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angoisse

Definition:
Angst

Cet advenir est possible ; il n’est réel aussi — bien qu’assez rarement — que par instants, dans la disposition fondamentale de l’angoisse. Par cette angoisse, nous n’entendons pas l’anxiété assez fréquente venant, au fond, d’une complexion craintive qui n’est que trop prête à se manifester. L’angoisse diffère fondamentalement de la crainte. C’est toujours devant tel ou tel étant déterminé qui, sous tel ou tel aspect déterminé, nous menace, que nous éprouvons de la crainte. La crainte devant… craint à chaque fois aussi pour quelque chose de déterminé. Parce que le propre de la crainte est ce caractère limité de son devant-quoi et de son pour-quoi, celui qui craint, le craintif, est retenu par ce qui l’affecte. Dans l’effort pour se préserver là devant — devant ce quelque chose de déterminé — il perd toute assurance par rapport à autre chose ; en somme il "perd la tête". QQMETA: L’élaboration de la question

L’angoisse ne donne plus lieu à un tel désarroi. Bien plutôt, elle répand un calme singulier. Sans doute l’angoisse est-elle toujours angoisse devant…, mais non devant ceci ou cela. L’angoisse devant… est toujours angoisse pour…, mais non pour ceci ou cela. Le caractère indéterminé de ce devant quoi et pour quoi nous nous angoissons n’est pas toutefois un simple manque de détermination, mais bien l’impossibilité essentiale de recevoir une détermination quelconque. Elle se fait jour dans une interprétation connue. QQMETA: L’élaboration de la question

Dans l’angoisse — disons-nous — "un malaise nous gagne" [NT: ist es einem unheimlich…]. Que signifient le "un" et le "nous" ? Nous ne pouvons dire devant quoi un malaise nous gagne. Cela nous gagne, dans l’ensemble. Toutes choses et nous-mêmes nous abîmons dans une indifférence. Cela, toutefois, non au sens d’un simple disparaître ; au contraire, dans leur recul comme tel, les choses se tournent vers nous. Ce recul de l’étant dans son ensemble qui nous investit dans l’angoisse nous oppresse. Aucun appui ne reste. Il ne reste et vient sur nous — dans la dérive de l’étant — que cet "aucun". QQMETA: L’élaboration de la question

Dans l’angoisse nous "sommes en suspens". Plus précisément : l’angoisse nous tient en suspens, parce qu’elle porte à la dérive l’étant dans son ensemble. D’où vient que nous-mêmes — nous, ces hommes étant — glissons dans cette dérive au coeur de l’étant. C’est pourquoi ce n’est au fond, ni "toi", ni "moi", qu’un malaise gagne, mais un "nous" [NT: einem : un "nous" impersonnel.]. Seul est encore là, dans l’ébranlement de ce suspens où l’on ne peut se tenir à rien, le pur être "là". QQMETA: L’élaboration de la question

L’angoisse nous ôte la parole. Parce que l’étant dérive dans son ensemble et fait qu’ainsi le rien s’avance, face à lui se tait tout dire qui dit "est". Que dans le malaise profond de l’angoisse souvent nous cherchions à rompre le vide silence par des propos sans objet, [52] n’est que la preuve de la présence du rien. Que l’angoisse dévoile le rien, c’est ce qu’immédiatement l’homme vérifie lui-même quand l’angoisse est passée. Dans la clarté du regard que porte le souvenir tout proche, il nous faut dire : ce devant quoi et pour quoi nous nous angoissions n’était "proprement" — rien. Et en effet : le rien lui-même — comme tel QQMETA: L’élaboration de la question

— était là. Avec la disposition fondamentale de l’angoisse, nous avons atteint l’advenir de l’être-là, dans lequel le rien est manifeste et à partir du quel il faut l’interroger. Qu’en est-il du rien ? QQMETA: L’élaboration de la question

Le rien se dévoile dans l’angoisse — mais non comme étant. Il est tout aussi peu donné comme objet. L’angoisse n’est pas une appréhension du rien. Pourtant le rien se fait par elle et en elle manifeste, mais non toutefois de telle manière qu’il se montrerait séparément "à côté" de l’étant dans son ensemble, lequel se tiendrait dans son inquiétante étrangeté. Nous dirions plutôt : le rien fait face dans l’angoisse en n’étant qu’un avec l’étant dans son ensemble. Qu’entendre par ce mots : "en n’étant qu’un avec…" ? QQMETA: La réponse à la question

Dans l’angoisse, l’étant dans son ensemble devient chancelant. En quel sens cela advient-il ? L’étant n’est pourtant pas anéanti par l’angoisse, pour ainsi laisser place au rien. Comment d’ailleurs cela se pourrait-il, quand l’angoisse justement se situe dans l’impuissance totale vis-à-vis de l’étant dans son ensemble. Bien plutôt le rien se déclare-t-il en propre avec l’étant et tenant à lui, comme à ce qui dérive dans son ensemble. QQMETA: La réponse à la question

Dans l’angoisse n’advient aucun anéantissement de tout l’étant en soi, mais pas davantage n’accomplissons-nous une négation de l’étant dans son ensemble, en vue d’obtenir le rien sans plus. Abstraction faite de ce que l’accomplissement exprès d’un énoncé de négation est étranger à l’angoisse comme telle, nous arriverions aussi bien, avec un telle négation d’où devrait résulter le rien, à tout moment trop tard. C’est avant, déjà, que le rien fait face. Nous disions qu’il fait face "en n’étant qu’un avec" l’étant dérivant dans son ensemble. QQMETA: La réponse à la question

Il y a, dans l’angoisse, un mouvement de retraite devant… qui, assurément, n’est plus une fuite, mais un repos fasciné. Ce retrait devant… prend son issue du rien. Celui-ci n’attire pas à soi ; il est, au contraire, essentialement répulsif. Mais la répulsion qui écarte de soi est comme tel le renvoi, provoquant la dérive, à l’étant qui s’abîme dans son ensemble. Ce renvoi répulsif dans son ensemble, à l’étant dérivant dans son ensemble, selon quoi le rien investit l’être-là dans l’angoisse, est l’essence du rien : le néantissement [NT: J’adopte ici la traduction d’Henry Corbin qui rend le mieux compte du rapprochement des mots allemands Vernichtung anéantissement (nous ne disposons pas d’autre mot en français, rien n’ayant formé la racine d’aucun composé) et Nichtung. De même, plus loin : nichten, néantir, comme vernichten, anéantir.]. Il n’est pas plus un anéantissement de l’étant qu’il ne surgit d’une négation. Le néantissement ne se laisse pas non plus mettre au même compte que l’anéantissement et la négation. Le rien lui-même néantit. QQMETA: La réponse à la question

Dans la claire nuit du rien de l’angoisse, c’est là seulement que s’élève l’ouverture originelle de l’étant comme tel, à savoir : qu’il est étant — et non pas rien. Cet "et non pas rien" [53] ajouté par nous dans le discours n’est pas une explication subsidiaire, mais bien ce qui rend possible, au préalable, la manifestation de l’étant en général. L’essence du rien originellement néantissant réside en ceci : qu’il porte avant tout l’être "là" devant l’étant comme tel. QQMETA: La réponse à la question

C’est maintenant seulement que doit enfin s’introduire une réflexion trop longtemps différée. Si l’être-là ne peut se rapporter à de l’étant, et ainsi exister, qu’en se tenant instant dans le rien, et si le rien originellement ne devient manifeste que dans l’angoisse, ne nous faut-il pas, dès lors, être constamment en suspens dans cette angoisse, pour pouvoir simplement exister ? Mais n’avons-nous pas nous-mêmes reconnu que cette angoisse originelle est rare ? Avant toute chose nous tous existons bien pourtant et nous rapportons à de l’étant, celui que nous ne sommes pas et celui que nous sommes nous-mêmes — sans cette angoisse. Celle-ci n’est-elle pas une invention arbitraire et le rien qu’on lui attribue une exagération ? QQMETA: La réponse à la question

Ces possibilités du comportement néantissant — forces en lesquelles l’être-là porte son destin d’être jeté, sans pourtant s’en rendre maître — ne sont pas des espèces du nier simple. Mais cela n’empêche qu’elles s’expriment dans le non et dans la négation. En cela se trahit certes d’autant le vide et l’étendue de la négation. L’imprégnation de l’être-là par le comportement néantissant atteste la manifestation constante et sans doute obscurcie du rien, que seule l’angoisse originellement dévoile. D’où vient que cette angoisse originelle est le plus souvent réprimée dans l’être-là. L’angoisse est là. Elle sommeille seulement. Son souffle constamment tressaille à travers l’être-là. Au plus faible, à travers l’être-là "anxieux", et imperceptible pour les "oui, oui", et les "non, non" de l’affairé ; au plus proche à travers l’être-là rendu maître de soi ; au plus sûr, à travers celui qui se risque quant au fond. Mais cela n’advient qu’à partir de ce en vue de quoi il se prodigue, pour ainsi préserver l’ultime grandeur de l’être-là. QQMETA: La réponse à la question

L’instance de l’être-là dans le rien sur le fond de l’angoisse cachée fait de l’homme le lieu-tenant du rien. Nous sommes à ce point finis que ce n’est nullement par décision ni vouloir propres que nous pouvons nous porter originellement devant le rien ; tel est l’abîme que la dimension de finitude creuse dans l’être-là que la finitude la plus propre et la plus profonde se refuse à notre liberté. QQMETA: La réponse à la question

L’instance de l’être-là dans le rien sur le fond de l’angoisse cachée est le dépassement de l’étant dans son ensemble : la transcendance. QQMETA: La réponse à la question


Dans la perspective de l’interprétation qui sera proposée ensuite d’une telle affection fondamentale du Dasein significative du point de vue ontologico-existential, à savoir l’angoisse (§40 [EtreTemps40]), il s’impose d’illustrer encore plus concrètement le phénomène de l’affection en élucidant d’abord le mode déterminé de la peur. EtreTemps29

C’est le phénomène de l’angoisse qui sera pris pour base de l’analyse, à titre d’affection satisfaisant à de telles requêtes méthodiques. L’élaboration de cette affection fondamentale et la caractérisation ontologique de ce qui y est ouvert en tant que tel prendra son départ dans le phénomène de l’échéance et délimitera l’angoisse par rapport au phénomène voisin, plus haut analysé, de la peur. L’angoisse, en tant que possibilité d’être du Dasein, en même temps que le Dasein même qui est ouvert en elle, livre le sol phénoménal requis pour la saisie explicite de la totalité originaire d’être du Dasein. L’être du Dasein se dévoile comme souci. L’élaboration ontologique de ce phénomène existential fondamental exige de le délimiter par rapport à des phénomènes qui pourraient être de prime abord identifiés à lui. Des phénomènes de ce genre sont la volonté, le souhait, la tendance, la pulsion. Mais le souci ne saurait être dérivé d’eux, car eux-mêmes sont fondés en lui. EtreTemps39

Dans la problématique ontologique traditionnelle, être et vérité ont été depuis longtemps rapprochés, quoique non pas identifiés. Dans ce rapprochement s’atteste, même si peut-être ses motifs fondamentaux sont restés retirés, la connexion nécessaire entre être et compréhension. Pour préparer de façon satisfaisante la question de l’être, il est donc besoin d’une clarification ontologique du phénomène de la vérité. Elle s’accomplira d’abord sur le sol de ce que l’interprétation antérieure a conquis avec les phénomènes de l’ouverture et de l’être-découvert, de l’explicitation et de l’énoncé. [184] La conclusion de l’analyse-fondamentale préparatoire du Dasein prendra donc successivement pour thème : l’affection fondamentale de l’angoisse comme ouverture privilégiée du Dasein (§40 [EtreTemps40]) ; l’être du Dasein comme souci (§41 [EtreTemps41]) ; la confirmation de l’interprétation existentiale du Dasein comme souci à partir de l’auto-explicitation préontologique du Dasein (§42 [EtreTemps42]) ; Dasein, mondanéité [Weltlichkeit] et réalité (§43 [EtreTemps43]) ; Dasein, ouverture et vérité (§44 [EtreTemps44]). EtreTemps39

§40 [EtreTemps40]-. L’affection fondamentale de l’angoisse comme ouverture privilégiée du Dasein. EtreTemps40

C’est une possibilité d’être du Dasein qui doit nous donner une « révélation » ontique sur lui-même en tant qu’étant. Une révélation n’est possible que dans l’ouverture propre au Dasein, ouverture qui se fonde dans l’affection et le comprendre. Dans quelle mesure l’angoisse est-elle une affection insigne ? Comment le Dasein y est-il transporté par son propre être devant lui-même de telle manière que l’étant ouvert dans l’angoisse puisse comme tel être déterminé d’une manière phénoménologiquement satisfaisante en son être, ou tout au moins qu’une telle détermination puisse être convenablement préparée ? EtreTemps40

Dès lors, en s’orientant sur le phénomène de l’échéance, l’analyse ne s’interdit nullement d’expérimenter ontologiquement quelque chose au sujet du Dasein qui est ouvert en lui. Bien au contraire : c’est alors que l’interprétation échappe le mieux au danger de se livrer à une auto-saisie artificielle du Dasein. Tout ce qu’elle accomplit, c’est l’explication de ce que le Dasein ouvre lui-même ontiquement. Plus est originaire le phénomène qui fonctionne méthodiquement comme affection ouvrante, et plus s’accroît la possibilité de pénétrer, en l’accompagnant et le poursuivant interprétativement au sein d’un comprendre affecté, jusqu’à l’être du Dasein. Or que l’angoisse ait une telle fonction, c’est ce que nous affirmons tout d’abord. EtreTemps40

Pour aborder l’analyse de l’angoisse, nous ne sommes pas tout à fait démunis. Sans doute, son mode de connexion ontologique avec la peur demeure encore obscur, même si une parenté phénoménale de l’une et l’autre est manifeste : un indice en est le fait que les deux phénomènes demeurent le plus souvent indistincts, et que l’on appelle angoisse ce qui est peur et peur ce qui a le caractère de l’angoisse. Tentons maintenant de percer progressivement jusqu’au phénomène de l’angoisse. EtreTemps40

Par suite, le détournement propre à l’échéance n’est pas non plus une fuite qui se fonderait sur la peur devant un étant intramondain. Un tel caractère dérivé de fuite revient si peu à ce détournement que tout au contraire il se tourne vers l’étant intramondain en tant qu’il s’identifie à lui. Le détournement de l’échéance se fonde bien plutôt dans l’angoisse, qui à son tour rend tout d’abord possible la peur. EtreTemps40

Pour comprendre cette idée de la fuite échéante du Dasein devant lui-même, il faut se rappeler l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme constitution fondamentale de cet étant. Le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme tel. Comment ce devant quoi l’angoisse s’angoisse se distingue-t-il de ce devant quoi la peur prend peur ? Réponse : le devant-quoi de l’angoisse n’est pas un étant intramondain. Dès lors, ce n’est plus de celui-ci qu’il peut retourner. La menace n’a pas le caractère d’une importunité déterminée qui frapperait l’étant, menace du point de vue déterminé d’un pouvoir-être factice particulier. Le devant-quoi de l’angoisse est complètement indéterminé. Non seulement cette indéterminité [Bestimmtheit] laisse factuellement indécis quel étant intramondain menace, mais elle signifie qu’en général ce n’est pas l’étant intramondain qui est « pertinent ». Rien de ce qui est à-portée-de-la-main et sous-la-main à l’intérieur du monde ne fonctionne comme ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse. La totalité de tournure [Bewandtnis] de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main découverte de manière intramondaine est comme telle absolument sans importance. Elle s’effondre. Dans l’angoisse ne fait encontre ni ceci ni cela dont il pourrait retourner en tant que menaçant. EtreTemps40

C’est pourquoi l’angoisse ne « voit » pas non plus d’« ici » et de « là-bas » déterminé à partir duquel le menaçant fait approche. Que le menaçant ne soit nulle part, cela caractérise le devant-quoi de l’angoisse. Celle-ci ne « sait pas » ce qu’est ce devant-quoi elle s’angoisse. Mais « nulle part » ne signifie point rien : il implique la contrée en général, l’ouverture d’un monde en général pour l’être-à essentiellement spatial. Par suite, le menaçant ne peut pas non plus faire approche à l’intérieur de la proximité à partir d’une direction déterminée, il est déjà « là » - et pourtant nulle part, il est si proche qu’il oppresse et coupe le souffle - et pourtant il n’est nulle part. EtreTemps40

Dans le devant-quoi de l’angoisse devient manifeste le « rien et nulle part ». La [187] saturation [NT: Cf. supra, p. [74].] du rien et nulle part intramondain signifie phénoménalement ceci : le devant-quoi de l’angoisse est le monde comme tel. La complète non-significativité [Bedeutsamkeit] qui s’annonce dans le rien et nulle part ne signifie pas l’absence de monde, elle veut dire que l’étant intramondain est en lui-même si totalement non-pertinent que, sur la base de cette non-significativité [Bedeutsamkeit] de l’intramondain, il n’y a plus que le monde en sa mondanéité [Weltlichkeit] pour s’imposer. EtreTemps40

Ce qui oppresse, ce n’est pas ceci et cela, pas non plus la somme totale du sous-la-main, mais la possibilité de l’à-portée-de-la-main en général, c’est-à-dire le monde lui-même. Lorsque l’angoisse s’est apaisée, le parler quotidien [alltäglich] a coutume de dire : « au fond, ce n’était rien ». Cette formule touche en effet ontiquement ce que c’était. Le parler quotidien [alltäglich] porte sur une préoccupation [Besorgen] pour, et une discussion sur l’à-portée-de-la-main. Ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse, ce n’est rien de l’étant à-portée-de-la-main intramondain. Mais ce rien de l’étant à-portée-de-la-main que le parler quotidien [alltäglich] circon-spect comprend seul n’est pas un rien total. Le rien d’être-à-portée-de-la-main se fonde dans le « quelque chose » le plus originel, dans le monde. Mais le monde appartient ontologiquement de manière essentielle à l’être du Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Si par conséquent c’est le rien, c’est-à-dire le monde comme tel qui se dégage comme le devant-quoi de l’angoisse, cela veut dire que ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. EtreTemps40

Le s’angoisser ouvre originairement et directement le monde comme monde. Le Dasein ne commence pas par exemple par faire réflexivement abstraction de l’étant intramondain afin de ne plus penser qu’au monde devant lequel ensuite l’angoisse va prendre naissance, mais c’est l’angoisse comme mode de l’affection qui, la première, ouvre le monde comme monde. Ce qui ne signifie pourtant pas que dans l’angoisse la mondanéité [Weltlichkeit] du monde soit conçue. EtreTemps40

L’angoisse n’est pas seulement angoisse devant..., mais, en tant qu’affection, angoisse en-vue-de [NT: Angst um... Sur la préposition um, même remarque que supra, p. [141] et N.d.T.]... Ce en-vue-de, ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse n’est pas un mode d’être déterminé, une possibilité déterminée du Dasein. Car la menace, étant elle-même indéterminée, ne peut donc pas percer - en le menaçant - jusqu’à tel ou tel pouvoir-être facticement concret. Ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. Dans l’angoisse, l’à-portée-de-la-main intramondain, et en général l’étant intramondain, sombre. Le « monde » ne peut plus rien offrir, et tout aussi peu l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui. L’angoisse ôte ainsi au Dasein la possibilité de se comprendre de manière échéante à partir du « monde » et de l’être-explicité public. Elle rejette le Dasein vers ce pour-quoi il s’angoisse, vers son pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] authentique. L’angoisse isole le Dasein vers son être-au-monde [In-der-Welt-sein] le plus propre, qui, en tant que compréhensif, se projette essentiellement vers des possibilités. Par [188] suite, avec le pour-quoi [en-vue-de-quoi] du s’angoisser, l’angoisse ouvre le Dasein comme être-possible, plus précisément comme ce qu’il ne peut être qu’à partir de lui-même, seul, dans l’isolement. EtreTemps40

Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] l’angoisse s’angoisse se dévoile comme ce devant-quoi elle s’angoisse : l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’identité du devant-quoi de l’angoisse et de son pour-quoi s’étend même jusqu’au s’angoisser lui-même. Car celui-ci est en tant qu’affection un mode fondamental de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’identité existentiale de l’ouvrir avec l’ouvert, identité telle qu’en cet ouvert le monde est ouvert comme monde, l’être-à comme pouvoir-être isolé, pur, jeté, atteste qu’avec le phénomène de l’angoisse c’est une affection insigne qui est devenue le thème de l’interprétation. L’angoisse isole et ouvre ainsi le Dasein comme « solus ipse ». Ce « solipsisme » existential, pourtant, transporte si peu une chose-sujet isolée dans le vide indifférent d’une survenance sans-monde qu’il place au contraire le Dasein, en un sens extrême, devant son monde comme monde, et, du même coup, lui-même devant soi-même comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps40

Que l’angoisse comme affection fondamentale ouvre effectivement selon cette guise, la preuve la plus immédiate nous en est à nouveau apportée par l’explicitation quotidienne [alltäglich] du Dasein et le bavardage [Gerede]. L’affection, avons-nous dit en effet plus haut, manifeste « où l’on en est ». Dans l’angoisse, « c’est inquiétant », « c’est étrange ». Ici s’exprime d’abord l’indétermination spécifique de ce auprès de quoi le Dasein se trouve dans l’angoisse : le rien et nulle part. Mais ce caractère inquiétant, cette étrang(èr)eté signifie en même temps le ne-pas-être-chez-soi. En livrant la première indication phénoménale de la constitution fondamentale du Dasein et en clarifiant le sens existential de l’être-à par opposition à la signification catégoriale de l’« intériorité », nous avons déterminé le Dasein comme habiter auprès..., être familier avec... [NA: Cf. supra, §12 [EtreTemps12], p. [53] sq.] Ensuite, ce caractère de l’être-à fut manifesté plus concrètement par la publicité concrète du On, qui apporte le calme de l’auto-sécurité, l’« évidence » du « chez soi » dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein [NA: Cf. supra, §27 [EtreTemps27], p. [126] sq.]. L’angoisse, au contraire, ramène le [189] Dasein de son identification échéante au « monde ». La familiarité quotidienne [alltäglich] se brise. Le Dasein est isolé, mais comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’être-à revêt la « modalité » existentiale du hors-de-chez-soi. Ce n’est pas autre chose que veut dire l’expression d’« étrang(èr)eté ». EtreTemps40

Que nous avons interprété ontologico-existentialement l’étrang(èr)eté du Dasein comme la menace qui touche le Dasein à partir de lui-même, cela ne revient pas à affirmer que l’étrang(èr)eté, dans l’angoisse factice, soit toujours déjà comprise en ce sens. Le mode quotidien [alltäglich] sur lequel le Dasein comprend l’étrang(èr)eté est le détournement échéant, qui « aveugle » le hors-de-chez-soi. Cependant, la quotidienneté [Alltäglichkeit] de cette fuite le montre phénoménalement : à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], à cette constitution essentielle du Dasein, qui, en tant qu’existentiale, n’est jamais sous-la-main, mais elle-même toujours en un mode du Dasein factice, c’est-à-dire une affection, appartient l’angoisse comme affection fondamentale. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] rassuré-familier est un mode de l’étrang(èr)eté du Dasein et non pas l’inverse. Le hors-de-chez-soi doit être conçu ontologico-existentialement comme le phénomène plus originaire. EtreTemps40

Et c’est seulement parce que l’angoisse détermine toujours déjà de façon latente l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] que celui-ci, en tant qu’être préoccupé-affecté auprès du « monde », peut prendre peur. La peur est une angoisse échue sur le « monde », inauthentique et comme telle retirée à elle-même. [190] D’ailleurs, facticement, même la tonalité de l’étrang(èr)eté reste le plus souvent existentiellement mécomprise. De plus, l’angoisse « authentique », du fait de la prépondérance de l’échéance et de la publicité, est rare. Souvent, l’angoisse est conditionnée « physiologiquement ». Ce fait, en sa facticité, est un problème ontologique, il ne fait pas seulement difficulté quant à sa causalité et son déroulement ontique. Le déclenchement physiologique de l’angoisse n’est possible que parce que le Dasein s’angoisse au fond de son être. EtreTemps40

Plus rare encore que le fait existentiel de l’angoisse authentique sont les tentatives d’interpréter ce phénomène en sa constitution et sa fonction ontologico-existentiales fondamentales. Les raisons s’en trouvent en partie dans l’omission de l’analytique existentiale du Dasein en général, mais plus spécialement dans la méconnaissance du phénomène de l’affection [NA: Ce n’est point le fruit du hasard si les phénomènes de l’angoisse et de la peur, qui restent couramment confondus, ont pénétré ontiquement et aussi - quoiqu’en ses limites très étroites - ontologiquement dans le champ de la théologie chrétienne. Ce qui s’est toujours produit lorsque le problème anthropologique de l’être de l’homme pour Dieu a obtenu la primauté et que des phénomènes comme la foi, le péché, l’amour, le repentir ont guidé la problématique. Cf. la doctrine d’AUGUSTIN sur le timor castus et servilis, qui est fréquemment discutée dans ses écrits exégétiques et ses lettres. Sur la peur (crainte) en général, v. le De diversis quaestionibus [texte et trad. fr. par A. Beckaert, dans « Bibliothèque augustinienne », t. 10 (N.d.T.)], q. 33 : « de metu », q. 34 : « utrum non aliud amandum sit, quam metu carere », q. 35 : « quid amandum sit » (Migne, P.L., t. VII, 23 sq.). LUTHER a traité le problème de la peur non seulement dans le contexte traditionnel d’une interprétation de la poenitentia et de la contritio, mais aussi dans son commentaire de la Genèse, où l’analyse, évidemment moins conceptuelle qu’édifiante, n’en est pas moins impressionnante : cf. Enarrationes in Genesin, cap. 3, Éd. d’Erlangen, Exegetica opera latina, t. I, p. 177 sq. Mais c’est S. KIERKEGAARD qui a pénétré le plus loin dans l’analyse du phénomène de l’angoisse, même s’il ne l’a fait, lui aussi, que dans le cadre théologique d’une exposition « psychologique » du problème du péché originel : cf. Le concept d’angoisse, 1844, trad. allemande dans l’Éd. Diederichs des Werke, t. V.]. Toutefois, la rareté factice du phénomène de l’angoisse ne peut rien contre le fait qu’il est particulièrement approprié à assumer pour l’analytique existentiale une fonction méthodique fondamentale. Bien au contraire, cette rareté du phénomène indique que le Dasein, qui demeure le plus souvent recouvert pour lui-même en son authenticité par l’être-explicité public du On, demeure ouvrable en son sens originaire dans cette affection fondamentale. EtreTemps40

Certes, il appartient à l’essence de toute affection d’ouvrir à chaque fois l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] plein selon tous ses moments constitutifs (monde, être-à, Soi-même). Néanmoins, s’il [191] y a dans l’angoisse la possibilité d’un ouvrir privilégié, c’est parce que l’angoisse isole. Cet isolement ramène le Dasein de son échéance et lui rend l’authenticité et l’inauthenticité manifestes en tant que possibilités de son être. Ces possibilités fondamentales du Dasein qui est à chaque fois mien se montrent dans l’angoisse comme en elles-mêmes - non dissimulées par l’étant intramondain auquel le Dasein s’attache de prime abord et le plus souvent. EtreTemps40

Dans quelle mesure, avec cette interprétation existentiale de l’angoisse, un sol phénoménal a-t-il été conquis pour la résolution de la question de l’être de la totalité du tout structurel du Dasein ? EtreTemps40

Pour saisir ontologiquement la totalité du tout structurel du Dasein, nous devons d’abord poser la question suivante : le phénomène de l’angoisse, avec ce qui s’ouvre en lui, est-il capable de nous donner phénoménalement le tout du Dasein de manière suffisamment cooriginaire pour que le regard qui en cherche la totalité puisse se remplir dans cette donnée ? La réalité globale de ce que cette donnée inclut peut être enregistrée dans l’énumération formelle suivante : le s’angoisser est, en tant qu’affection, une guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] ; le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté; le en-vue-de-quoi de l’angoisse est le pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Par suite, le phénomène plein de l’angoisse manifeste le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] existant facticement. Les caractères ontologiques fondamentaux de cet étant sont l’existentialité, la facticité et l’être-échu. Ces déterminations existentiales n’appartiennent pas comme des morceaux à une totalité à laquelle l’un d’entre eux pourrait parfois faire défaut, mais en elles règne une connexion originaire qui constitue la totalité cherchée du tout structurel. Dans l’unité des déterminations d’être citées du Dasein, l’être de celui-ci devient comme tel ontologiquement saisissable. Comment cette unité elle-même doit-elle être caractérisée ? EtreTemps41

Le Dasein est un étant pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Le « aller de... » s’est clarifié dans la constitution d’être du comprendre comme être qui se projette vers le pouvoir-être le plus propre. C’est en-vue-de celui-ci que le Dasein est à chaque fois comme il est. Le Dasein, en son être, s’est à chaque fois déjà confronté avec une possibilité de lui-même. L’être-libre vers le pouvoir-être le plus propre et, du même coup, vers la possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité se manifeste dans l’angoisse en une concrétion originaire, élémentaire. Or l’être pour le pouvoir-être le plus propre veut dire ontologiquement : le Dasein est, en son être, à chaque fois déjà en avant de lui-même. Le Dasein est toujours déjà [192] « au-delà de soi », non pas en tant que comportement vis-à-vis d’un autre étant qu’il n’est pas, mais en tant qu’être pour le pouvoir-être qu’il est lui-même. Cette structure d’être du « y aller de... » essentiel, nous la saisissons comme l’être-en-avant-de-soi du Dasein. EtreTemps41

Mais cette structure concerne le tout de la constitution du Dasein. L’être-en-avant-de-soi ne signifie pas quelque chose comme une tendance isolée d’un « sujet » sans monde, elle caractérise l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Mais à celui-ci il appartient d’être remis à lui-même, d’être à chaque fois déjà jeté dans un monde. L’abandon du Dasein à lui-même se manifeste de manière originairement concrète dans l’angoisse. Saisi plus pleinement, l’être-en-avant-de-soi signifie donc : être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans-un-monde. Dès l’instant que cette structure essentiellement unitaire est phénoménalement aperçue, se clarifie également ce que notre analyse antérieure de la mondanéité [Weltlichkeit] avait dégagé, à savoir que le tout de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit] en laquelle se constitue la mondanéité [Weltlichkeit] est « fixé » en un en-vue-de. Cette solidarité du tout de renvois, des rapports multiples du pour... avec ce dont il y va pour le Dasein, son en-vue-de-quoi, n’a pas le sens d’une fusion d’un « monde » sous-la-main d’objets avec un sujet. Elle est bien plutôt l’expression phénoménale de la constitution originairement totale du Dasein, dont la totalité est désormais explicitement dégagée comme être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans... En d’autres termes : l’exister est toujours factice. L’existentialité est essentiellement déterminée par la facticité. EtreTemps41

Mais l’exister factice du Dasein, à son tour, n’est pas seulement et indifféremment un pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, mais il s’est toujours aussi déjà identifié au monde de sa préoccupation [Besorgen]. En cet être-auprès échéant s’annonce, expressément ou non, compris comme tel ou non, la fuite devant l’étrang(èr)eté qui la plupart du temps demeure recouverte avec l’angoisse latente parce que la publicité du On réprime toute non-familiarité. Dans l’être-déjà-en-avant-de-soi-dans-un-monde est essentiellement impliqué l’être échéant auprès de l’à-portée-de-la-main intramondain dans la préoccupation [Besorgen]. EtreTemps41

Sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, le Dasein ne se la procure cependant pas après coup et occasionnellement au cours de son être. Au contraire, si le Dasein existe, il est aussi et déjà jeté dans cette possibilité. Qu’il soit remis à sa mort, que celle-ci appartienne donc à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], c’est là quelque chose dont le Dasein, de prime abord et le plus souvent, n’a nul savoir exprès, ni même théorique. L’être-jeté dans la mort se dévoile à lui plus originellement et instamment dans l’affection de l’angoisse [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. L’angoisse de la mort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. Le devant-quoi de cette angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. Le pour-quoi [en-vue-de-quoi] de cette angoisse est le pouvoir-être du Dasein en tant que tel. Il est exclu de confondre l’angoisse de la mort avec une peur de décéder. Elle n’est nullement une tonalité « faible » quelconque et contingente de l’individu, mais, en tant qu’affection fondamentale du Dasein, l’ouverture révélant que le Dasein existe comme être jeté pour sa fin. Ainsi se précise le concept existential du mourir comme être jeté pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. La délimitation d’un tel mourir par rapport à une pure disparition, et aussi par rapport à un simple périr, et encore par rapport à un « vécu » du décéder, a gagné en acuité. EtreTemps50

Mais en même temps qu’il procure ce rassurement propre à repousser le Dasein loin de sa mort, le On [das Man] obtient légitimité et considération grâce à la régulation silencieuse de la manière dont on doit se comporter en général par rapport à la mort. Déjà la « pensée de la mort » vaut publiquement comme une peur lâche, un manque d’assurance du Dasein, une obscure fuite du monde. Le On interdit au courage de l’angoisse de la mort de se faire jour. Aussi bien, la souveraineté de l’être-explicité public du On a déjà décidé de l’affection à partir de laquelle la position vis-à-vis de la mort doit se déterminer. Dans l’angoisse de la mort, le Dasein est transporté devant lui-même en tant que remis à la possibilité indépassable. Or le On [das Man] prend soin d’inverser cette angoisse en une peur d’un événement qui arrive. L’angoisse rendue équivoque comme peur, de surcroît, passera pour une faiblesse qu’un Dasein sûr de lui-même ne saurait connaître. Ce qui « sied », conformément au décret tacite du On, c’est le calme indifférent face au « fait » que l’on meurt. La formation d’une telle indifférence « supérieure » aliène le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, absolu. EtreTemps51

Mais en même temps, ce dégagement de l’être quotidien [alltäglich] pour la mort nous délivre une consigne : celle de tenter, grâce à une interprétation plus pénétrante de l’être échéant pour la mort comme esquive devant elle, d’assurer le concept existential plein de l’être pour la fin. À partir d’une manifestation phénoménale satisfaisante du devant-quoi de la fuite, il doit être possible de projeter phénoménologiquement la manière dont le Dasein esquivant la mort comprend lui-même sa mort [NA: Cf., à propos de cette possibilité méthodique, ce qui a été dit de l’analyse de l’angoisse, supra, §40 [EtreTemps40], p. [184].]. EtreTemps51

La possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude. Comment le devancement ouvre-t-il ce caractère de la possibilité insigne du Dasein ? Comment le comprendre devançant se projette-t-il vers un pouvoir-être certain qui est constamment possible, mais de telle manière que le quand où devient possible la pure et simple impossibilité de l’existence demeure constamment indéterminé ? Dans le devancement vers la mort indéterminément certaine, le Dasein s’ouvre à une menace jaillissant de son Là lui-même, constante. L’être pour la fin doit se tenir en elle, et il peut si peu l’aveugler qu’il doit au contraire nécessairement configurer l’indéterminité [Bestimmtheit] de la certitude. Comment l’ouvrir natif de cette menace constante est-il existentialement possible ? Tout comprendre est affecté. La tonalité transporte le Dasein devant l’être-jeté de son « qu’il-est-Là » [NA: Cf. supra, §29 [EtreTemps29], p. [134] sq.]. Mais l’affection qui est en mesure de tenir ouverte la menace constante et pure et simple qui monte de l’être isolé le plus propre du Dasein, c’est l’angoisse [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. C’est en elle que le Dasein se trouve devant le rien [266] de la possible impossibilité de son existence. L’angoisse s’angoisse pour le pouvoir-être de l’étant ainsi déterminé, et elle ouvre ainsi la possibilité extrême. Comme le devancement isole purement et simplement le Dasein et, dans cet isolement de lui-même, le fait devenir certain de la totalité de son pouvoir-être, à cette auto-compréhension du Dasein à partir de son fond appartient l’affection fondamentale de l’angoisse. L’être pour la mort est essentiellement angoisse. L’attestation univoque, quoique « seulement » indirecte en est donnée par l’être pour la mort qu’on a caractérisé, lorsqu’il pervertît l’angoisse en peur lâche et annonce, avec le surmontement de celle-ci, la lâcheté devant l’angoisse. EtreTemps53

Qu’il soit facticement, cela peut bien être retiré en son pourquoi, mais le « Que » luimême n’est pas moins ouvert au Dasein. L’être-jeté de l’étant appartient à l’ouverture du « Là » et se dévoile constamment dans ce qui est à chaque fois son affection. Celle-ci transporte le Dasein plus ou moins expressément et authentiquement devant son « qu’il est et, en tant que l’étant qu’il est, il a à être en pouvant-être ». Toutefois, le plus souvent, la tonalité referme l’être-jeté. Le Dasein fuit devant celui-ci dans la facilité de la prétendue liberté du On-même. Cette fuite a été caractérisée comme fuite devant l’étrang(èr)eté qui détermine fondamentalement l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] en son isolement. L’étrang(èr)eté se dévoile proprement dans l’affection fondamentale de l’angoisse, et, en tant que l’ouverture la plus élémentaire du Dasein jeté, elle place son être-au-monde [In-der-Welt-sein] devant le rien du monde, rien devant lequel il s’angoisse dans l’angoisse pour le pouvoir-être le plus propre. Qu’en serait-il donc, si le Dasein tel qu’il se trouve (est affecté) au fond de son étrang(èr)eté était l’appelant de l’appel de la conscience [Gewissen] ? EtreTemps57

L’appelant n’est « mondainement » déterminable par rien en son qui. Il est le Dasein en son étrang(èr)eté, il est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] originellement jeté en tant qu’hors-de-chez-lui, il est [277] le « que » nu dans le rien du monde. L’appelant est non-familier au On-même quotidien [alltäglich] - quelque chose comme une voix étrangère. Et qu’est-ce qui pourrait être plus étranger au On, perdu qu’il est dans la diversité du « monde » de sa préoccupation [Besorgen], que le Soi-même isolé sur soi dans l’étrang(èr)eté, jeté dans le rien ? « Ça » appelle, et pourtant cela ne donne rien à entendre à l’oreille préoccupée et curieuse qui puisse après coup être répété et publiquement commenté. Et en effet, que pourrait bien relater le Dasein à partir de l’étrang(èr)eté de son être jeté ? Que lui reste-t-il d’autre que le pouvoir-être de lui-même, dévoilé dans l’angoisse ? Comment pourrait-il appeler autrement qu’en une con-vocation [Aufruf] à ce pouvoir-être dont il y va uniquement pour lui ? EtreTemps57

L’étrang(èr)eté est le mode fondamental - cependant quotidienne [alltäglich]ment recouvert - de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le Dasein appelle lui-même, en tant que conscience [Gewissen], du fond de cet être. Le « ça m’appelle » est un parler insigne du Dasein. L’appel in-toné par l’angoisse rend tout d’abord possible pour le Dasein le projet de lui-même vers son pouvoir-être le plus propre. L’appel de la conscience [Gewissen] existentialement compris atteste pour la première fois ce qui auparavant [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [189].] avait été simplement affirmé : l’étrang(èr)eté traque le Dasein et menace sa perte oublieuse d’elle-même. EtreTemps57

Quelle tonalité correspond-elle à un tel comprendre ? Le comprendre de l’appel ouvre le Dasein propre dans l’étrang(èr)eté de son isolement. L’étrang(èr)eté co-dévoilée dans le [296] comprendre est nativement ouverte par l’affection de l’angoisse, qui lui appartient. Le fait de l’angoisse de conscience [Gewissen] est une confirmation phénoménale de ce que le Dasein, dans le comprendre de l’appel, est transporté devant l’étrang(èr)eté de lui-même. Le vouloir-avoir-conscience [Gewissen] devient disponibilité à l’angoisse. EtreTemps60

L’ouverture du Dasein contenue dans le vouloir-avoir-conscience [Gewissen] est donc constituée par l’affection de l’angoisse, par le comprendre comme se-projeter vers l’être-en-dette le plus propre et par le parler comme ré-ticence. Cette ouverture authentique insigne, attestée dans le [297] Dasein lui-même par sa conscience [Gewissen] - le se-projeter réticent et prêt à l’angoisse vers l’être-en-dette le plus propre - nous l’appelons la résolution. EtreTemps60

Avec l’élaboration de la résolution comme un se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette le plus propre, notre recherche est devenue capable de délimiter le sens ontologique de ce pouvoir-être-tout authentique du Dasein dont elle était en quête. Désormais, l’authenticité du Dasein n’est ni un titre vide, ni une idée fictive. Néanmoins, l’être pour la mort authentique que nous avons existentialement déduit en le manifestant comme pouvoir-être-tout authentique demeure encore un projet purement existential, auquel l’attestation propre du Dasein fait défaut. C’est seulement si celle-ci est trouvée que la recherche peut satisfaire à la tâche exigée par sa problématique, d’une mise en lumière d’un pouvoir-être-tout du Dasein existentialement confirmé et clarifié ; comme c’est seulement si cet étant est devenu phénoménalement accessible en son authenticité et totalité que la question du sens de l’être de cet étant à l’existence duquel appartient la compréhension de l’être en général aura atteint un sol ferme. EtreTemps60

La résolution a été caractérisée comme un se-projeter ré-ticent et prêt à l’angoisse vers l’être-en-dette le plus propre. Celui-ci appartient à l’être du Dasein et signifie : être-fondement nul d’une nullité [Nichtigkeit]. Le « en-dette » qui appartient à l’être du Dasein ne tolère ni accroissement ni diminution. Il est antérieur à toute quantification, si tant est que celle-ci ait un sens. De même, le Dasein, étant essentiellement en-dette, ne l’est pas de temps en temps, pour ensuite ne l’être à nouveau plus. Le vouloir-avoir-conscience [Gewissen] se décide pour cet être-en-dette. Le sens propre de la résolution implique de se projeter vers cet être-en-dette comme lequel le Dasein est aussi longtemps qu’il est. Par suite, l’assomption existentielle de cette « dette » dans la résolution n’est authentiquement accomplie que lorsque la résolution, dans son ouvrir du Dasein, s’est rendue assez translucide pour comprendre l’être-en-dette comme constant. Mais cette compréhension ne devient possible que pour autant que le Dasein s’ouvre le pouvoir-être « jusqu’à sa fin ». Toutefois, l’être-à-la-fin du Dasein signifie existentialement : être pour la fin. La résolution devient authentiquement ce qu’elle peut être en tant qu’être compréhensif pour la fin, c’est-à-dire que devancement dans la mort. La résolution n’« a » pas simplement du rapport avec le devancement comme avec un autre d’elle-même. EtreTemps62

Mais le Dasein est cooriginairement dans la non-vérité. La résolution devançante lui nomme en même temps la certitude originaire de sa fermeture. Résolu en devançant, le Dasein se tient ouvert pour la perte constante, possible sur la base de son propre être, dans l’ir-résolution du On. L’ir-résolution est co-certaine en tant que possibilité constante du Dasein. La résolution translucide à elle-même comprend que l’indéterminité [Bestimmtheit] du pouvoir-être ne se détermine jamais que dans la décision pour ce qui est situation. Elle sait l’indéterminité [Bestimmtheit] qui régit un étant qui existe. Mais ce savoir, s’il veut correspondre à la résolution authentique doit lui-même jaillir d’un décider authentique. Or l’indétermination du pouvoir-être propre - bien que devenu à chaque fois certain dans la décision - ne se manifeste totalement que dans l’être pour la mort. Le devancement transporte le Dasein devant une possibilité qui est constamment certaine et qui pourtant demeure à tout instant indéterminée quant au moment où la possibilité devient impossibilité. Elle manifeste que cet étant est jeté dans l’indétermination de sa « situation-limite », en se résolvant à laquelle le Dasein conquiert son pouvoir-être-tout authentique. L’indétermination de la mort s’ouvre originairement dans l’angoisse. Mais cette angoisse originaire aspire à s’intimer la résolution. Elle débarrasse tout recouvrement de l’abandon du Dasein à lui-même. Le rien devant lequel l’angoisse transporte dévoile la nullité [Nichtigkeit] qui détermine le Dasein en son fondement, lequel est lui-même en tant qu’être-jeté dans la mort. EtreTemps62

La résolution devançante n’est nullement un expédient, forgé pour « surmonter » la mort, elle est ce comprendre - consécutif à l’appel de la conscience [Gewissen] - qui libère pour la mort la possibilité de s’emparer de l’existence et de dissiper radicalement tout auto-recouvrement fugace. Le vouloir-avoir-conscience [Gewissen] déterminé comme être pour la mort ne signifie pas davantage une sécession qui fuirait le monde, mais il transporte, sans illusions, dans la résolution de l’« agir ». La résolution devançante, enfin, ne provient pas non plus d’un « idéalisme » qui survolerait l’existence et ses possibilités, mais elle jaillit de la compréhension dégrisée de possibilités fondamentales factices du Dasein. Avec l’angoisse dégrisée qui transporte devant le pouvoir-être isolé, s’accorde la joie vigoureuse de cette possibilité. En elle, le Dasein devient libre des « contingences » de cette assistance que la curiosité affairée demande avant tout aux événements du monde de lui procurer. Néanmoins, l’analyse de ces tonalités fondamentales excède les limites que son but fondamental-ontologique trace à la présente interprétation. EtreTemps62

Le Dasein est authentiquement lui-même dans l’isolement originaire de cette résolution ré-ticente qui s’intime à elle-même l’angoisse. En tant qu’il fait-silence, l’être-Soi-même [323] authentique ne dit justement pas « Je-Je », mais il « est » dans la ré-ticence cet étant jeté comme lequel il peut être authentiquement. Le Soi-même que dévoile la réticence de l’existence résolue est le sol phénoménal originaire pour la question de l’être du « Je ». Seule l’orientation phénoménale sur le sens d’être du pouvoir-être-Soi-même authentique met la méditation en mesure d’élucider quel droit ontologique peuvent revendiquer la substantialité, la simplicité et la personnalité en tant que caractères de l’ipséité. La question ontologique de l’être du Soi-même doit être arrachée à la pré-acquisition - constamment favorisée par le dire-Je prédominant - d’une chose-Soi en permanence sous-la-main. EtreTemps64

Nous l’avions souligné : les tonalités sont certes ontiquement bien connues, mais elles ne sont pas pour autant connues dans leur fonction existentiale originaire. Elles passent pour des vécus fugitifs qui « colorent » le tout des « états psychiques ». Mais ce qui, aux yeux d’une observation, présente le caractère de l’apparaître et du disparaître passager appartient en réalité à la constance originaire de l’existence. Certes, dira-t-on, mais qu’est-ce que des tonalités peuvent avoir à faire avec le « temps » ? Que ces « vécus » surgissent et s’en aillent, qu’ils se déroulent « dans le temps », c’est là une constatation triviale, assurément, et même ontico-psychologique. La tâche est pourtant de mettre en lumière la structure ontologique de l’être-intoné dans sa constitution temporalo-existentiale, ce qui, de prime abord, ne peut revenir qu’à rendre pour une fois en général visible la temporalité de la tonalité. La thèse : « l’affection se fonde primairement dans l’être-été » signifie : le caractère existential fondamental de la tonalité est un re-porter vers... Celui-ci ne produit pas tout d’abord l’être-été, mais c’est l’affection qui, à chaque fois, manifeste à l’analyse existentiale un mode de l’être-été. Par suite, l’interprétation temporelle de l’affection ne peut avoir pour intention de déduire les tonalités de la temporalité et de les dissoudre en purs phénomènes de temporalisation. Ce qui s’impose tout simplement, c’est de mettre en évidence que les [341] tonalités, envisagées en ce qu’elles « signifient » - et comment elles le « signifient » - existentiellement, ne sont pas possibles sinon sur la base de la temporalité. Notre interprétation temporelle se limitera ici aux phénomènes, déjà analysés de manière préparatoire, de la peur et de l’angoisse. EtreTemps68

Mais comment la temporalité de l’angoisse se rapporte-t-elle à celle de la peur ? Nous avons appelé l’angoisse une affection fondamentale [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. Elle transporte le Dasein devant son être-jeté le plus propre et dévoile l’étrang(èr)eté de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] quotidienne [alltäglich]ment familiarisé. Cela dit, l’angoisse est formellement déterminée, tout comme la peur, par un devant-quoi du s’angoisser et par un pour-quoi. Néanmoins, l’analyse a montré que ces deux [343] phénomènes coïncident dans l’angoisse. Ce qui ne doit pas signifier que les caractères structurels du devant-quoi et du pour-quoi seraient confondus, comme si l’angoisse ne s’angoissait ni devant..., ni pour... Que le devant-quoi et le pour-quoi coïncident, cela veut dire que l’étant qui les remplit est le même, à savoir le Dasein. En particulier, le devant-quoi de l’angoisse ne fait pas encontre comme un sujet déterminé de préoccupation [Besorgen], la menace ne vient pas de l’étant à-portée-de-la-main et sous-la-main, mais bien plutôt justement de ce que tout étant à-portée-de- et sous-la-main ne nous « dit » absolument plus rien. Avec l’étant du monde ambiant, il ne retourne plus de rien. Le monde où j’existe a sombré dans la non-significativité [Bedeutsamkeit], et le monde ainsi ouvert ne peut libérer de l’étant que sous la figure de la non-tournure [Bewandtnis]. Le rien du monde, devant lequel l’angoisse s’angoisse, ne signifie pas que soit expérimentée dans l’angoisse (par exemple) une absence du sous-la-main intramondain. Celui-ci, au contraire, doit justement faire encontre [begegnen] pour qu’il ne puisse même pas retourner de... avec lui et qu’il puisse se montrer dans un vide impitoyable. Or cela implique que le s’attendre préoccupé ne trouve rien à partir de quoi il pourrait se comprendre, qu’il mord sur le rien du monde ; toutefois, le comprendre, butant sur le monde, est transporté par l’angoisse vers l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme tel, ce devant-quoi de l’angoisse étant cependant en même temps son pour-quoi. Le s’angoisser devant... n’a ni le caractère d’une attente ni en général celui d’un s’attendre à... Le devant-quoi de l’angoisse est bel et bien déjà « là », étant le Dasein lui-même. Mais alors, l’angoisse n’est-elle pas constituée par un avenir ? Assurément, mais non pas par l’avenir inauthentique du s’attendre à... EtreTemps68

L’in-signifiance du monde ouverte dans l’angoisse dévoile la nullité [Nichtigkeit] de l’étant de la préoccupation [Besorgen], c’est-à-dire l’impossibilité de se projeter vers un pouvoir-être de l’existence qui serait primairement fondé en lui. Mais le dévoilement de cette impossibilité laisse en même temps luire la possibilité d’un pouvoir-être authentique. Or quel sens temporel ce dévoilement a-t-il ? L’angoisse s’angoisse pour le Dasein nu, en tant que jeté dans l’étrang(èr)eté. Elle reporte au pur « que » de l’être-jeté isolé le plus propre. Ce re-port ne présente pas le caractère d’un oubli qui esquive, mais pas non plus celui d’un souvenir. D’autre part, l’angoisse inclut tout aussi peu déjà une assomption répétitrice de l’existence dans la décision. En revanche, l’angoisse re-porte à l’être-jeté comme être-jeté répétable possible. Et de ce fait, elle dévoile conjointement la possibilité d’un pouvoir-être authentique qui, dans la répétition, doit revenir en tant qu’ad-venant vers le Là jeté. Transporter devant la répétabilité, telle est la modalité ekstatique spécifique de l’être-été qui constitue l’affection de l’angoisse. EtreTemps68

L’oubli constitutif de la peur égare, et il laisse le Dasein aller et venir entre des [344] possibilités « mondaines » non saisies. À l’opposé de ce présentifier sans retenue, le présent de l’angoisse est tenu dans le se-re-porter vers l’être-jeté le plus propre. L’angoisse, selon son sens existential, ne peut pas se perdre dans un étant offert à la préoccupation [Besorgen]. Que quelque chose de tel se produise dans une affection semblable à elle, et alors c’est la peur, que l’entendement quotidien [alltäglich] confond avec l’angoisse. Mais quoique le présent de l’angoisse soit tenu, il n’a pourtant pas encore le caractère de l’instant qui se temporalise dans la décision. L’angoisse transporte seulement dans la tonalité d’une décision possible. Son présent tient en suspens cet instant comme lequel elle-même - et elle seulement - est possible. EtreTemps68

De la temporalité spécifique de l’angoisse, qui se fonde donc originairement dans l’être-été de telle sorte que son avenir et son présent ne se temporalisent qu’à partir de lui, se dégage la possibilité de la puissance caractéristique de la tonalité de l’angoisse. En elle, le Dasein est complètement repris en son étrang(èr)eté nue, et pris par celle-ci. Néanmoins, cette captation ne re-prend pas seulement le Dasein aux possibilités « mondaines », mais elle lui donne en même temps la possibilité d’un pouvoir-être authentique. EtreTemps68

Cependant, l’une et l’autre tonalités, la peur et l’angoisse, ne « surviennent » jamais isolément dans un « courant de vécus », mais elles in-tonent, et ainsi déterminent, à chaque fois un comprendre - ou se déterminent à partir de lui. La peur a son occasion dans l’étant offert dans le monde ambiant à la préoccupation [Besorgen]. L’angoisse, au contraire, jaillit du Dasein même. La peur assaille à partir de l’intramondain. L’angoisse s’élève à partir de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme être pour la mort jeté. Comprise temporellement, cette « montée » de l’angoisse signifie ceci : l’avenir et le présent de l’angoisse se temporalisent à partir d’un être-été originaire au sens du re-porter vers la répétabilité. Mais à proprement parler, l’angoisse ne peut monter que dans un Dasein résolu. Celui qui est résolu ne connaît aucune peur, mais il comprend justement la possibilité de l’angoisse comme de cette tonalité qui ne l’inhibe ni ne l’égare. Elle libère de possibilités « nulles » et laisse devenir libre pour des possibilités authentiques. EtreTemps68

Mais cette thèse de la temporalité des tonalités, demandera-t-on, ne vaut-elle pas peut-être seulement des phénomènes que nous avons choisi d’analyser ? Comment, dans l’a-tonie blafarde qui règne dans la « grisaille quotidienne [alltäglich] », pourrait-on découvrir un sens temporel ? Et qu’en est-il de la temporalité de tonalités et d’affects comme l’espoir, la joie, l’enthousiasme, la sérénité radieuse ? Que non seulement la peur et l’angoisse, mais encore d’autres tonalités se fondent existentialement dans un être-été, c’est ce qui apparaît si l’on évoque simplement des phénomènes comme le dégoût, la tristesse, la mélancolie, le désespoir. Leur interprétation, du reste, doit être située sur la base élargie d’une analytique existentiale élaborée du Dasein. Cependant, même un phénomène comme l’espoir, qui semble être entièrement fondé dans l’avenir, doit être analysé de manière analogue à la peur. On a pu caractériser l’espoir, à la différence de la peur, qui se rapporte à un malum futurum, comme l’attente d’un bonum futurum. Cependant, ce qui est décisif pour la structure du phénomène, ce n’est pas tant le caractère « avenant » de ce à quoi l’espoir se rapporte que bien plutôt le sens existential de l’espérer lui-même. Ici aussi, son caractère de tonalité réside en ce qu’il est espérer-pour-soi. Celui qui espère s’emporte pour ainsi dire lui-même dans l’espoir, il se confronte à ce qu’il espère. Or cela suppose qu’il se soit gagné. Que l’espoir, par opposition à l’anxiété oppressante, soulage, cela indique simplement que cette affection demeure elle aussi rapportée à la charge sur le mode de l’être-été. Une tonalité exaltée, ou mieux exaltante, n’est possible ontologiquement qu’en un rapport temporalo-ekstatique du Dasein au fondement jeté de lui-même. EtreTemps68

La résolution a été déterminée comme le se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette propre [NA: Cf. supra, §60 [EtreTemps60], p. [295] sq.]. Elle conquiert son authenticité en tant que résolution devançante [NA: Cf. supra, §62 [EtreTemps62], p. [305]]. Dans celle-ci, le Dasein se comprend de telle sorte quant à son pouvoir-être qu’il comparait devant la mort, afin d’assumer ainsi totalement l’étant qu’il est lui-même en son être-jeté. L’assomption résolue du « Là » propre factice signifie en même temps la décision pour la situation. Ce pour quoi le Dasein se décide à chaque fois facticement, l’analyse existentiale [383] est fondamentalement incapable de l’élucider, aussi bien la présente recherche n’exclut-elle pas moins de son champ le projet existential de possibilités factices de l’existence. Néanmoins, nous devons nous demander d’où en général peuvent être puisées les possibilités vers lesquelles le Dasein se projette facticement. Le se-projeter devançant vers la possibilité indépassable de l’existence, la mort, garantit seulement la totalité et l’authenticité de la résolution. Cependant, les possibilités facticement ouvertes de l’existence ne sauraient être empruntées à la mort, et cela d’autant moins que le devancement vers la possibilité ne signifie point une spéculation sur celle-ci, mais justement un retour vers le Là factice. Serait-ce alors que l’assomption de l’être-jeté du Soi-même dans son monde ouvrirait un horizon auquel l’existence arrache ses possibilités factices ? Et n’avons-nous pas dit, de surcroît, que le Dasein ne pouvait revenir en deçà de son être-jeté ? [Cf. supra, p. [284]] Mais avant de décider précipitamment si le Dasein puise ou non ses possibilités authentiques d’existence dans l’être-jeté, nous devons nous assurer du concept plein de cette déterminité [Bestimmtheit] fondamentale du souci. EtreTemps74

Le destin : la sur-puissance im-puissante, prête à l’obstacle, du se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette propre - requiert comme sa condition ontologique de possibilité la constitution d’être du souci, c’est-à-dire la temporalité. C’est seulement si, dans l’être d’un étant, la mort, la dette, la conscience [Gewissen], la liberté et la finitude [Endlichkeit] co-habitent aussi co-originairement qu’elles le font dans le souci, que cet étant peut exister selon le mode du destin, c’est-à-dire être historial dans le fond de son existence. EtreTemps74

La résolution constitue la fidélité de l’exigence envers le Soi-même propre. En tant que résolution prête à l’angoisse, la fidélité est en même temps possible respect de l’unique autorité que puisse avoir un libre exister, c’est-à-dire des possibilités répétables de l’existence. Ce serait mécomprendre ontologiquement la résolution que d’imaginer qu’elle n’est effective en tant que « vécu » qu’aussi longtemps que « dure » l’« acte » de décision. Dans la résolution est contenue la stabilité existentielle qui, par essence, a déjà anticipé tout instant possible né d’elle. La résolution comme destin est la liberté pour le sacrifice, tel qu’il peut être exigé par la situation, d’une décision déterminée. Par-là, la continuité de l’existence n’est point interrompue, mais au contraire justement avérée dans l’instant. La continuité ne se forme pas d’abord par et à partir de l’ajointement d’« instants », mais ceux-ci naissent au contraire de la temporalité déjà é-tendue de la répétition en tant qu’étant-été de façon avenante. EtreTemps75

Dans cette détermination « critique » de la certitude de la mort et de sa pré-cédence se manifeste d’abord de nouveau la méconnaissance - caractéristique de la quotidienneté [Alltäglichkeit] - du mode d’être du Dasein et de l’être pour la mort qui lui appartient. Que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit « qu’ » empiriquement certain, cela ne décide rien sur la certitude de la mort. Il est possible que les cas de mort soient pour le Dasein une occasion factice de se rendre d’abord en général attentif à la mort. Cependant, tant qu’il demeure dans la certitude empirique qu’on a caractérisée, le Dasein est absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Bien que le Dasein, dans la publicité du On, ne « parle » apparemment que de cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa mort, même l’être quotidien [alltäglich] pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que lui-[258] même, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté [Alltäglichkeit], qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne [alltäglich] plus haut caractérisée, à savoir la supériorité « anxieusement » préoccupée, apparemment sans angoisse vis-à-vis du « fait » certain de la mort, la quotidienneté [Alltäglichkeit] concède une certitude « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté [Alltäglichkeit] échéante du Dasein connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine. EtreTemps52

Bien que ces deux modes de l’affection, peur et angoisse, se fondent primairement dans un être-été, leur origine respective, considérée par rapport à leur temporalisation à chaque fois propre au sein de la totalité du souci, est différente. L’angoisse naît de l’avenir de la [345] résolution, la peur naît du présent perdu, dont la peur prend timidement peur pour y succomber d’autant plus décidément. EtreTemps68


Cet advenir est possible ; il n’est réel aussi — bien qu’assez rarement — que par instants, dans la disposition fondamentale de l’angoisse. Par cette angoisse, nous n’entendons pas l’anxiété assez fréquente venant, au fond, d’une complexion craintive qui n’est que trop prête à se manifester. L’angoisse diffère fondamentalement de la crainte. C’est toujours devant tel ou tel étant déterminé qui, sous tel ou tel aspect déterminé, nous menace, que nous éprouvons de la crainte. La crainte devant… craint à chaque fois aussi pour quelque chose de déterminé. Parce que le propre de la crainte est ce caractère limité de son devant-quoi et de son pour-quoi, celui qui craint, le craintif, est retenu par ce qui l’affecte. Dans l’effort pour se préserver là devant — devant ce quelque chose de déterminé — il perd toute assurance par rapport à autre chose ; en somme il "perd la tête". QQMETA: L’élaboration de la question

L’angoisse ne donne plus lieu à un tel désarroi. Bien plutôt, elle répand un calme singulier. Sans doute l’angoisse est-elle toujours angoisse devant…, mais non devant ceci ou cela. L’angoisse devant… est toujours angoisse pour…, mais non pour ceci ou cela. Le caractère indéterminé de ce devant quoi et pour quoi nous nous angoissons n’est pas toutefois un simple manque de détermination, mais bien l’impossibilité essentiale de recevoir une détermination quelconque. Elle se fait jour dans une interprétation connue. QQMETA: L’élaboration de la question

La seule réponse d’abord essentielle pour notre projet est acquise déjà, lorsque nous prenons garde à ceci que la question portant sur le rien reste réellement posée. Il nous faut, à cet effet, de nouveau accomplir le passage de l’homme à son être "là" que toute angoisse fait advenir en nous, afin de nous assurer du rien qui s’y déclare, en la manière selon laquelle il se déclare. D’où découle aussitôt l’exigence d’écarter expressément les caractérisations du rien qui ne seraient pas issues de l’épreuve en quoi il nous aborde. QQMETA: La réponse à la question

C’est maintenant seulement que doit enfin s’introduire une réflexion trop longtemps différée. Si l’être-là ne peut se rapporter à de l’étant, et ainsi exister, qu’en se tenant instant dans le rien, et si le rien originellement ne devient manifeste que dans l’angoisse, ne nous faut-il pas, dès lors, être constamment en suspens dans cette angoisse, pour pouvoir simplement exister ? Mais n’avons-nous pas nous-mêmes reconnu que cette angoisse originelle est rare ? Avant toute chose nous tous existons bien pourtant et nous rapportons à de l’étant, celui que nous ne sommes pas et celui que nous sommes nous-mêmes — sans cette angoisse. Celle-ci n’est-elle pas une invention arbitraire et le rien qu’on lui attribue une exagération ? QQMETA: La réponse à la question

Pourtant, que veulent dire ces mots : cette angoisse originelle n’advient qu’en de rares instants ? Rien d’autre que ceci : le rien nous est d’abord et le plus souvent masqué en ce qu’il a d’originel. Mais comment l’est-il donc ? Du fait qu’en un mode déterminé nous sommes totalement répandus dans l’étant. Plus nous nous tournons vers l’étant dans nos activités fébriles, moins nous le laissons dériver comme tel, et plus nous nous détournons du rien. Mais d’autant plus sûrement nous nous pressons nous-mêmes à la surface publique de l’être-là. QQMETA: La réponse à la question

Ces possibilités du comportement néantissant — forces en lesquelles l’être-là porte son destin d’être jeté, sans pourtant s’en rendre maître — ne sont pas des espèces du nier simple. Mais cela n’empêche qu’elles s’expriment dans le non et dans la négation. En cela se trahit certes d’autant le vide et l’étendue de la négation. L’imprégnation de l’être-là par le comportement néantissant atteste la manifestation constante et sans doute obscurcie du rien, que seule l’angoisse originellement dévoile. D’où vient que cette angoisse originelle est le plus souvent réprimée dans l’être-là. L’angoisse est là. Elle sommeille seulement. Son souffle constamment tressaille à travers l’être-là. Au plus faible, à travers l’être-là "anxieux", et imperceptible pour les "oui, oui", et les "non, non" de l’affairé ; au plus proche à travers l’être-là rendu maître de soi ; au plus sûr, à travers celui qui se risque quant au fond. Mais cela n’advient qu’à partir de ce en vue de quoi il se prodigue, pour ainsi préserver l’ultime grandeur de l’être-là. QQMETA: La réponse à la question


Submitted on 16.08.2021 22:56
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