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outil

Definition:
Zeug [SZ]
instrumento [SZ]
useful thing [BT]

Les Grecs avaient, pour parler des « choses », un terme approprié pragmata, c’est-à-dire ce à quoi l’on a affaire dans l’usage de la préoccupation [Besorgen] (praxis). Cependant, ils laissèrent justement dans l’obscurité le caractère ontologique spécifiquement « pragmatique » des pragmata et déterminèrent « d’abord » ceux-ci comme « simples choses ». L’étant qui fait encontre dans la préoccupation [Besorgen], nous l’appelons l’outil [Zeug]. Ce que l’on trouve dans l’usage, ce sont des outils pour écrire, pour coudre, pour effectuer un travail manuel, pour se déplacer, pour mesurer. Le mode d’être de l’outil [Zeug] doit être dégagé. Ce que nous ferons en prenant pour fil conducteur une délimitation préalable de ce qui fait d’un outil [Zeug] un outil [Zeug], l’ustensilité. EtreTemps15

Un outil [Zeug], en toute rigueur cela n’existe pas. À l’être de l’outil [Zeug] appartient toujours un complexe d’outils au sein duquel il peut être cet outil [Zeug] qu’il est. L’outil [Zeug] est essentiellement « quelque chose pour... ». Les diverses guises du « pour... » comme le service, l’utilité, l’employabilité ou la maniabilité constituent une totalité d’outils. Dans la structure du « pour... » est contenu un renvoi de quelque chose à quelque chose. Le phénomène indiqué par ce terme ne pourra être manifesté en sa genèse ontologique qu’au cours des analyses qui suivent. Provisoirement, il convient de porter phénoménalement sous le regard une multiplicité de renvois. L’outil [Zeug], conformément à son ustensilité, est toujours par son appartenance à un autre outil [Zeug] : l’écritoire, la plume, l’encre, le papier, le sous-main, la table, la lampe, les meubles, les fenêtres, les portes, la chambre. Ces « choses » ne commencent pas par se montrer pour elles-mêmes, pour constituer ensuite une somme de réalité propre à remplir une chambre. Ce qui fait de prime abord encontre, sans être saisi thématiquement, c’est la chambre, et encore celle-ci n’est-elle pas non plus l’« intervalle de quatre murs » dans un sens spatial géométrique - mais un outil [Zeug] d’habitation. C’est à partir de lui que se montre [69] l’« aménagement », et c’est en celui-ci qu’apparaît à chaque fois tel outil [Zeug] « singulier ». Avant tel ou tel outil [Zeug], une totalité d’outils est à chaque fois déjà découverte. EtreTemps15

L’usage spécifique de l’outil [Zeug], où celui-ci seulement peut se manifester authentiquement en son être, par exemple le fait de marteler avec le marteau, ne saisit point thématiquement cet étant comme chose survenante, pas plus que l’utilisation même n’a connaissance de la structure d’outil [Zeug] en tant que telle. Le martèlement n’a pas simplement en plus un savoir du caractère d’outil [Zeug] du marteau, mais il s’est approprié cet outil [Zeug] aussi adéquatement qu’il est possible. En un tel usage qui se sert de..., la préoccupation [Besorgen] se soumet au pour... constitutif de ce qui est à chaque fois outil [Zeug] ; moins la chose-marteau est simplement « regardée », plus elle est utilisée efficacement et plus originel est le rapport à elle, plus manifestement elle fait encontre comme ce qu’elle est - comme outil [Zeug]. C’est le marteler lui-même qui découvre le « tournemain » spécifique du marteau. Le mode d’être de l’outil [Zeug], où il se révèle à partir de lui-même, nous l’appelons l’être-à-portée-de-main. C’est seulement parce que l’outil [Zeug] a cet « être-en-soi », au lieu de se borner à survenir, qu’il est maniable au sens le plus large et disponible. Aussi aigu soit-il, l’avisement-sans-plus (NT: Cf. nos N.d.T. aux p. [57] et [61]. Littéralement : le fait de ne plus rien faire d’autre qu’aviser la chose, donc le pur et simple regard, « sans plus », sur elle.) de tel ou tel « aspect » des choses est incapable de découvrir de l’étant à-portée-de-la-main. Le regard qui n’avise les choses que « théoriquement » est privé de la compréhension de l’être-à-portée-de-main. Cependant, l’usage qui se sert de..., qui manie n’est pas pour autant aveugle, il possède son mode propre de vision qui guide le maniement et procure [à l’outil [Zeug]] sa choséité [Dinglichkeit] spécifique. L’usage de l’outil [Zeug] se soumet à la multiplicité de renvois du « pour... » La vue propre à cet ajointement est la circon-spection [NT: BW traduisaient par prévoyance. Plus « étymologique », notre traduction ne se prétend pas meilleure. Car l’idée est moins celle de tourner précautionneusement ses regards autour de soi (cf. la circonspection au sens moral, ou surtout Descartes, Principia, I, XIII, AT VIII-1, p. 9, l. 13-15 : « mens undiquaque circumspicit ut cognitionem suam ulterius extendat ») que d’avoir toujours déjà « des yeux » pour le monde ambiant. En outre, ce « pour » est plus essentiel encore que le « autour », et c’est bien pourquoi Heidegger, à la phrase précédente, a annoncé le mot Umsicht par la notion de pour... (Um-zu). On pourrait donc évoquer ici encore notre verbe « pourvoir », comme nous l’avions fait plus haut (n. à la p. [57]) à propos de l’expression Besorgen, préoccupation [Besorgen]. Bref, c’est simplement l’idée d’une « multiplicité de renvois » qui nous à paru recommander, mais non pas imposer, le terme de circon-spection, tandis que celle de prévoyance est déjà contenue dans le concept de « préoccupation [Besorgen] ».]. EtreTemps15

Les modes de l’imposition, de l’insistance et de la saturation ont pour fonction de porter au paraître dans l’étant à-portée-de-la-main le caractère de l’être-sous-la-main. Cependant, l’à-portée-de-la-main n’est pas alors encore simplement considéré et fixé comme du sous-la-main, l’être-sous-la-main qui s’annonce demeure lié à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil [Zeug]. Celui-ci ne se voile pas encore en simples choses. L’outil [Zeug] devient seulement « une chose qu’on a laissée traîner » [NT: Il faudrait traduire carrément par « un machin », puisque tel est dans un allemand plus familier l’autre sens du mot Zeug, outil [Zeug]. « Was machen sie mit diesen alten Zeugen ? », « Que cherchez-vous à tirer de ces vieilles choses ? » aurait dit Husserl à Heidegger, parlant... de ses propres Recherches logiques.] et qu’il faudrait écarter du chemin ; ce besoin d’éloignement manifeste cependant que l’étant à-portée-de-la-main est demeuré tel en dépit de son être-sous-la-main irréductible. EtreTemps16

La structure de l’être de l’étant à-portée-de-la-main comme outil [Zeug] est déterminée par les renvois. L’« en-soi » spécifique et évident des « choses » les plus proches fait encontre dans la préoccupation [Besorgen] qui se sert d’elles - sans y prendre garde expressément - et qui donc peut se heurter à de l’inutilisable. Un outil [Zeug] est inemployable, cela implique que le renvoi concret d’un pour... à une destination est perturbé. Les renvois eux-mêmes ne sont pas considérés proprement, ils sont « là » dans la soumission préoccupée à eux. Mais dans la perturbation du renvoi - dans l’inemployabilité pour... - le renvoi devient exprès. Non pas encore, certes, en tant que structure ontologique, mais ontiquement pour la circon-spection qui se heurte à la détérioration de l’instrument. Avec ce réveil circon-spect du renvoi à ce qui est chaque fois le [75] « pour-cela », celui-ci même et, avec lui, le complexe d’ouvrage, tout l’« atelier » en tant que lieu où la préoccupation [Besorgen] se tient toujours déjà, deviennent visibles. Le complexe d’outils luit, non pas comme quelque chose qui n’aurait pas encore été vu, mais comme le tout constamment et d’emblée pris en vue dans la circon-spection. Or, avec une telle totalité, c’est le monde qui s’annonce. EtreTemps16

Reprenons donc un nouveau départ dans l’être de l’à-portée-de-la-main, avec l’intention, désormais, de saisir de manière plus aiguë le phénomène du renvoi lui-même. Pour y parvenir, tentons une analyse ontologique d’un outil [Zeug] où se rencontrent à divers titres des « renvois ». Un « outil [Zeug] » de cette sorte, nous le trouvons dans les signes. Ce mot sert à désigner des choses diverses : non seulement différentes espèces de signes, mais encore l’être-signe pour..., [lequel] peut lui-même être formalisé en un mode universel de relation, de telle sorte que la structure de signe fournit elle-même un fil conducteur ontologique pour une « caractérisation » de tout étant en général. EtreTemps17

L’exemple de signe que nous choisirons devra également manifester sa valeur exemplaire à un autre point de vue au cours d’une analyse ultérieure. Récemment, les voitures ont été équipées d’une flèche rouge mobile dont la position montre à chaque fois, à un carrefour par exemple, quelle direction la voiture va prendre. La position de cette flèche est réglée par le chauffeur. Ce signe est un outil [Zeug], qui n’est pas seulement à-portée-de-la-main dans la préoccupation [Besorgen] (conduite) du chauffeur. Même ceux - surtout ceux - qui ne font pas route avec lui se servent de cet outil [Zeug], en s’écartant d’après la direction indiquée ou en s’arrêtant. Ce signe est à-portée-de-la-main de manière intramondaine au sein du complexe total d’outils des moyens de locomotion et des règlements de circulation. En tant qu’outil [Zeug], cet outil [Zeug] de monstration est constitué par le renvoi. Il a le caractère du pour..., il a son utilité déterminée, il est là pour montrer. Ce montrer du signe peut être saisi comme « renvoyer ». Toutefois, il faut y prendre garde, ce « renvoyer » comme montrer n’est pas la structure ontologique du signe comme outil [Zeug]. EtreTemps17

Le « renvoyer » comme montrer se fonde bien plutôt dans la structure d’être de l’outil [Zeug], dans son utilité pour... Celle-ci ne fait pas encore d’un étant un signe. L’outil [Zeug] « marteau » est constitué lui aussi par une utilité, mais il ne devient pas pour autant un signe. Le « renvoi » d’ordre monstratif est la concrétion ontique du pour... d’une utilité et destine un outil [Zeug] à celui-ci. Le renvoi « utilité pour... », au contraire, est une déterminité [Bestimmtheit] ontologico-catégoriale de l’outil [Zeug] comme outil [Zeug]. Que le pour-quoi de l’utilité trouve dans le montrer sa concrétion, cela est accidentel à la constitution d’outil [Zeug] en tant que telle. Grâce à cet exemple du signe, se manifeste déjà de manière grossière la différence séparant le renvoi comme utilité et le renvoi comme montrer. L’un et l’autre coïncident si peu que c’est seulement dans leur unité qu’ils rendent possible la concrétion d’une espèce déterminée d’outil [Zeug]. Mais aussi sûrement le [79] montrer est radicalement différent du renvoyer comme constitution d’outil [Zeug], aussi incontestablement le signe a derechef un rapport spécifique, et même insigne, au mode d’être du complexe d’outils à chaque fois à-portée-de-la-main dans le monde ambiant et à la mondialité [Weltmässigkeit] qui lui est propre. L’outil [Zeug] de monstration a dans l’usage préoccupé un emploi privilégié. Néanmoins, il ne saurait suffire, au point de vue ontologique, de constater simplement ce fait. Le fondement, le sens de ce privilège doivent être éclaircis. EtreTemps17

Des signes comme celui qu’on a décrit laissent de l’à-portée-de-la-main faire encontre [begegnen], plus précisément ils rendent un complexe d’étant à-portée-de-la-main accessible de telle [80] manière que l’usage préoccupé se donne et s’assure une orientation. Le signe n’est pas une chose qui se tiendrait avec une autre chose en relation monstrative, c’est un outil [Zeug] qui rend un complexe d’outils expressément manifeste pour la circon-spection, de telle manière que s’annonce du même coup la mondialité [Weltmässigkeit] de l’à-portée-de-la-main. Dans l’indication ou dans le signe précurseur, « ce qui vient » « se montre », mais non pas au sens d’un étant seulement survenant qui ad-viendrait à ce qui est déjà sous-la-main ; ce « qui vient » est quelque chose à quoi nous nous préparons, ou « à quoi nous ne nous attendions pas », « qui nous prend au dépourvu » parce que nous nous consacrions à autre chose. De même, dans le signe rétrospectif, devient accessible à la circon-spection ce qui s’est accompli et joué. Quant à l’insigne, il montre ce « à quoi » l’on a à chaque fois affaire. Les signes montrent toujours primairement ce « dans quoi » l’on vit, ce auprès de quoi la préoccupation [Besorgen] séjourne et de quoi il retourne alors avec lui. EtreTemps17

L’« institution des signes » peut également manifester avec une clarté particulière ce caractère spécifique des signes. Cette institution, en effet, s’accomplit dans, et à partir d’une prévoyance circon-specte qui a besoin de la possibilité à-portée-de-la-main de se faire toujours annoncer par un étant à-portée-de-la-main le monde ambiant à chaque fois accessible. Or à l’être qui est de prime abord à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde appartient un caractère qui a été décrit plus haut [NT: Supra, p. [75].]: il se retient en soi, il ne ressort pas. C’est pourquoi l’usage circon-spect a besoin de trouver dans le monde ambiant un outil [Zeug] à-portée-de-la-main qui assume en son caractère d’outil [Zeug] la « tâche » de faire s’imposer l’à-portée-de-la-main. De ce fait, la production d’un tel outil [Zeug] - des signes - doit se soucier de leur imposition. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’on portera les outils ainsi devenus manifestes à un quelconque être-sous-la-main : au contraire, il devront être « disposés » d’une manière déterminée, propre à faciliter leur accès. EtreTemps17

Cependant, l’institution des signes n’a pas forcément besoin, pour s’accomplir, de produire un outil [Zeug] qui ne serait pas encore à-portée-de-la-main. Des signes peuvent prendre naissance tandis que l’on prend pour signe un étant déjà à-portée-de-la-main. Or dans cette modalité, l’institution des signes dévoile un sens encore plus originel. Car ce n’est pas seulement le montrer qui procure la disponibilité orientée de façon circon-specte d’un ensemble à-portée-de-la-main d’outils et du monde ambiant en général : il se peut même que l’institution des signes les découvre la première. Ce qui est pris comme signe devient tout d’abord accessible par son être-à-portée-de-la-main. Lorsque par exemple dans le travail des champs le vent du sud « vaut » comme signe de la pluie, cette « valeur » particulière, ou en général toute « valeur attachée » à cet étant n’est pas un supplément rajouté à un étant déjà en soi sous-la-main, à savoir le courant atmosphérique et une certaine direction géographique. Le vent du sud n’est jamais de prime abord sous-la-main à titre d’étant survenant sans plus et météorologiquement accessible en tant que tel, qui, après-coup, revêtirait à l’occasion la fonction d’un signe précurseur. C’est bien plutôt la circon-spection propre au travail des [81] champs qui, tenant compte de lui, découvre justement pour la première fois le vent du sud en son être. EtreTemps17

Pourtant, répliquera-t-on, il faut bien que ce qui est pris pour signe soit déjà devenu accessible en lui-même, qu’il ait déjà été saisi avant l’institution du signe. Assurément, cet étant doit pouvoir en général se laisser trouver d’une manière ou d’une autre. La question reste seulement de savoir comment dans cette rencontre préalable, l’étant est découvert - s’il l’est comme pure chose survenante et non pas plutôt comme outil [Zeug] encore incompris, comme étant à-portée-de-la-main dont on ne savait jusqu’alors « que faire », et qui ainsi se dissimulait encore à la circon-spection. Ici encore, rien n’autorise à interpréter les caractères d’outil [Zeug] encore non découverts à la circon-spection propres à l’à-portée-de-la-main comme une simple choséité [Dinglichkeit] prédonnée à une saisie de l’étant sans plus sous-la-main. EtreTemps17

Ce rôle prééminent que les signes, au sein de la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich], jouent dans la compréhension du monde, on pourrait être tenté de l’illustrer à partir de l’emploi abondant que le Dasein primitif fait de « signes », par exemple de fétiches et de sorts. Assurément l’institution de signes qui est à la base d’un tel emploi ne s’accomplit point dans une intention théorique, ni par le moyen d’une spéculation théorique. L’emploi des signes demeure alors complètement intérieur à un être-au-monde [In-der-Welt-sein] « immédiat ». Toutefois, à y regarder de plus près, il apparaît qu’une interprétation du fétiche et des sorts qui prendrait pour fil conducteur l’idée de signe ne peut absolument pas suffire pour saisir le mode d’« être-à-portée-de-la-main » [82] propre à l’étant qui fait encontre dans le monde primitif. Du point de vue du phénomène du signe, c’est plutôt l’interprétation suivante qui s’imposerait : pour l’homme primitif, le signe coïncide avec le montré. Le signe peut lui-même représenter le montré, non pas seulement en le remplaçant, mais en ce sens que le signe est lui-même toujours le montré. Toutefois, cette coïncidence remarquable du signe avec le montré ne provient nullement de ce que la chose-signe aurait déjà subi une certaine « objectivation », de ce qu’elle serait expérimentée comme pure chose et transportée dans la même région d’être du sous-la-main que le montré. La « coïncidence » en question n’est point l’identification de choses auparavant isolées, elle suppose plutôt que le signe ne s’est pas encore libéré du désigné. Un tel emploi de signes s’identifie encore totalement à l’être du montré, à tel point qu’un signe comme tel ne peut encore absolument pas se dégager. La coïncidence ne se fonde point dans une objectivation première, mais dans son absence totale. Or cela signifie que le signe n’est absolument pas découvert comme outil [Zeug], et, en fin de compte, que l’« à-portée-de-la-main » intramondain n’a absolument pas le mode d’être de l’outil [Zeug]. Peut-être même un tel fil conducteur - nous voulons dire l’être-à-portée-de-la-main, l’outil [Zeug] - est-il de nul profit pour une interprétation du monde primitif, et pas davantage du reste l’ontologie de la choséité [Dinglichkeit]. Si cependant il demeure vrai qu’une compréhension de l’être est constitutive du Dasein et du monde primitifs, alors le besoin ne s’en fait que plus vivement sentir d’élaborer l’idée « formelle » de la mondanéité [Weltlichkeit], autrement dit d’un phénomène qui soit modifiable en un sens tel que tous les énoncés ontologiques qui prétendent que, dans tel contexte phénoménal prédonné, quelque chose n’est pas encore ou n’est plus ceci ou cela, puissent recevoir un sens phénoménal positif à partir de ce que cette chose n’est pas. EtreTemps17

L’interprétation du signe qu’on vient d’exposer était simplement destinée à offrir un point d’appui phénoménal à la caractérisation du renvoi. La relation entre signe et renvoi est triple : 1. Le montrer, en tant que concrétion possible du pour-quoi d’une utilité, est fondé dans la structure d’outil [Zeug] en général, dans le pour... comme tel (le renvoi). 2. Le montrer du signe appartient, en tant que caractère d’outil [Zeug] d’un étant à-portée-de-la-main, à une totalité d’outils, à un complexe de renvois. 3. Le signe n’est pas seulement à-portée-de-la-main avec tel autre outil [Zeug], mais, dans son être-à-portée-de-la-main propre, c’est le monde ambiant qui devient à chaque fois expressément accessible pour la circon-spection. Le signe est un étant ontiquement à-portée-de-la-main qui, en tant que cet outil [Zeug] déterminé, fonctionne en même temps comme quelque chose qui indique la structure ontologique de l’être-à-portée-de-la-main, de la totalité de renvois et de la mondanéité [Weltlichkeit]. C’est là que s’enracine le privilège de cet [83] à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde ambiant tel que le Dasein s’en préoccupe avec circon-spection. Mais du même coup, le renvoi, s’il doit devenir ontologiquement le fondement du signe, ne peut lui-même être conçu comme signe. Le renvoi n’est pas la déterminité [Bestimmtheit] ontique d’un à-portée-de-la-main, alors qu’il constitue pourtant l’être-à-portée-de-la-main en tant que tel. En quel sens le renvoi est-il alors la « présupposition » ontologique de l’à-portée-de-la-main, et dans quelle mesure, en tant que ce fondement ontologique, est-il en même temps un constituant de la mondanéité [Weltlichkeit] en général ? EtreTemps17

Dans quelle mesure, en caractérisant l’à-portée-de-la-main, avons-nous d’ores et déjà rencontré sa spatialité ? Il a été question de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Or cette expression ne désigne pas seulement l’étant qui à chaque fois fait encontre d’abord, avant d’autres étants, mais aussi et en même temps l’étant qui est « à proximité ». L’à-portée-de-la-main de l’usage quotidien [alltäglich] a le caractère de la proximité. Cette proximité de l’outil [Zeug], a y regarder de plus près, est déjà suggérée dans le terme même qui exprime son être : « être-à-portée-de-la-main ». L’étant « à main » a à chaque fois une proximité différente, qui n’est point fixée par la mesure de distances. Cette proximité se règle bien plutôt à partir d’une utilisation et d’un emploi qui ne la « prennent en compte » que de manière circon-specte. En même temps, la circon-spection de la préoccupation [Besorgen] fixe l’étant ainsi proche au point de vue de la direction où l’outil [Zeug] est à chaque fois accessible. La proximité orientée de l’outil [Zeug] signifie qu’il n’a pas seulement, quelque part sous-la-main, son emplacement dans l’espace, mais que, en tant qu’outil [Zeug], il est essentiellement « amené », « remisé », « mis en place », « disposé ». Ou bien l’étant a sa place, ou bien il « traîne » - ce dernier cas devant être fondamentalement distingué de la pure survenance en un quelconque point de l’espace. La place se détermine à chaque fois comme place de cet outil [Zeug] pour... - à partir de la totalité des places, orientées les unes vers les autres, du complexe d’outils à-portée-de-la-main sur le mode du monde ambiant. La place et la diversité des places ne sauraient être interprétées comme le « où » d’un quelconque être-sous-la-main des choses. La place est toujours le « là-bas » et le « là » déterminés de la destination (NT: Le mot allemand (Hingehören) ne connotant pas ici une « finalité », mais le fait d’« avoir sa place », d’« être à sa place ».) d’un outil [Zeug], laquelle destination correspond à chaque fois au [103] caractère d’outil [Zeug] de l’à-portée-de-la-main, c’est-à-dire à l’appartenance à une totalité d’outils qui lui est assignée par sa tournure [Bewandtnis]. Toutefois, la destination emplaçable d’une totalité d’outils a pour condition de possibilité le « vers où » en général en lequel est assignée à un complexe d’outils la totalité de la place. Ce « vers où » de la destination outil [Zeug]itaire possible tenu d’avance sous le regard circon-spect de l’usage préoccupé, nous le nommons la contrée. EtreTemps22

Une orientation primaire, voire exclusive, sur des éloignements conçus comme distances mesurées recouvre la spatialité originaire de l’être-à. Ce qui est « prochain », ce n’est absolument pas ce qui est à la plus petite distance « de nous ». Le « prochain » consiste bien plutôt dans ce qui est é-loigné de la portée d’une atteinte, d’une saisie, d’un regard. [107] Comme le Dasein est essentiellement spatial selon la guise de l’é-loignement [Entfernung], l’usage se tient toujours dans un « monde ambiant » à chaque fois é-loigné de lui à l’intérieur d’un certain espace de jeu - et c’est bien pourquoi nous entendons et voyons de prime abord en dépassant ce qui, selon la distance, est le « plus proche » de nous. Si la vue et l’ouïe portent au loin, ce n’est pas sur la base de leur « portée » naturelle, mais parce que le Dasein en tant qu’é-loi-gnant se tient en eux de manière prépondérante. Pour celui qui, par exemple, porte des lunettes, qui pourtant sont si proches de lui par la distance qu’elle sont « sur son nez » [NT: C’est-à-dire : « sous son nez ».] , cet outil [Zeug] utilisé est plus éloigné, au sein du monde ambiant, qu’un tableau accroché au mur d’en face. Cet outil [Zeug] a si peu de proximité que souvent il passe même de prime abord absolument inaperçu. L’outil [Zeug] pour voir, et de même l’outil [Zeug] pour entendre, l’écouteur téléphonique par exemple, se caractérise par la non-imposition de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Ce qui vaut aussi, par exemple, de la rue - de l’outil [Zeug] pour aller. Tandis que nous marchons, la rue est touchée à chaque pas, apparemment elle est ce qu’il y a de plus proche et de plus réel dans l’à-portée-de-la-main, elle glisse pour ainsi dire le long de parties déterminées du corps, au long des semelles de nos souliers. Et pourtant, elle est bien plus éloignée que l’ami qui, durant cette marche, nous fait encontre à une « distance » de vingt pas. De la proximité et du lointain de l’à-portée-de-la-main de prime abord rencontré dans le monde ambiant, seule la préoccupation [Besorgen] circon-specte décide. Ce auprès de quoi celle-ci séjourne d’entrée de jeu, c’est cela qui est le « plus proche » et qui règle les é-loignement [Entfernung]s. EtreTemps23

En tant qu’être-à é-loignant, le Dasein a en même temps le caractère de l’orientation. Tout approchement a déjà appréhendé d’avance une direction dans une contrée à partir de laquelle l’é-loigné s’approche de façon à devenir ainsi trouvable quant à sa place. La préoccupation [Besorgen] circon-specte est é-loignement [Entfernung] orientant. Dans cette préoccupation [Besorgen], c’est-à-dire dans l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] du Dasein lui-même, le besoin de « signes » est prédonné ; cet outil [Zeug] assume la fonction d’une indication explicite et aisée de directions. Il tient expressément ouvertes les contrées utilisées par la circon-spection - le vers-où de la destination, de l’accès, de l’apport. En tant qu’il est, le Dasein est orientant-éloignant, il a à chaque fois déjà sa contrée découverte. L’orientation aussi bien que l’é-loignement [Entfernung], en tant que modes d’être de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], sont d’emblée guidés par la circon-spection de la préoccupation [Besorgen]. EtreTemps23

De cette orientation naissent les directions fixes de la droite et de la gauche. Tout comme ses é-loignement [Entfernung]s, le Dasein emporte constamment avec soi ces orientations. La spatialisation du Dasein en sa « corporéité » propre - phénomène qui implique une problématique que nous n’avons pas à traiter ici - est conjointement prédessinée selon ces directions. C’est pourquoi l’étant à-portée-de-la-main dont il est fait usage pour le corps - par exemple le gant, qui doit accompagner les mouvements des mains - doit être orienté vers [109] la droite et la gauche. Au contraire un outil [Zeug] manuel, qui est tenu par la main et mû avec elle, n’accompagne pas le mouvement spécifiquement « manuel » de la main. Par suite, quand bien même ils sont maniés, il n’existe pas de marteaux pour la main droite ou pour la main gauche. EtreTemps23

Mais si tout percevoir d’un outil [Zeug] à-portée-de-la-main est déjà compréhensif-explicitatif, s’il laisse de manière circon-specte quelque chose faire encontre [begegnen] comme quelque chose, cela ne veut-il pas dire justement qu’est d’abord expérimenté un pur sous-la-main, qui n’est [150] appréhendé qu’ensuite comme porte ou comme maison ? Mais voir les choses ainsi serait prendre à contresens la fonction spécifique d’ouverture de l’explicitation. Car elle ne jette pas, pour ainsi dire, une « signification » sur la nudité du sous-la-main, elle n’y accole pas une valeur : au contraire, avec l’étant rencontré à l’intérieur du monde comme tel, il retourne à chaque fois de..., et c’est cette tournure [Bewandtnis], ouverte dans la compréhension du monde, qui est ex-plicitée par l’explicitation. EtreTemps32

Avant de répondre à ces questions - ce à quoi notre équipement actuel ne saurait suffire -, il convient de rechercher si ce que nous avons rendu visible comme structure de préalable du comprendre et comme structure de « comme » de l’explicitation ne représente pas déjà par soi-même un phénomène unitaire, dont il est certes fait copieusement usage dans la problématique philosophique, mais sans qu’une explicitation ontologique originaire corresponde jamais à cet outil [Zeug] si universel. EtreTemps32

L’étant tenu dans la pré-acquisition, le marteau par exemple, est de prime abord [158] à-portée-de-la-main comme outil [Zeug]. Que cet étant devienne « objet » d’un énoncé, et alors s’accomplit d’entrée de jeu, avec la production de cet énoncé, un virage dans la pré-acquisition. Le avec-quoi à-portée-de-la-main de l’avoir-affaire-à..., de l’exécution, devient le « ce-sur-quoi » de l’énoncé qui met au jour. La pré-vision [Vor-sicht] vise un sous-la-main dans l’à-portée-de-la-main. Par l’a-vis et pour lui, l’à-portée-de-la-main devient voilé en tant que tel. À l’intérieur de cette découverte d’être-sous-la-main qui recouvre l’être-à-portée-de-la-main, le sous-la-main faisant encontre est déterminé en son être-ainsi-ou-ainsi-sous-la-main. Maintenant seulement s’ouvre l’accès à quelque chose comme des propriétés. Le «quoi » comme quoi l’énoncé détermine le sous-la-main est puisé à partir du sous-la-main comme tel. La structure de « comme » de l’explicitation a subi une modification. Le « comme », dans sa fonction d’appropriation du compris, ne déborde plus dans une totalité de tournure [Bewandtnis]. Par rapport à ses possibilités d’articulation de rapport de renvois, il est coupé de la significativité [Bedeutsamkeit] où se constitue la mondanéité [Weltlichkeit] ambiante. Le « comme » est ramené au niveau uniforme du sans-plus-sous-la-main. Il se dégrade en la structure d’un simple-faire-voir déterminant d’étant sous-la-main. Ce nivellement du « comme » originaire de l’explicitation circon-specte en « comme » de la détermination d’être-sous-la-main est la prérogative de l’énoncé. Ainsi seulement obtient-il de pouvoir mettre en lumière de manière purement a-visante. EtreTemps33

En fin de compte, la recherche philosophique doit se résoudre à demander une bonne fois quel mode d’être échoit à la parole. Est-elle un outil [Zeug] à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde, ou bien a-t-elle le mode d’être du Dasein - ou ni l’un, ni l’autre ? Quelle modalité l’être de la langue a-t-il pour que celle-ci puisse être « morte » ? Qu’est-ce que cela signifie ontologiquement que la croissance et la décomposition d’une langue ? Nous possédons une science de la langue, et pourtant l’être de l’étant qu’elle prend pour thème reste obscur ; plus encore : l’horizon d’un questionnement possible à son sujet est voilé. Est-ce l’effet du hasard si les significations, de prime abord et le plus souvent, sont « mondaines », si elles sont pré-dessinées par la significativité [Bedeutsamkeit] du monde, et même souvent plus spécialement « spatiales », ou bien ce « fait » possède-t-il, et pourquoi, une nécessité ontologico-existentiale ? La recherche philosophique devra ici renoncer à une « philosophie du langage » pour s’enquérir des « choses mêmes », et se mettre ainsi dans l’état d’une problématique conceptuellement clarifiée. EtreTemps34

Le « défunt » qui, à la différence du simple mort, a été arraché à « ceux qui restent », est l’objet de « soins » sur le mode de la pompe funèbre, de l’enterrement, du culte funéraire. Et il n’est tel, derechef, que parce qu’en son mode d’être il est « encore plus » qu’un outil [Zeug] à-portée-de-la-main simplement offert à la préoccupation [Besorgen] dans le monde ambiant. Séjournant auprès de lui dans le deuil et le souvenir, les survivants sont avec lui, sur un mode de sollicitude [Fürsorge] honorifique. Le rapport d’être au mort ne saurait donc pas non plus être saisi comme l’être préoccupé auprès d’un étant à-portée-de-la-main. EtreTemps47

Il convient tout d’abord de caractériser l’être pour la mort comme un être pour une [261] possibilité, à savoir pour une possibilité insigne du Dasein lui-même. Être pour une possibilité, c’est-à-dire pour un possible, peut signifier : être ouvert à (NT: Aussein, mot auparavant traduit (p. [195] et [210]) par « exposition » ; ici, c’est l’être-ouvert, au sens d’intérêt pour...) un possible sous la forme d’une préoccupation [Besorgen] pour sa réalisation. Dans le champ de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main, de telles possibilités font constamment encontre : l’accessible, le maîtrisable, le viable, etc. L’être-ouvert préoccupé à un possible a la tendance à anéantir la possibilité du possible en le rendant disponible. Cependant, la réalisation préoccupée d’un outil [Zeug] sous-la-main (en tant que produire, apprêter, remplacer, etc.) n’est jamais que relative, dans la mesure où même le réalisé, ou justement lui, a encore le caractère d’être de la tournure [Bewandtnis]. Bien que réalisé, il reste en tant qu’effectif un possible pour..., caractérisé par un pour... La présente analyse doit simplement montrer comment l’être-ouvert préoccupé se rapporte au possible : non pas dans une considération thématico-théorique du possible comme possible, selon sa possibilité envisagée comme telle, mais de manière telle qu’elle s’écarte circon-spectivement du possible pour se tourner vers le possible-pour-quoi. EtreTemps53

Comment obtenir l’orientation du regard requise par l’analyse de la temporalité de la préoccupation [Besorgen] ? Nous avons appelé l’être préoccupé auprès du « monde » l’usage dans et avec le monde ambiant [NA: Cf. supra, §15 [EtreTemps15], p. [66] sq.]. Comme phénomènes exemplaires de l’être auprès..., nous avions choisi l’utilisation, le maniement, la production de l’à-portée-de-la-main et leurs modes déficients et indifférents, autrement dit l’être auprès de ce qui appartient au besoin quotidien [alltäglich] [NA: Cf. supra, §12 [EtreTemps12], p. [56] sq.]. Même l’existence authentique du Dasein se tient en une telle préoccupation [Besorgen] - et cela même lorsque celle-ci lui demeure « indifférente ». Ce n’est point l’à-portée-de-la-main dont le Dasein se préoccupe qui cause la préoccupation [Besorgen], de telle manière que celle-ci ne prendrait naissance que sous l’influence de l’étant intramondain. Il n’est pas plus possible d’expliquer ontiquement l’être-auprès de l’à-portée-de-la-main à partir de celui-ci que de dériver inversement celui-ci à partir de celui-là. Toutefois, la préoccupation [Besorgen] en tant que mode d’être du Dasein et l’étant dont il se préoccupe en tant qu’à-portée-de-la-main intramondain ne sont pas non plus simplement ensemble sous-la-main, ce qui n’empêche qu’il existe entre eux une « connexion ». Le avec-quoi bien compris de l’usage jette sur l’usage préoccupé lui-même une lumière. Inversement, le manquement de la structure phénoménale de l’avec-quoi de l’usage a pour conséquence [Abfolge] une méconnaissance de la constitution existentiale de celui-ci. Certes, pour l’analyse de l’étant qui fait de prime abord encontre, cela représente un gain essentiel que de ne pas passer par-dessus le caractère spécifique d’outil [Zeug] de cet étant. Mais il est plus important encore de comprendre que l’usage préoccupé ne séjourne jamais auprès d’un outil [Zeug] isolé. L’utilisation, le maniement d’un outil [Zeug] déterminé demeure comme tel orienté sur un complexe d’outils. Supposons par exemple que nous cherchions un outil [Zeug] « égaré » : bien loin que la chose cherchée soit alors simplement ou primairement visée dans un « acte » isolé, c’est tout l’orbe du complexe d’outils qui est déjà pré-découvert. Tout « procéder », tout « s’emparer » ne se heurte pas de but en blanc à un outil [Zeug] prédonné isolément, mais il revient toujours du monde d’ouvrage à chaque fois déjà ouvert dans cet emparement vers un outil [Zeug] particulier. EtreTemps69

Or il résulte de là, pour l’analyse de l’usage, et plus précisément de son avec-quoi, une [353] consigne : celle d’orienter l’être existant auprès de l’étant dont il se préoccupe non pas justement sur un outil [Zeug] isolément à-portée-de-la-main, mais bien sur la totalité d’outils. Du reste, la méditation du caractère d’être privilégié de l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main, la tournure [Bewandtnis] [NA: Cf. supra, §18 [EtreTemps18], p. [83] sq.], ne contraint pas moins à une telle appréhension de l’avec-quoi de l’usage. Ce terme de tournure [Bewandtnis] est ici compris ontologiquement. L’expression : avec quelque chose, il retourne de quelque chose, ne veut pas constater ontiquement un fait, mais indiquer le mode d’être de l’à-portée-de-la-main. Le caractère de rapport de la tournure [Bewandtnis], du « avec..., de... » indique qu’un outil [Zeug] est ontologiquement impossible. Certes, il se peut qu’un unique outil [Zeug] soit à-portée-de-la-main et que les autres « fassent défaut ». Mais en cela justement s’annonce l’appartenance de cet étant à-portée-de-la-main à un autre. L’usage préoccupé ne peut en général laisser circon-spectivement de l’à-portée-de-la-main faire encontre [begegnen] que s’il comprend déjà quelque chose comme de la tournure [Bewandtnis], c’est-à-dire le retourner de quelque chose qu’il y a à chaque fois avec quelque chose. L’être circon-spect-découvrant-auprès-de... de la préoccupation [Besorgen] est un laisser-retourner, autrement dit un projeter compréhensif de tournure [Bewandtnis]. Si le laisser-retourner constitue la structure existentiale de la préoccupation [Besorgen], si cependant celle-ci, en tant qu’être-auprès... appartient à la constitution essentielle du souci, et si enfin celui-ci se fonde de son côté dans la temporalité, alors il faut que la condition existentiale de possibilité du laisser-retourner soit cherchée dans un mode de temporalisation de la temporalité. EtreTemps69

Dans le plus simple avoir-en-main d’un outil [Zeug], le laisser-retourner est présent. Ce dont il retourne a le caractère du pour... ; c’est de ce point de vue que l’outil [Zeug] est employable ou employé. La compréhension du pour... c’est-à-dire du « de » de la tournure [Bewandtnis], a la structure temporelle du s’attendre à... C’est en étant attentive au pour..., et seulement ainsi, que la préoccupation [Besorgen] peut en même temps revenir vers quelque chose dont il retourne. Le s’attendre au « de », inséparable du conserver de l’avec-quoi de la tournure [Bewandtnis], voilà ce qui possibilise, en son unité ekstatique, la présentification spécifiquement maniante de l’outil [Zeug]. EtreTemps69

De l’inemployable - par exemple le refus déterminé opposé par un outil [Zeug] - ne peut s’imposer que dans et pour un usage concret. Même le « percevoir » et le « représenter » le [355] plus aigu et le plus persévérant de choses ne saurait jamais découvrir quelque chose comme l’endommagement de l’instrument. L’avoir-en-main doit pouvoir être perturbé pour que du non-maniable fasse encontre. Or qu’est-ce que cela signifie ontologiquement ? Le présentifier attentif-conservant est retenu, par ce qui se dégagera ensuite comme endommagement, dans son identification aux rapports de tournure [Bewandtnis]. Le présentifier, qui est cooriginairement attentif au pour-quoi, est arrêté auprès de l’outil [Zeug] utilisé, et cela de telle façon que c’est maintenant seulement que le pour-quoi et le pour... font encontre expressément. Néanmoins, le présentifier lui-même peut à son tour rencontrer seulement un étant inapproprié pour..., dans la mesure où il se meut déjà dans un conserver attentif de ce avec quoi il retourne de quelque chose. Le présentifier est « arrêté », autrement dit : dans son unité avec le s’attendre conservant, il se place encore davantage en lui-même et constitue ainsi la « considération, l’examen » et l’élimination de la perturbation. Si l’usage préoccupé était simplement une séquence [Abfolge] de « vécus » se déroulant « dans le temps », et même si ceux-ci étaient aussi intimement « associés » que l’on voudra, un laisser-faire-encontre de l’outil [Zeug] s’imposant comme inemployable demeurerait ontologiquement impossible. Quoi qu’il rende accessible comme « usable » en fait de complexes d’outils, le laisser-retourner doit comme tel se fonder dans l’unité ekstatique du présentifier attentif-conservant. EtreTemps69

Pour fournir la première caractérisation de la genèse du comportement théorique à partir de la circon-spection, nous avons pris pour base une guise de la saisie théorique de l’étant intramondain, de la nature physique, où la modification de la compréhension d’être équivaut à un virage. Dans l’énoncé « physique » : « le marteau est lourd », il n’y a pas seulement omission du caractère d’outil [Zeug] de l’étant rencontré, mais, et conjointement, de ce qui appartient à tout outil [Zeug] à-portée-de-la-main : sa place. Celle-ci devient indifférente. Non que le [362] sous-la-main perde en général son « lieu ». La place devient un emplacement spatio-temporel, un « point du monde » qui ne se distingue d’aucun autre de manière privilégiée. Ce qui implique que la multiplicité - circonscrite par le monde ambiant - des places de l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main n’est pas seulement modifiée en une pure multiplicité d’emplacements, mais que l’étant du monde ambiant est en général dé-limité. C’est le tout de l’être-sous-la-main qui devient thème. EtreTemps69

Il convient donc de s’enquérir ontologico-existentialement des conditions temporelles de possibilité de la spatialité propre au Dasein, qui, à son tour, fonde la découverte de l’espace intramondain. Tout d’abord, nous devons rappeler en quelle guise le Dasein est spatial. Spatial, le Dasein ne pourra l’être qu’en tant que souci, au sens de l’exister facticement échéant. Négativement, cela signifie : le Dasein n’est jamais - ni jamais de prime abord - [368] sous-la-main dans l’espace. Il ne remplit pas, comme une chou ou un outil [Zeug] réel, une portion d’espace, de telle manière que sa limite par rapport à l’espace qui l’entoure ne soit elle-même qu’une détermination spatiale de l’espace. Le Dasein occupe - au sens littéral du terme - de l’espace. Il n’est en aucune manière seulement sous-la-main dans la portion d’espace que le corps propre occupe. Existant, il s’est à chaque fois déjà aménagé un espace de jeu. À chaque fois, il détermine son lieu propre de telle manière qu’il revient à partir de l’espace aménagé vers la « place » qu’il a prise. Pour pouvoir dire que le Dasein est sous-la-main à un emplacement de l’espace, nous devons d’abord nécessairement envisager cet étant de manière ontologiquement inadéquate. La différence entre la « spatialité » d’une chose étendue et celle du Dasein ne consiste pas non plus en ce que celui-ci a un savoir de l’espace ; car l’occupation d’espace est si peu identique à un « représenter » du spatial que celui-ci présuppose au contraire celle-là. La spatialité du Dasein ne saurait non plus être explicitée comme une imperfection attachée à l’existence sur la base de la fatale « liaison de l’esprit avec un corps ». Bien plutôt est-ce, et est-ce seulement parce que le Dasein est « spirituel » qu’il peut être spatial selon une guise qui demeure essentiellement impossible à une chose-corps étendue. EtreTemps70

Le s’aménager du Dasein est constitué par l’orientation et l’é-loignement [Entfernung]. Comment ceux-ci sont-ils existentialement possibles sur la base de la temporalité du Dasein ? Il ne nous incombe ici d’indiquer brièvement la fonction fondatrice de la temporalité pour la spatialité du Dasein qu’autant qu’il est nécessaire pour nos élucidations ultérieures de l’« accouplement » de l’espace et du temps. À l’aménagement du Dasein appartient la découverte orientée de quelque chose comme une contrée. Par cette expression, nous visons de prime abord le vers-où de la possible pertinence de l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main dans le monde ambiant emplaçable. Tandis qu’un outil [Zeug] est trouvé, manié, déplacé, évacué, une contrée est déjà découverte. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé est orienté - s’orientant. La pertinence a un rapport essentiel à la tournure [Bewandtnis]. Elle se détermine toujours facticement à partir du complexe de tournure [Bewandtnis] de l’étant offert à la préoccupation [Besorgen]. Les rapports de tournure [Bewandtnis] ne sont compréhensibles que dans l’horizon du monde ouvert. De même, c’est seulement son caractère d’horizon qui possibilise l’horizon spécifique du vers-où de la pertinence au sein d’une contrée. La découverte s’orientant de la contrée se fonde dans un s’attendre ekstatiquement conservant du vers-là-bas et du vers-ici possible. Le s’aménager, en tant que s’attendre orienté à une contrée, est cooriginairement un rapprocher (é-loigner) d’étant à-portée-de-la-main et sous-la-main. C’est depuis la contrée pré-découverte que la [369] préoccupation [Besorgen], en é-loignant, revient vers le plus proche. L’approchement, ainsi que l’appréciation et la mesure des distances à l’intérieur du sous-la-main intramondain é-loigné, se fondent dans un présentifier qui appartient à l’unité de la temporalité en laquelle également l’orientation est possible. EtreTemps70

Des « antiquités » conservées au musée, des ustensiles domestiques par exemple, [380] appartiennent à un « temps passé », et pourtant ils n’en sont pas moins sous-la-main dans le « présent ». Dans quelle mesure un tel ustensile est-il historial [NT: Je traduis ici par historial (geschichtlich), bien qu’il ne s’agisse que d’un ustensile, puisque H. a en vue son « historicité » propre, par-delà son inclusion dans le passé ou le présent.], alors qu’il n’est précisément pas encore passé ? Est-ce seulement, par exemple, parce qu’il est devenu un objet d’intérêt historique, de l’étude archéologique et géographique régionale ? Mais pareil outil [Zeug] ne peut être objet historique que parce qu’en lui-même il est en quelque manière historial. La question se répète donc : de quel droit nommons-nous cet étant historial, alors qu’il n’est pourtant pas passé ? Ou bien ces « choses », quoiqu’elles soient aujourd’hui encore sous-la-main, auraient-elles, « en elles » « quelque chose de passé » ? Sont-elles encore, elles qui sont sous-la-main, ce qu’elles étaient ? Manifestement, les « choses » se sont transformées. L’ustensile, « au cours du temps », est devenu fragile, piqué. Pourtant, ce n’est pas dans cette périssabilité, qui se poursuit même pendant que la chose est sous-la-main au musée, que réside le caractère spécifique de passé qui en fait quelque chose d’historial. Mais alors, qu’est-ce donc, dans l’outil [Zeug], qui est passé ? Qu’est-ce que les « choses » étaient, qu’elles ne sont plus aujourd’hui ? Elles demeurent bel et bien cet outil [Zeug] précis d’usage - mais en tant qu’hors d’usage. Oui, mais, supposé qu’elles fussent encore aujourd’hui en usage, comme le sont de nombreux objets hérités faisant partie du ménage, seraient-elles pour cela non encore historiales ? Non : en usage ou hors d’usage, elles ne sont plus cependant ce qu’elles étaient. Qu’est-ce qui est « passé » ? Réponse : rien d’autre que le monde à l’intérieur duquel, appartenant à un complexe d’outils, elles faisaient encontre en tant qu’à-portée-de-la-main et étaient utilisées par un Dasein préoccupé, étant-au-monde. Le monde n’est plus. Mais l’intramondain qui appartenait à ce monde, lui, est encore sous-la-main. C’est en tant qu’outil [Zeug] appartenant à un monde que l’étant maintenant encore sous-la-main peut néanmoins appartenir au « passé ». Mais que signifie ce ne-plus-être du monde ? Le monde n’est que selon la guise du Dasein existant, qui est facticement comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps73

L’analyse du caractère historial d’un outil [Zeug] encore sous-la-main n’a pas seulement reconduit au Dasein comme à l’historial primaire, mais elle a contribué à éveiller le doute quant à la question de savoir si la caractérisation temporelle de l’historial en général peut être primairement orientée sur l’être-dans-le-temps d’un sous-la-main. Ce n’est pas en reculant vers un passé de plus en plus éloigné que de l’étant devient « plus historial », de telle sorte que le plus ancien serait le plus proprement historial. Mais d’autre part, si l’écart « temporel » par rapport au maintenant et à l’aujourd’hui n’a lui non plus aucune signification constitutive [382] primaire pour l’historialité de l’étant proprement historial, ce n’est point parce que celui-ci n’est pas « dans le temps », est intemporel, mais parce qu’il existe de manière plus originairement temporelle que ne le peut jamais en son essence ontologique, un étant sous-la-main (périssant ou advenant) « dans le temps ». EtreTemps73

Cette datation qui s’accomplit à partir de l’astre dispensateur de lumière et de chaleur et de ses « places » privilégiées dans le ciel, est une indication temporelle qui, dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] « sous le même ciel », peut s’accomplir pour « tout un chacun » en tout temps et de la même façon - et même, en un sens, de manière d’emblée unanime. Car ce qui date est disponible dans le monde ambiant, sans pourtant être restreint au monde d’outils à chaque fois offert à la préoccupation [Besorgen] : en effet, au sein de ce monde, c’est bien plutôt toujours déjà la nature du monde ambiant et le monde ambiant public qui est co-découvert [NA: Cf. supra, §15 [EtreTemps15], p. [66] sq.]. Sur cette datation publique où tout un chacun s’indique son temps, tout un chacun peut en même temps « compter », car elle utilise une mesure publiquement disponible. Cette datation compte avec le temps au sens d’une mesure du temps, laquelle a donc besoin d’un outil [Zeug] mesurant : d’une horloge. Par conséquent : avec la temporalité du Dasein jeté, abandonné au monde, qui se donne le temps est aussi déjà découvert quelque chose comme une « horloge », c’est-à-dire un étant à-portée-de-la-main qui est devenu accessible en son retour régulier dans le présentifier qui s’attend. L’être jeté auprès de l’à-portée-de-la-main se fonde dans la temporalité. Elle est le fondement de l’horloge. En tant que condition de possibilité de la nécessité factice de l’horloge, la temporalité conditionne en même temps sa découvrabilité ; car seul le présentifier s’attendant-conservant du parcours du soleil tel qu’il fait encontre avec l’être-découvert de l’étant intramondain permet et exige en même temps, en tant qu’il s’explicite, la datation à partir de l’à-portée-de-la-main publiquement présent dans le monde ambiant. EtreTemps80

Submitted on 24.02.2007 14:31
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