pas-encore. Le en-avant-de-soi caractérisé au sens d’un excédent, cependant, s’est dévoilé à la considération authentiquement existentiale comme être pour la fin que tout DASEIN est dans le fond de son être. De même, nous avons montré que le souci, dans l’appel de la conscience, con-voque le DASEIN à son pouvoir-être le plus propre. La compréhension de l’ad-vocation s’est manifestée - comprise originairement - comme résolution devançante, laquelle renferme en soi un pouvoir-être-tout authentique du DASEIN. La structure du souci ne parle pas contre un être-tout possible, mais elle est la condition de possibilité d’un tel pouvoir-être existentiel. Au cours de l’analyse, il est apparu clairement que dans le phénomène du souci sont ancrés les phénomènes existentiaux de la mort, de la conscience et de la dette. L’articulation de la totalité du tout structurel est devenue encore plus riche, et, du même coup, la question existentiale de l’unité de cette totalité encore plus urgente. (§64 [EtreTemps64])

Le DASEIN est authentiquement lui-même dans l’isolement originaire de cette résolution ré-ticente qui s’intime à elle-même l’angoisse. En tant qu’il fait-silence, l’être-Soi-même [323] authentique ne dit justement pas « Je-Je », mais il « est » dans la ré-ticence cet étant jeté comme lequel il peut être authentiquement. Le Soi-même que dévoile la réticence de l’existence résolue est le sol phénoménal originaire pour la question de l’être du « Je ». Seule l’orientation phénoménale sur le sens d’être du pouvoir-être-Soi-même authentique met la méditation en mesure d’élucider quel droit ontologique peuvent revendiquer la substantialité, la simplicité et la personnalité en tant que caractères de l’ipséité. La question ontologique de l’être du Soi-même doit être arrachée à la pré-acquisition - constamment favorisée par le dire-Je prédominant - d’une chose-Soi en permanence sous-la-main. (§64 [EtreTemps64])

Le DASEIN est ouvert pour lui-même authentiquement ou inauthentiquement quant à son existence. Existant, il se comprend, mais de telle manière que ce comprendre ne représente pas une pure saisie, mais constitue l’être existentiel du pouvoir-être factice. L’être ouvert est celui d’un étant pour lequel il y va de cet être. Le sens de cet être, c’est-à-dire du souci, sens qui possibilise le souci en sa constitution, constitue originairement l’être du pouvoir-être. Le sens d’être du DASEIN n’est pas un autre et un « en dehors » de lui-même flottant en l’air, il est le DASEIN même se comprenant. Qu’est-ce qui possibilise l’être du DASEIN et, avec lui, son existence factice ? (§65 [EtreTemps65])

La résolution devançante comprend le DASEIN en son être-en-dette essentiel. Ce comprendre signifie : assumer l’être-en-dette en existant, être en tant que fondement jeté de la nullité. Mais l’assomption de l’être-jeté signifie : être authentiquement le DASEIN tel qu’il était à chaque fois déjà. L’assomption de l’être-jeté, cependant, n’est possible que dans la mesure où le DASEIN avenant peut être son « comme il était déjà à chaque fois » le plus propre, [326] c’est-à-dire son « été ». C’est seulement pour autant que le DASEIN est en général comme je-suis-été qu’il peut advenir de manière avenante à soi-même, en re-venant. Authentiquement avenant, le DASEIN est authentiquement été. Le devancement vers la possibilité extrême et la plus propre est le re-venir compréhensif vers l’« été » le plus propre. Le DASEIN ne peut être été authentiquement qu’autant qu’il est avenant. L’être-été, d’une certaine manière, jaillit de l’avenir. (§65 [EtreTemps65])

Re-venant à soi de manière a-venante, la résolution se transporte dans la situation en présentifiant. L’être-été jaillit de l’avenir, de telle manière que l’avenir « été » (mieux encore : « étant-été ») dé-laisse de soi le présent. Or ce phénomène unitaire en tant qu’avenir étant-été-présentifiant, nous l’appelons la temporalité. C’est seulement dans la mesure où le DASEIN est déterminé comme temporalité qu’il se rend possible à lui-même le pouvoir-être-tout authentique - plus haut caractérisé - de la résolution devançante. La temporalité se dévoile comme le sens du souci authentique. (§65 [EtreTemps65])

Le en-avant-de-soi se fonde dans l’avenir. L’être-déjà-dans annonce en lui-même l’être-été. L’être-auprès... est rendu possible dans le présentifier. Néanmoins il nous est ici interdit, d’après ce qui vient d’être dit, de saisir le « avant » du « en-avant » et le « déjà » à partir de la compréhension vulgaire du temps. Le « en-avant » ne désigne pas un « devant » au sens du « maintenant-pas-encore... mais plus tard »; tout aussi peu le « déjà » signifie-t-il un « plus-maintenant... mais plus tôt ». Si les expressions « en-avant » et « déjà » avaient cette signification temporelle - que du reste elles peuvent aussi avoir -, parler de temporalité du souci reviendrait à dire qu’il est quelque chose qui est tout à la fois « plus tôt » et « plus tard », « pas encore » et « plus ». Le souci serait alors conçu comme un étant qui survient et se déroule « dans le temps ». L’être d’un étant avant le caractère du DASEIN deviendrait un sous-la-main. Or si c’est là chose impossible, il faut que la signification temporelle des expressions citées soit autre. Le « avant » du « en-avant » indique l’avenir tel qu’il rend en général pour la première fois possible que le DASEIN soit de telle manière qu’il y aille pour lui de son pouvoir-être. Le se-projeter, fondé dans l’avenir, vers le « en-vue-de soi-même » est un caractère d’essence de l’existentialité. Le sens primaire de celle-ci est l’avenir. [328] De même, le « déjà » désigne le sens d’être temporel existential de l’étant qui, pour autant qu’il est, est à chaque fois déjà jeté. C’est seulement parce que le souci se fonde dans l’être-été que le DASEIN peut exister comme l’étant jeté qu’il est. « Aussi longtemps que » le DASEIN existe facticement, il n’est jamais passé, mais il est bel et bien toujours déjà été au sens du «je suis-été ». Et il ne peut être été qu’aussi longtemps qu’il est. Nous qualifions au contraire de passé un étant qui n’est plus sous-la-main. Par suite, le DASEIN, tandis qu’il existe, ne peut jamais se constater comme un fait sous-la-main qui naît et passe « avec le temps » et qui est déjà partiellement passé. Le DASEIN ne « se trouve » jamais que comme fait jeté. Dans l’affection, le DASEIN est assailli par lui-même comme l’étant que, étant encore, il était déjà, c’est-à-dire qui est constamment été. Le sens existential primaire de la facticité réside dans l’être-été. Par les expressions « en-avant » et « déjà », notre formulation de la structure du souci indique le sens temporel de l’existentialité et de la facticité. (§65 [EtreTemps65])

auprès... révèlent la temporalité comme l’ekstatikon sans réserves. La temporalité est le « hors-de-soi » originaire en et pour soi-même. Nous appelons par conséquent les phénomènes caractérisés de l’avenir, de l’être-été, du présent les ekstases de la temporalité. Celle-ci n’est pas tout d’abord un étant, qui ensuite sort de soi, mais son essence est la temporalisation dans l’unité des ekstases. Le propre du « temps » accessible à la compréhension vulgaire, au contraire, consiste justement (et entre autres) en ce que le caractère ekstatique de la temporalité originaire y est nivelé comme dans une suite pure, sans commencement ni fin, de maintenant. Mais ce nivellement, selon son sens existential, se fonde à son tour en une temporalisation possible déterminée, conformément à laquelle la temporalité en tant qu’inauthentique temporalise le « temps » cité. Par conséquent, si le « temps » accessible à l’entendement du DASEIN est démontré comme non originaire, et comme provenant au contraire de la temporalité authentique, rien n’est plus légitime, suivant la formule a potiori fit denominatio, que de nommer la temporalité actuellement libérée temps originaire. (§65 [EtreTemps65])

Pour autant, l’interprétation du souci comme temporalité ne peut rester confinée sur la base étroite qui a été conquise jusqu’ici, même si elle a accompli ses premiers pas en tenant le regard fixé sur l’être-tout originaire authentique du DASEIN. La thèse qui dit que le sens du DASEIN est la temporalité doit se confirmer au contact de la réalité concrète de la constitution fondamentale de cet étant. (§65 [EtreTemps65])

La structure ontologique de l’étant que je suis à chaque fois moi-même trouve son centre dans l’autonomie de l’existence. Comme le Soi-même ne peut être conçu ni comme substance, ni comme sujet, mais se fonde dans l’existence, l’analyse du Soi-même inauthentique, du On, est restée entièrement remise à l’interprétation préparatoire du DASEIN [NA: Cf. §§25 sq., p. [113] sq.]. Or maintenant que l’ipséité a été expressément reprise dans la structure du souci, donc de la temporalité, l’interprétation temporelle du maintien ou de l’absence de maintien du Soi-même obtient un poids propre. Elle requiert une exposition thématique séparée. Toutefois, elle n’apporte pas seulement la bonne garantie contre les paralogismes et les questions ontologiquement inadéquates concernant l’être du Moi en général, mais en même temps, conformément à sa fonction centrale, elle procure un aperçu plus originaire dans la structure de temporalisation de la temporalité. Celle-ci se dévoile comme l’historialité du DASEIN. La proposition : le DASEIN est historial, se confirme comme énoncé ontologico-existential fondamental. Elle est sans commune mesure avec la constatation simplement ontique du fait que le DASEIN survient dans une « histoire du monde ». Néanmoins, l’historialité du DASEIN est le fondement d’un comprendre historique possible, lequel à son tour implique la possibilité d’une configuration proprement assumée de l’histoire comme science. (§66 [EtreTemps66])

Saisi de manière originairement existentiale, le comprendre signifie : être-projetant pour un pouvoir-être en-vue-de quoi le DASEIN existe à chaque fois. Le comprendre ouvre le pouvoir-être propre de telle manière que le DASEIN, en comprenant, sait à chaque fois en quelque façon ce qu’il en est de lui-même, « où il en est ». Cependant ce « savoir » ne consiste pas à avoir découvert un fait, mais à se tenir dans une possibilité existentielle. Quant au non-savoir correspondant, il ne consiste pas dans le défaut du comprendre, mais doit être considéré comme un mode déficient de l’être-projeté du pouvoir-être. L’existence peut être digne de question. Pour que son « être-en-question » soit possible il est besoin d’une ouverture. À la base du se-comprendre projetant dans une possibilité existentielle se tient l’avenir en tant qu’advenir-à-soi à partir de la possibilité comme laquelle le DASEIN existe à chaque fois. L’avenir rend ontologiquement possible un étant qui est de telle manière qu’il existe, en comprenant, dans son pouvoir-être. Le projeter, qui est en son fond a-venant, ne saisit pas primairement la possibilité projetée de manière thématique dans une visée, mais il se jette en elle comme possibilité. En comprenant, le DASEIN est à chaque fois comme il peut être. Or c’est la résolution qui s’est révélée comme l’exister originaire et authentique. Bien sûr, de prime abord et le plus souvent, le DASEIN demeure ir-résolu, autrement dit refermé en son pouvoir-être le plus propre, vers lequel il ne se porte à chaque fois que dans l’isolement. Ce qui implique ceci : la temporalité ne se temporalise pas constamment à partir de l’avenir authentique. Néanmoins cette in-constance ne signifie point que la temporalité manquerait parfois d’avenir, mais seulement que la temporalisation de celui-ci est muable. (§68 [EtreTemps68])

Comment dissocier maintenant de l’avenir authentique l’avenir inauthentique ? Tout comme celui-là ne peut se dévoiler que dans la résolution, ce mode ekstatique ne peut se dévoiler que dans un retour ontologique depuis le comprendre inauthentique, quotidiennement préoccupé, jusqu’à son sens temporalo-existential. En tant que souci, le DASEIN est essentiellement en-avant-de-soi. De prime abord et le plus souvent, l’être-au-monde préoccupé se comprend à partir de ce dont il se préoccupe. Le comprendre inauthentique se projette vers ce qui, dans les affaires de l’activité quotidienne, est pourvoyable, faisable, urgent, indispensable. Mais ce dont on se préoccupe n’est comme il est qu’en-vue du pouvoir-être soucieux. Celui-ci laisse le DASEIN, dans son être préoccupé auprès de ce dont il se préoccupe, ad-venir à soi. Le DASEIN n’ad-vient pas primairement à soi dans son pouvoir-être le plus propre, absolu, mais, se préoccupant, il est attentif [NT: gewärtig (premier emploi) voir l’index s.v.] à soi à partir de ce qu’offre ou refuse ce dont il se préoccupe. C’est à partir de celui-ci que le DASEIN ad-vient à soi. L’avenir inauthentique a le caractère du s’attendre [NT: Voir également l’index, s.v. Gewärtigen.]. C’est dans ce mode ekstatique de l’avenir que le se-comprendre préoccupé du On-même à partir de ce que l’on fait a le « fondement » de sa possibilité. Et c’est seulement parce que le DASEIN factice est ainsi attentif à son pouvoir-être à partir de ce dont il se préoccupe, qu’il peut l’attendre et attendre ceci ou cela. Le s’attendre doit déjà à chaque fois avoir ouvert l’horizon et l’orbe à partir duquel quelque chose peut être attendu. L’attendre est un mode dérivé, fondé dans le s’attendre, de l’avenir, qui se temporalise authentiquement comme devancement. C’est pourquoi il y a dans le devancement un être pour la mort plus originaire que dans l’attente préoccupée de celle-ci. (§68 [EtreTemps68])

De la temporalité spécifique de l’angoisse, qui se fonde donc originairement dans l’être-été de telle sorte que son avenir et son présent ne se temporalisent qu’à partir de lui, se dégage la possibilité de la puissance caractéristique de la tonalité de l’angoisse. En elle, le DASEIN est complètement repris en son étrang(èr)eté nue, et pris par celle-ci. Néanmoins, cette captation ne re-prend pas seulement le DASEIN aux possibilités « mondaines », mais elle lui donne en même temps la possibilité d’un pouvoir-être authentique. (§68 [EtreTemps68])

Sous l’effet du s’attendre à... sautillant, le présentifier est de plus en plus remis à lui-même. Il présentifie pour le présent. Se prenant ainsi dans ses propres rets, l’instabilité distraite devient agitation. Ce mode du présent est le contre-phénomène extrême de l’instant. En celle-là, le DASEIN est partout et nulle part ; celui-ci transporte l’existence dans la situation et ouvre le « Là » authentique. (§68 [EtreTemps68])

De prime abord, le jet de l’être-jeté dans le monde n’est pas ressaisi par le DASEIN ; la « mobilité » qui lui est propre ne vient pas à la « stabilité » du simple fait que le DASEIN « est » désormais « là ». Le DASEIN est lui-même entraîné dans l’être-jeté, autrement dit, en tant que jeté dans le monde, il se perd dans le « monde » conformément à son assignation factice à ce dont il a à se préoccuper. Le présent, qui constitue le sens existential de l’être-entraîné, ne conquiert jamais par lui-même un autre horizon ekstatique, à moins qu’il ne soit [349] ramené de sa perte par la décision, afin d’ouvrir, en tant qu’instant tenu, chaque situation, et, conjointement, la « situation limite » originaire de l’être pour la mort. (§68 [EtreTemps68])

Cependant, la présentification circon-specte est un phénomène diversement fondé. D’abord, elle appartient à chaque fois à une unité ekstatique pleine de la temporalité. Elle se fonde dans un conserver du complexe d’outils en se préoccupant duquel le DASEIN est attentif à une possibilité. Ce qui est déjà révélé dans le conserver attentif rapproche la présentification - ou la re-présentation - réfléchissante. Mais pour que la réflexion puisse se mouvoir dans le schème du « si..., alors... », il faut que la préoccupation comprenne déjà « en son ensemble » un complexe de tournure. Ce qui est advoqué avec le « si... » doit déjà être compris comme ceci et cela. Pour cela, il n’est pas requis que la compréhension de l’outil s’exprime dans une prédication. Le schème « quelque chose comme quelque chose » est déjà pré-dessiné dans la structure du comprendre antéprédicatif. La structure de comme se fonde ontologiquement dans la temporalité du comprendre. C’est seulement dans la mesure où le [360] DASEIN, attentif à une possibilité, c’est-à-dire ici à un pour-quoi, est revenu vers un pour-cela, c’est-à-dire conserve un à-portée-de-la-main, que le présentifier appartenant à ce conserver attentif peut à l’inverse, en partant de cet étant conservé, le rapprocher expressément dans sa référence au pour-quoi. La réflexion approchante doit se rendre adéquate, dans le schème de la présentification, au mode d’être de ce qui est à approcher. Le caractère de tournure de l’à-portée-de-la-main n’est rapproché - mais non pas d’abord découvert - par la réflexion que selon qu’elle fait voir circon-spectivement comme tel ce dont il retourne avec quelque chose. (§69 [EtreTemps69])

Nous avons déterminé l’être du DASEIN comme souci. Le sens ontologique du souci est la temporalité. Que et comment celle-ci constitue l’ouverture du Là, cela a été montré. Dans [365] l’ouverture du Là, le monde est co-ouvert. L’unité de la significativité, c’est-à-dire la constitution ontologique du monde, doit donc également se fonder dans la temporalité. La condition temporalo-existentiale de possibilité du monde consiste en ce que la temporalité comme unité ekstatique a quelque chose comme un horizon. Les ekstases ne sont pas simplement des échappées vers... Bien plutôt un « vers-où » de l’échappée appartient-il à l’ekstase. Ce vers-où de l’ekstase, nous l’appelons le schème horizontal. L’horizon ekstatique est différent dans chacune des trois ekstases. Le schème où le DASEIN, authentiquement ou inauthentiquement, advient à soi de manière avenante est le en-vue-de lui-même. Le schème où le DASEIN est ouvert à lui-même en tant que jeté au sein de l’affection, nous le saisissons comme le devant-quoi de l’être-jeté ou le à-quoi de l’abandon. Il caractérise la structure horizontale de l’être-été. Existant en-vue-de lui-même dans l’abandon à lui-même en tant que jeté, le DASEIN, en tant qu’être auprès,.., est en même temps présentifiant. Le schème horizontal du présent est déterminé par le pour... (§69 [EtreTemps69])

De même que le présent jaillit, dans l’unité de la temporalisation de la temporalité, de l’avenir et de l’être-été, de même se temporalise, cooriginairement avec les horizons de l’avenir et de l’être-été, celui d’un présent. Tandis que le DASEIN se temporalise est aussi un monde. Se temporalisant, quant à son être, comme temporalité, le DASEIN est essentiellement, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de celle-ci, « dans un monde ». Le monde n’est ni sous-la-main, ni à-portée-de-la-main, mais il se temporalise dans la temporalité. Il « est là » avec le hors-de-soi des ekstases. Si nul DASEIN n’existe, nul monde n’est pas non plus « Là ». (§69 [EtreTemps69])

Que le fait de parler, au cours de l’interprétation existentiale, d’une déterminité « spatio-temporelle » du DASEIN ne puisse signifier que cet étant se trouve « dans l’espace et aussi dans le temps », c’est ce qu’il n’est plus besoin d’élucider. La temporalité est le sens d’être du souci. La constitution du DASEIN et ses guises d’être ne sont ontologiquement possibles que sur la base de la temporalité, abstraction faite de ce que cet étant survient - ou non - « dans le temps ». Mais alors, il faut que la spatialité spécifique du DASEIN, elle aussi, se fonde dans la temporalité. D’un autre côté, la monstration que cette spatialité n’est existentialement possible que par la temporalité ne saurait avoir pour but de déduire l’espace du temps, voire de le dissoudre en pur temps. Si la spatialité du DASEIN est « embrassée » par la temporalité dans le sens d’une dérivation existentiale, cette connexion - qu’il nous faudra clarifier dans la suite - est alors elle-même différente de la primauté du temps sur l’espace entendue au sens du Kant. Que les représentations empiriques de l’étant sous-la-main « dans l’espace » se déroulent, en tant qu’événements psychiques, « dans le temps », et que le « physique » survienne ainsi lui aussi médiatement « dans le temps » cela ne constitue nullement une interprétation ontologico-existentiale de l’espace en tant que forme de l’intuition, mais n’est que la constatation ontique du déroulement du psychiquement sous-la-main « dans le temps ». (§70 [EtreTemps70])

Il convient donc de s’enquérir ontologico-existentialement des conditions temporelles de possibilité de la spatialité propre au DASEIN, qui, à son tour, fonde la découverte de l’espace intramondain. Tout d’abord, nous devons rappeler en quelle guise le DASEIN est spatial. Spatial, le DASEIN ne pourra l’être qu’en tant que souci, au sens de l’exister facticement échéant. Négativement, cela signifie : le DASEIN n’est jamais - ni jamais de prime abord - [368] sous-la-main dans l’espace. Il ne remplit pas, comme une chou ou un outil réel, une portion d’espace, de telle manière que sa limite par rapport à l’espace qui l’entoure ne soit elle-même qu’une détermination spatiale de l’espace. Le DASEIN occupe - au sens littéral du terme - de l’espace. Il n’est en aucune manière seulement sous-la-main dans la portion d’espace que le corps propre occupe. Existant, il s’est à chaque fois déjà aménagé un espace de jeu. À chaque fois, il détermine son lieu propre de telle manière qu’il revient à partir de l’espace aménagé vers la « place » qu’il a prise. Pour pouvoir dire que le DASEIN est sous-la-main à un emplacement de l’espace, nous devons d’abord nécessairement envisager cet étant de manière ontologiquement inadéquate. La différence entre la « spatialité » d’une chose étendue et celle du DASEIN ne consiste pas non plus en ce que celui-ci a un savoir de l’espace ; car l’occupation d’espace est si peu identique à un « représenter » du spatial que celui-ci présuppose au contraire celle-là. La spatialité du DASEIN ne saurait non plus être explicitée comme une imperfection attachée à l’existence sur la base de la fatale « liaison de l’esprit avec un corps ». Bien plutôt est-ce, et est-ce seulement parce que le DASEIN est « spirituel » qu’il peut être spatial selon une guise qui demeure essentiellement impossible à une chose-corps étendue. (§70 [EtreTemps70])

Le s’aménager du DASEIN est constitué par l’orientation et l’é-loignement. Comment ceux-ci sont-ils existentialement possibles sur la base de la temporalité du DASEIN ? Il ne nous incombe ici d’indiquer brièvement la fonction fondatrice de la temporalité pour la spatialité du DASEIN qu’autant qu’il est nécessaire pour nos élucidations ultérieures de l’« accouplement » de l’espace et du temps. À l’aménagement du DASEIN appartient la découverte orientée de quelque chose comme une contrée. Par cette expression, nous visons de prime abord le vers-où de la possible pertinence de l’outil à-portée-de-la-main dans le monde ambiant emplaçable. Tandis qu’un outil est trouvé, manié, déplacé, évacué, une contrée est déjà découverte. L’être-au-monde préoccupé est orienté - s’orientant. La pertinence a un rapport essentiel à la tournure. Elle se détermine toujours facticement à partir du complexe de tournure de l’étant offert à la préoccupation. Les rapports de tournure ne sont compréhensibles que dans l’horizon du monde ouvert. De même, c’est seulement son caractère d’horizon qui possibilise l’horizon spécifique du vers-où de la pertinence au sein d’une contrée. La découverte s’orientant de la contrée se fonde dans un s’attendre ekstatiquement conservant du vers-là-bas et du vers-ici possible. Le s’aménager, en tant que s’attendre orienté à une contrée, est cooriginairement un rapprocher (é-loigner) d’étant à-portée-de-la-main et sous-la-main. C’est depuis la contrée pré-découverte que la [369] préoccupation, en é-loignant, revient vers le plus proche. L’approchement, ainsi que l’appréciation et la mesure des distances à l’intérieur du sous-la-main intramondain é-loigné, se fondent dans un présentifier qui appartient à l’unité de la temporalité en laquelle également l’orientation est possible. (§70 [EtreTemps70])

Quoi de plus « simple » apparemment que de caractériser l’« enchaînement de la vie » entre naissance et mort ? Il consiste dans une séquence de vécus « dans le temps ». De plus, si l’on s’attache de manière plus pénétrante à cette caractérisation de l’enchaînement en question, et, avant tout, au préjugé ontologique qui la guide, il se manifeste quelque chose de remarquable : dans cette séquence de vécus, ce qui est « proprement effectif », ce n’est à chaque fois que le vécu sous-la-main « en chaque maintenant ». Les vécus passés et à venir, au contraire, ne sont plus, ou ne sont pas encore « effectifs ». Le DASEIN mesure le laps de temps qui lui est octroyé entre l’une et l’autre limites de telle manière que, n’étant à chaque fois « effectif » que dans le maintenant, il sautille pour ainsi dire sur la suite de maintenant de son « temps ». C’est en ce sens que l’on dit que le DASEIN est « temporel ». Dans ce change constant des vécus, le Soi-même se maintient dans une certaine identité. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de déterminer ce permanent et sa relation possible au change des vécus, les opinions divergent. L’être de ce tissu permanent-changeant des vécus demeure indéterminé. Au fond, cependant, ce qui est posé dans cette caractérisation du contexte de la vie - que l’on y souscrive ou non -, c’est un étant sous-la-main « dans le temps », même s’il est considéré comme évidemment « non chosique ». (§72 [EtreTemps72])

Bien loin de remplir seulement, à travers les phases de ses effectivités momentanées, un cours et un chemin « de la vie » qui serait en quelque manière sous-la-main, le DASEIN s’é-tend lui-même, et cela de telle manière que c’est son être propre qui est d’emblée constitué comme ex-tension. C’est dans l’être du DASEIN que se trouve déjà le « entre » de la naissance et de la mort. En revanche, le DASEIN n’« est » nullement effectif en un point temporel, ni, de surcroît, « entouré » par la non-effectivité de sa naissance et de sa mort. Entendue existentialement, la naissance n’est pas, n’est jamais du passé au sens d’un étant qui n’est plus sous-la-main, et pas davantage la mort n’a-t-elle le mode d’être d’un « reste » non encore sous-la-main et seulement à venir. Le DASEIN factice existe nativement, et c’est nativement encore qu’il meurt au sens de l’être pour la mort. L’une et l’autre « fins », ainsi que leur « entre deux » sont aussi longtemps que le DASEIN existe facticement, et elles sont comme il leur est seulement possible d’être sur la base de l’être du DASEIN comme souci. Dans l’unité de l’être-jeté et de l’être pour la mort fugitif - ou devançant -, naissance et mort « s’enchaînent » à la mesure du DASEIN. En tant que souci, le DASEIN est l’« entre-deux ». (§72 [EtreTemps72])

Mais la totalité constitutionnelle du souci trouve le fondement possible de son unité dans la temporalité. L’éclaircissement ontologique de l’« enchaînement de la vie », c’est-à-dire de l’extension, de la mobilité et de la permanence spécifiques du DASEIN doit par suite recevoir son amorçage dans l’horizon de la constitution temporelle de cet étant. La mobilité de [375] l’existence n’est pas le mouvement d’un sous-la-main. Elle se détermine à partir de l’extension du DASEIN. La mobilité spécifique du s’é-tendre é-tendu, nous l’appelons le provenir du DASEIN. La question de l’« enchaînement » du DASEIN est le problème ontologique de son provenir. La libération de la structure de provenance et de ses conditions temporalo-existentiales de possibilité signifie l’obtention d’une compréhension ontologique de l’historialité. (§72 [EtreTemps72])

Ce qui relie les quatre significations, c’est qu’elle se rapportent à l’homme comme « sujet » des événements. Comment le caractère de provenir de ceux-ci doit-il être déterminé ? Le provenir est-il une séquence de processus, un apparaître et un disparaître changeant de faits ? Selon quelle guise ce provenir de l’histoire appartient-il au DASEIN ? Le DASEIN est-il déjà d’abord facticement « sous-la-main », pour ne s’engager qu’ensuite et occasionnellement « dans une histoire » ? Le DASEIN ne devient-il historial qu’à cause d’une intrication avec des circonstances et des événements ? Ou bien l’être du DASEIN est-il au contraire tout d’abord constitué par le provenir, de telle manière que ce soit seulement parce que le DASEIN est historial dans son être que devienne ontologiquement possible quelque chose comme des circonstances, des événements et des destinées ? Mais pourquoi, dans la caractérisation « temporelle » du DASEIN tel qu’il provient « dans le temps », est-ce alors précisément le passé qui possède une fonction accentuée ? (§73 [EtreTemps73])

Le caractère historial des antiquités encore conservées se fonde donc dans le « passé » du DASEIN au monde duquel elles appartenaient. Dès lors, ce serait seulement le DASEIN « passé » qui serait historial, non pas le DASEIN « présent ». Mais le DASEIN peut-il en général être passé, si nous déterminons ce mot « passé » au sens de « maintenant plus sous-la-main ou à-portée-de-la-main » ? Manifestement, le DASEIN ne peut jamais être passé, non point parce qu’il est impérissable, mais parce qu’il ne peut essentiellement jamais être sous-la-main, mais, s’il est, existe. Or justement, un DASEIN n’existant plus, au sens ontologique strict, n’est point passé, mais ayant été-Là. Les antiquités encore sous-la-main ont un caractère de « passé » et d’histoire sur la base de leur appartenance outilitaire à, et de leur provenance depuis un [381] monde ayant-été d’un DASEIN ayant-été-Là. C’est celui-ci qui est le primairement historial. Mais est-ce à dire que le DASEIN ne devienne historial que du fait qu’il n’est plus Là ? Ou bien n’est-il pas justement historial en tant que facticement existant ? Le DASEIN est-il seulement ayant-été au sens de l’ayant-été-LÀ, ou bien n’est-il pas « été » en tant que présentifiant-à-venir, c’est-à-dire dans la temporalisation de sa temporalité ? (§73 [EtreTemps73])

Remarques bien circonstanciées, dira-t-on. Car que le DASEIN humain soit au fond le « sujet » primaire de l’histoire, nul ne le nie, et même le concept vulgaire cité de l’histoire l’exprime assez nettement. Certes, mais la thèse : « le DASEIN est historial » ne désigne pas seulement le fait ontique que l’homme représente un « atome » plus ou moins lourd dans le tourbillon de l’histoire du monde et demeure le jouet des circonstances et des événements, mais elle pose le problème suivant : dans quelle mesure, et sur la base de quelles conditions ontologiques l’historialité appartient-elle à titre de constitution d’essence à la subjectivité du sujet « historial » ? (§73 [EtreTemps73])

Jeté, le DASEIN est certes remis à lui-même et à son pouvoir-être, mais cependant en tant qu’être-au-monde. Jeté, il est assigné à un « monde » et il existe facticement avec d’autres. De prime abord et le plus souvent, le Soi-même est perdu dans le On. Il se comprend à partir des possibilités d’existence qui « ont cours » dans ce qui est à chaque fois aujourd’hui l’explicitation publique « moyenne » du DASEIN. Le plus souvent, elles sont rendues méconnaissables par l’équivoque, et cependant elles sont connues. Le comprendre existentiel authentique se soustrait si peu à l’être-explicité traditionnel que c’est à chaque fois à partir de lui et contre lui, et pourtant à nouveau pour lui qu’il saisit dans la décision la possibilité choisie. (§74 [EtreTemps74])

En fait, l’histoire n’est ni le complexe dynamique des modifications des objets, ni la séquence arbitraire des vécus des « sujets ». Le provenir de l’histoire concerne-t-il donc alors l’« enchaînement » du sujet et de l’objet ? Mais voudrait-on rapporter ce provenir à la relation sujet-objet qu’il n’en faudrait pas moins s’enquérir du mode d’être de cet enchaînement comme tel, si c’est bien lui qui fondamentalement « provient ». La thèse de l’historialité du DASEIN ne dit pas que c’est le sujet sans-monde qui est historial, mais bien l’étant qui existe comme être-au-monde. Le provenir de l’histoire est provenir de l’être-au-monde. L’historialité du DASEIN est essentiellement historialité du monde qui, sur la base de la temporalité ekstatico-horizontale, appartient à la temporalisation de celle-ci. Pour autant que le DASEIN existe facticement, de l’étant intramondain découvert lui fait aussi et déjà encontre. Avec l’existence de l’être-au-monde historial, de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main est à chaque fois déjà inclus dans l’histoire du monde. L’outil et l’ouvrage, des livres par exemple, ont leurs « destins », des monuments et des institutions ont leur histoire. Mais la nature elle aussi est historiale. Certes, elle ne l’est précisément pas lorsque nous parlons d’« histoire naturelle » [NA: Quant à la question de la délimitation ontologique du « devenir naturel » par opposition à la mobilité propre à l’histoire, cf. les réflexions de F. GOTTL, sur Die Grenzen der Geschichte [Les limites de l’histoire], 1904, qui, depuis longtemps, attendent d’être estimées à leur juste valeur.], mais elle l’est bel et bien en tant que paysage, que domaine d’installation et d’exploitation, comme champ de bataille ou comme lieu de culte. Cet étant [389] intramondain est comme tel historial, et son histoire ne représente pas un cadre « extérieur » qui accompagnerait purement et simplement l’histoire « intérieure » de l’« âme ». Nous nommons cet étant le mondo-historial. Cependant, il faut ici prendre garde à l’équivoque de cette expression que nous venons de choisir, en lui donnant ici un sens ontologique : « histoire du monde ». Elle signifie d’une part le provenir du monde en son unité essentielle, existante avec le DASEIN. Mais d’autre part, dans la mesure où avec le monde existant facticement de l’étant intramondain est à chaque fois découvert, elle désigne le « provenir » intramondain de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main. Le monde historial n’est facticement que comme monde de l’étant intramondain. Ce qui « provient » avec l’outil et l’ouvrage comme tel a un caractère propre de mobilité, qui jusqu’à maintenant est resté dans une obscurité totale. Un anneau, par exemple, qui est transmis et porté, ne subit pas simplement, dans un tel être, des changements de lieu. La mobilité du provenir où quelque chose « advient de lui » ne saurait être saisie à partir du mouvement comme transport local. Et autant vaut de tous les « processus » et événements mondo-historaux, mais aussi, en un sens, de « catastrophes naturelles ». Cependant, indépendamment même des limites de notre thème, nous pouvons d’autant moins poursuivre ici ce problème de la structure ontologique du provenir mondo-historial que l’intention de notre exposé est précisément de conduire devant l’énigme ontologique de la mobilité du provenir en général. (§75 [EtreTemps75])

Si l’être du DASEIN est fondamentalement historial, alors, manifestement, toute science factice demeure rattachée à ce provenir. Néanmoins, si la science historique a l’historialité du DASEIN pour présupposition, c’est également d’une autre manière, spécifique et privilégiée. (§76 [EtreTemps76])

Mais pour autant que l’être du DASEIN est historial, c’est-à-dire qu’il est ouvert, sur le fondement de la temporalité ekstatico-horizontale, en son être-été, la thématisation du « passé » accomplissable dans l’existence a la voie libre. Et parce que le DASEIN - et le DASEIN seul - est originairement historial, il faut que ce que la thématisation historique propose comme objet possible à la recherche possède le mode d’être du DASEIN ayant-été-Là. Avec le DASEIN factice comme être-au-monde est à chaque fois aussi l’histoire du monde. Que le DASEIN ne soit plus Là, et le monde, lui aussi, est ayant-été-Là, et à cela ne contrevient [394] point le fait que l’à-portée-de-la-main auparavant intramondain ne passe pas encore, et, en tant que non-passé du monde qui a été Là, est « historiquement » trouvable pour un présent. (§76 [EtreTemps76])

Mais qu’est-ce que cela veut dire : le DASEIN est « factuel » ? Si le DASEIN n’est « à proprement parler » effectif que dans l’existence, alors sa « factualité » se constitue justement dans le se-projeter résolu vers un pouvoir-être choisi. Par suite, ce qui a à proprement parler été-Là « en fait », c’est la possibilité existentielle en laquelle se déterminèrent facticement un destin, un co-destin et une histoire du monde. L’existence n’étant jamais que comme facticement jetée, l’enquête historique ouvrira de manière d’autant plus pénétrante la force tranquille du possible qu’elle comprendra plus simplement et concrètement l’être-été-au-monde à partir de sa possibilité et se « bornera » à le présenter comme tel. (§76 [EtreTemps76])

Ce n’est pas un hasard si Yorck appelle « l’ontique », purement et simplement, l’étant qui n’est pas historial - mais plutôt un effet indirect de la souveraineté intacte de l’ontologie traditionnelle, qui, provenant du questionnement antique sur l’être, maintient la problématique ontologique dans une restriction fondamentale. Le problème de la différenciation entre l’ontique et l’historique ne peut être élaboré à titre de problème de recherche que s’il s’est préalablement assuré, grâce à la clarification fondamental-ontologique de la question du sens [404] de l’être en général, de son fil conducteur [NA: Cf. supra, §5 et 6, p. [15] sq.]. Et ainsi comprend-on aussi en quel sens l’analytique temporalo-existentiale préparatoire du DASEIN est résolue à cultiver l’esprit du comte Yorck afin de mieux servir l’oeuvre de Dilthey. (§77 [EtreTemps77])

En tant qu’ouvert, le DASEIN existe facticement selon la guise de l’être-avec avec autrui. Il se tient dans une compréhensivité publique, médiocre. Les « maintenant que... » et les « alors que... » explicités et ex-primés dans l’être-l’un-avec-l’autre quotidien sont fondamentalement compris, même s’ils ne sont univoquement datés que dans certaines [411] limites. Dans l’être-l’un-avec-l’autre « prochain », plusieurs peuvent dire ensemble « maintenant », chacun datant alors différemment le « maintenant » qu’il ex-prime maintenant que ceci ou cela se produit. Le « maintenant » ex-primé est dit par chacun dans la publicité de l’être-l’un-avec-l’autre-au-monde. Le temps explicité, ex-primé de chaque DASEIN est par suite aussi à chaque fois déjà publié comme tel sur la base de son être-au-monde ekstatique. Or dans la mesure où la préoccupation quotidienne se comprend à partir du « monde » dont elle se préoccupe, elle ne connaît pas le « temps » qu’elle prend comme sien, mais, préoccupée qu’elle est de lui, elle se sert du temps qu’« il y a », avec lequel on compte. Mais la publicité du « temps », au fur et à mesure que le DASEIN factice se préoccupe expressément de lui, ne va devenir que plus insistante lorsque celui-ci en tiendra proprement compte. (§79 [EtreTemps79])

Parce que le DASEIN, par essence, existe en tant que jeté de manière échéante, il explicite son temps, en s’en préoccupant, selon la guise d’un calcul du temps. En celui-ci se temporalise la [412] « véritable » publication du temps, de telle sorte qu’il faut dire que l’être-jeté du DASEIN est le fondement permettant qu’« il y ait » publiquement du temps. Afin d’assurer à la monstration de l’origine du temps public à partir de la temporalité factice toute son intelligibilité possible, nous étions tenus de caractériser d’abord en général le temps explicité dans la temporalité de la préoccupation, ne serait-ce que pour mettre en évidence que l’essence de la préoccupation du temps ne réside pas dans l’application de déterminations numériques lors de la datation. (§80 [EtreTemps80])

L’être du DASEIN est le souci. Cet étant existe en tant qu’étant jeté qui échoit. Abandonné au « monde » découvert avec son Là factice, assigné à lui dans la préoccupation, le DASEIN s’attend à son pouvoir-être-au-monde de telle manière qu’« il compte » avec et sur ce avec quoi, en-vue-de ce pouvoir-être, il retourne de façon finalement privilégiée. L’être-au-monde quotidien circon-spect a besoin de la possibilité de vue, c’est-à-dire de la clarté, pour pouvoir entrer dans un usage préoccupé de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur du sous-la-main. Avec l’ouverture factice de son monde, la nature est découverte pour le DASEIN. Dans son être-jeté, il est livré au change du jour et de la nuit. Celui-là offre par sa clarté la vue possible, celle-ci l’ôte. (§80 [EtreTemps80])

Préoccupé de manière circon-specte, et s’attendant ainsi à la possibilité de voir, le DASEIN, se comprenant à partir de son ouvrage du jour, se donne son temps par le « lorsqu’il fait jour ». Le « lors » de la préoccupation est daté à partir de ce qui se tient avec l’avènement de la clarté dans la connexion de tournure la plus proche qui soit au sein du monde ambiant : le lever du soleil. Lorsqu’il se lève, il est temps de... Le DASEIN date donc le temps qu’il doit (se) prendre à partir de ce qui, dans l’horizon de l’abandon au monde, fait encontre à l’intérieur de celui-ci comme quelque chose avec lequel il retourne de manière privilégiée pour le pouvoir-être-au-monde circon-spect. La préoccupation fait usage de l’« être-à-portée-de-la-main » du soleil dispensant lumière et chaleur. Le soleil date le temps explicité dans la [413] préoccupation. De cette datation naît la mesure la plus « naturelle » du temps, le jour. Et comme la temporalité du DASEIN qui doit (se) prendre son temps est finie, ses jours sont également déjà comptés. Le « tant qu’il fait jour » donne au s’attendre préoccupé la possibilité de déterminer avec pré-voyance le « alors » de ce dont il se préoccupe, autrement dit de diviser le jour. Et la division s’accomplit derechef par rapport à ce qui date le temps : le mouvement du soleil. Tout comme le lever, le coucher et le midi sont des « places » privilégiées que l’astre occupe. De son passage régulièrement récurrent, le DASEIN qui est jeté dans le monde et qui, temporalisant, se donne du temps tient compte. Le provenir du DASEIN est, sur la base de l’explicitation datante du temps prédessinée à partir de son être-jeté dans le Là, un provenir journalier. (§80 [EtreTemps80])

Mais où se fonde ce nivellement du temps du monde et ce recouvrement de la temporalité ? Réponse : dans l’être du DASEIN lui-même, que nous interprétions provisoirement comme souci [NA: Cf. supra, §41, pp. [191] sq.]. Jeté-échéant, le DASEIN est de prime abord et le plus souvent perdu dans ce dont il se préoccupe. Mais dans cette perte s’annonce la fuite recouvrante du DASEIN devant son existence authentique, qui a été caractérisée comme résolution devançante. Dans la fuite préoccupée est impliquée la fuite devant la mort, c’est-à-dire un détournement du regard de la fin de l’être-au-monde [NA: Cf. supra, §51, pp. [252] sq.]. Ce détournement du regard de... est en lui-même un mode de l’être ekstatiquement avenant pour la fin. La temporalité inauthentique du DASEIN échéant-quotidien doit nécessairement, en un tel détournement de la finitude, méconnaître l’avenance authentique et, avec elle, la temporalité en général. Et c’est même lorsque la compréhension vulgaire du DASEIN est guidée par le On que la « représentation » oublieuse de soi de « l’infinité » du temps public peut pour la première fois se consolider. Le On ne meurt jamais, parce qu’il ne peut pas mourir, dans la mesure où la mort est mienne et n’est [425] existentiellement comprise de manière authentique que dans la résolution devançante. Le On, qui ne meurt jamais et mé-comprend l’être pour la fin, n’offre pas moins à la fuite devant la mort une explicitation caractéristique. Jusqu’à la fin, « on a encore le temps ». Ici s’annonce un avoir-le-temps au sens du pouvoir de le perdre « d’abord encore cela, et ensuite... ; plus que cela, et ensuite... » Ici, cependant, ce n’est nullement la finitude du temps qui est comprise : tout au contraire, la préoccupation s’applique à capturer la plus grande part possible du temps qui vient encore et qui « continue ». Le temps, du point de vue public, est quelque chose que chacun prend et peut prendre. La suite nivelée des maintenant demeure totalement méconnaissable du point de vue de sa provenance à partir de la temporalité du DASEIN singulier dans l’être-l’un-avec-l’autre quotidien. Et du reste, comment cela affecterait-il le moins du monde « le temps » en son cours qu’un homme sous-la-main « dans le temps » vienne à ne plus exister ? Le temps suit son cours, tel qu’il « était » aussi déjà lorsqu’un homme est « entré dans la vie ». On ne connaît que le temps public, qui, nivelé, appartient à tous, autant dire à personne. (§81 [EtreTemps81])

Submitted on:  Thu, 29-Jul-2021, 19:24